Tadao Ando, «le défi» de l’architecte japonais au Centre Pompidou

Vénéré par les Japonais comme un dieu vivant de l’architecture, Tadao Ando reste en France presque absent du paysage architectural. Avec la grande rétrospective « Tadao Ando, le défi » qui ouvre ce mercredi 10 octobre ses portes, le Centre Pompidou-Paris rend hommage à l’oeuvre gigantesque du créateur japonais et donne une idée de l’ampleur des occasions manquées en France.

Il se dresse devant nous, au milieu de sa rétrospective, nous scrute d’un œil espiègle. Son visage change d’expression sans cesse et son corps n’arrête pas de bouger. Tadao Ando vient d’avoir 77 ans en septembre dernier, et après avoir vaincu trois cancers, il affiche fièrement sa volonté de vouloir « vivre jusqu’à cent ans ».

Lors du vernissage, suivi d’une foule de journalistes et de photographes, il saute entre les soixante-dix maquettes originales d’une carrière riche d’une cinquantaine de musées et d’innombrables projets pour expliquer ici un espace, là une ligne ou là-bas le sens d’une matière. Dans sa tête, le maître japonais est resté jeune d’esprit, à l’image de la pomme verte sculptée, intitulée La jeunesse, à l’entrée. Et quand il dessine d’une manière impulsive devant nous sur les cimaises ou même les maquettes exposées, il paraît farouchement habité d’une mission. Dessiner avec des feutres rouges et verts sur des œuvres exposées signifie à la fois un acte inédit au Centre Pompidou et un geste très efficace pour marquer ce tourbillon de vie qu’il insuffle à ses architectures en béton lisse et aux volumes géométriques souvent simples.

L’architecture et la joie de vivre

Ando, ce sont des projets à la fois humbles et d’une ambition folle : une église sur l’eau, le musée d’art moderne de Fort Worth, la Fondation Pulitzer pour les arts, une forêt de la mer au cœur de la baie de Tokyo ou l’île de Naoshima, totalement consacrée à l’art contemporain.

 Son credo, il le résume en une seule phrase : « Il faut que l’architecture accueille la joie de vivre des hommes ». Pour lui, l’utilisation massive du béton – matériau souvent considéré comme inhumain – ne présente aucune contradiction par rapport à l’épanouissement des êtres humains : « Pour lui, le béton est une façon de retrouver la minéralité qui l’a fascinée, par exemple, dans les églises et abbayes cisterciennes qu’il a visitées en Europe, avance Frédéric Migayrou, le commissaire de l’exposition. C’est ce béton-là qu’il veut. Un béton qui réfléchit la lumière, qui a une puissance et parle physiquement au corps. »

« Être délicat et audacieux en même temps. » Écrite en grand sur les cimaises du Centre Pompidou, la phrase est à la hauteur de la complexité de cet architecte hors normes. D’abord destiné à une carrière professionnelle de boxeur, Tadao Ando a pris finalement la décision de construire et de créer des abris pour l’homme en harmonie avec la nature. De son esprit de combat, il a gardé le courage, un certain goût pour frapper fort et d’assumer une violence dans la matière, néanmoins sublimée par l’exécution. Avec son style propre à lui, il arrive à couler subtilement ses pensées en béton, sa matière fétiche, utilisée avec une souplesse intellectuelle surprenante, tout en étant toujours prêt « d’ouvrir cet espace avec force et violence ». Du ciment reste le geste exigeant être à la fois solide et éternel. Le rendu s’avère incroyablement gracieux.

