Maroc – Symposium sur l’intégration des jeunes: le discours poignant du Pr Amadou Mahtar Mbow

Discours du Pr Amadou Mahtar Mbow lors du Symposium intitulé « l’intégration des
jeunes: une priorité pour le développement durable en Afrique » par Institut des
Etudes Africaines MOHAMED V DE RABAT et la Fondation MiftahEssaad pour le
Capital Immatériel du Maroc. Cela dans le cadre de la célébration des 30 ans de
l’Institut dont M Mbow avait prononcé la conférence inaugurale d’ouverture.
Monsieur le Directeur de l’Institut des Etudes Africaines:

« Madame la Présidente de la Fondation MiftahEssaad pour le Capital Immatériel du
Maroc
Monsieur le Président de l’Agence Internationale de la Coopération Marocaine
Excellences
Mesdames
Messieurs
Je voudrais en premier lieu remercier l’Institut des Etudes Africaines de l’Université
Mohamed V de Rabat et son Directeur Monsieur ABOU EL FARAH de m’avoir invité à
cet important colloque. Je remercie aussi Monsieur El Farah pour les paroles
aimables qu’il vient de prononcer à mon égard. Je regrette que des circonstances
indépendantes de ma volonté m’aient empêché d’être physiquement présent parmi
vous. Mais présent, je le suis par l’esprit et par le cœur même si j’ai tenu à me faire
représenter.
J’ai demandé, en effet à ma fille le Docteur AWA MBOW KANE, qui est une partie de
moi-même, de me représenter ici et de vous lire ce message en témoignage de l’importance des liens qui m’ont uni à l’Institut depuis sa création, de l’estime que j’ai
toujours eue pour ses dirigeants et son personnel et de l’intérêt que j’ai toujours
porté à ses travaux.
Permettez-moi donc de souligner toute l’importance que représente à mes yeux le
thème de ce Colloque dans les conditions actuelles du continent africain, et de vous
dire en même temps tout l’attachement que j’ai pour le peuple marocain et pour son
Roi qui ne cesse d’œuvrer pour l’ancrage du Maroc à cette Afrique qu’il honore par
ses initiatives, et au développement de laquelle son pays apporte une contribution
si heureuse. Je veux profiter aussi de l’occasion qui m’est donnée pour adresser un
salut fraternel à mes collègues de l’Académie du Royaume à laquelle j’appartiens
depuis sa création, à Madame la Présidente de la Fondation MiftahEssaad pour la
Capital immatériel du Maroc, et à tous nos amis marocains auxquels nous sommes
fortement attachés mon épouse et moi.
Oui, ce colloque est important, car si la jeunesse est le sel de la terre, elle représente
essentiellement pour l’Afrique une des principales forces motrices de son renouveau ;
cette force motrice qui a manqué, à plusieurs de ses parties, en un moment crucial
du développement de l’humanité. En effet c’est quand l’histoire de l’Afrique bascule
dans l’horreur pour plusieurs siècles, que la Renaissance puis le commerce
triangulaire et enfin la révolution industrielle donnent à l’Europe un renouveau
économique culturel et démographique jamais atteint, qui lui assure la main mise sur
le monde. Les Européens sortent alors de leur continent et peuplent, outre les
Amériques, une grande partie de l’Océanie (l’Australie, la Nouvelle Zélande) et
s’installent en force tout autant en Afrique qu’en Asie. L’émigration des peuples qui
s’opérait alors de l’Europe vers les autres continents n’était pas un tabou comme
l’est celle qui se fait aujourd’hui en sens inverse.
Donc, en ce début du XVI° siècle où commencent en même temps la
transformation du monde et l’institution de la traite des esclaves, la population
africaine représente pense-t-on, 17 % de la population totale du monde ; en 1900,
au moment où la mainmise coloniale sur le continent était presque achevée, cette
proportion n’était plus que de 7%. En effet quand l’Europe accomplit sa mutation, la
traite des esclaves écume l’Afrique. Elle ne sera abolie qu’en 1815 par le Congrès de
Vienne, mais elle se poursuivra de façon clandestine jusqu’à l’abolition de l’esclavage
lui-même, qui n’interviendra en Amérique du Nord qu’après la guerre de sécession et
au Brésil vers la fin du XIX° siècle.

La « saignée sans fin », que fut donc la traite des esclaves, pour reprendre une
expression de l’historien français CHARLES DE LA RONCIERE que je cite dans ma
conférence inaugurale de l’Institut en 1990, était la cause principale du
dépeuplement de l’Afrique et ce dépeuplement affectait davantage les jeunes
générations plus aptes au travail dans les plantations et les mines du Nouveau
Monde. Ainsi, la traite aurait coûté au Continent de 100 millions à 200 millions de
personnes selon les estimations. Car aux esclaves arrivés dans les Amériques, il y a
lieu d’ajouter les nombreux morts durant la longue et pénible traversée de
l’Atlantique, ainsi que les victimes plus nombreuses encore, d’une part de la chasse à
l’homme dans le continent, dont LAS CASAS décrit les débuts dans son « Histoire
des Indes », et d’autre part, des guerres fratricides suscitées entre Africains par les
négriers pour alimenter leur lucratif commerce. Sans parler des déportations vers le
Moyen Orient qui ont précédé, et de loin, la traite atlantique et qui se sont
terminées bien après elle, mais sur lesquelles on ne possède pas de données
précises.
Après la traite négrière c’est, avec le partage du continent entre puissances
européennes, que le système colonial impose d’autres sources potentielles de
régression démographique comme le portage, et surtout le travail forcé des
indigènes qu’André Gide évoque dans son « Voyage au Congo ». Il ne faut pas
oublier non plus l’incorporation des indigènes des colonies dans les armées coloniales
durant la conquête du continent, puis pour le maintien de l’ordre colonial, et enfin
pendant les deux guerres mondiales. Les conséquences de ces faits sur l