 

La liberté de l’autodidacte

Autodidacte, il se forme dans les années 1960 par des voyages dans le monde entier et les rencontres. Grand admirateur du Corbusier, il essaie de le rencontrer, mais arrive trois jours après la disparition de l’architecte franco-suisse en 1965. « Tadao Ando est un architecte qui invente sa propre architecture, son propre langage, expliqueFrédéric Migayrou. Comme il est autodidacte, il n’est pas sous dépendance d’un maître, d’un professeur ou d’une école. Il va être très influencé par Le Corbusier, mais il va réinventer le langage du Corbusier dans une relation à la tradition japonaise, au shintoïsme. »

Tout commence à la fin des années 1960 quand il fonde son agence, à l’âge de 29 ans. Le point de départ est la maison Azuma de Sumiyoshi, 3,3 m de large et 14,1 m de long, dans un vieux quartier typique d’Osaka. Ses débuts s’inscrivent dans un Japon encore marqué par la Seconde Guerre mondiale. Ando veut lutter contre l’industrialisation de l’habitat, les constructions aux kilomètres, contre une américanisation du Japon. Son but : que l’homme retrouve son rapport à l’espace, à la nature. « Il va faire des maisons qui sont totalement fermées, sans fenêtres, avec juste un puits de lumière, qui sont la négation de la ville. »

De la Guerrilla House à la Colline du Bouddha

En 1971, il réalise la Guerrilla House (« Maison pour une guérilla urbaine »), une maison-manifeste – qui hébergera son agence – contraire à toutes les certitudes régnant au Japon de l’époque. Il transforme cette petite maison en bijou d’architecture faisant ainsi la démonstration que même une construction de petite taille pouvait être une œuvre architecturale. A l’adresse de Mies van der Rohe, il insiste à proclamer la suprématie de la matière et de l’esprit sur le modernisme technologique.

À l’instar de la Colline du Bouddha à Hokkaido, créée entre 2012 et 2015 autour d’une statue en pierre. Le Buddha, éclairé par un puits de lumière, profite d’une mise en scène architecturale grandiose, la statue est « encerclée » par une colline artificielle en forme de cercles concentriques et plantée d’environ 150 000 plants de lavande.

Les puits de lumière et de l’espoir

Adepte du néant célébré par le shintoïsme, Tadao Ando utilise les puits de lumière pour faire appel à l’infinie. La symétrie énigmatique de ses œuvres s’explique probablement par son histoire familiale étant un jumeau séparé très tôt de sa deuxième moitié. Les formes rondes et les cercles se prêtent à merveille pour incarner la quête du néant et de l’infinie. Mais l’aboutissement de sa recherche architecturale consiste à marier les formes simples comme le cercle, le carré et le triangle avec son flair sans pareil pour l’équilibre parfait entre le volume, la hauteur et la surface. Sans oublier la lumière, symbole de l’espoir, incarné par l’Église de la Lumière, construite à la fin des années 1980 dans la banlieue d’Osaka, où les rayons du soleil entrent d’une manière spectaculaire par une fente en forme de croix.

En France, son travail sur la Bourse du Commerce à Paris – au service de la collection Pinault dont l’ouverture est prévue pour l’automne 2019 – a fait beaucoup de bruit, mais reste limité à un aménagement d’un monument existant : « l’idée est de créer un autre univers à l’intérieur », souligne Tadao Ando. Pour l’instant, il a signé en France seulement en 1995 un petit espace de méditation resté de surcroit assez confidentiel, car situé à l’intérieur de l’Unesco. Sa réalisation au Château La Coste (2006-2011) près d’Aix-en-Provence reste une collaboration avec d’autres architectes de renom, comme Jean Nouvel ou Frank Gehry, concernant un musée-jardin aménagé.

Tadao Ando et la France

Au final, la rétrospective du Centre Pompidou montre l’ampleur de l’œuvre architecturale de Tadao Ando et signe en même temps l’absence de rendez-vous majeurs (et des rendez-vous manqués comme le musée d’art contemporain sur l’île Seguin à Boulogne qui n’a jamais vu le jour) avec la France : « En France, il est célébré dès les années 1980, remarque Frédéric Migayrou. On aime son architecture, on la comprend tout de suite, mais, effectivement, il n’a pas de commande. C’est très particulier. Un petit pavillon à l’Unesco, alors qu’il construit dans le monde entier… Alors, est-ce que l’exposition est un rattrapage ? Je dirais non. Le rattrapage serait de lui offrir un extraordinaire projet public ! De lui donner un territoire. »

RFI

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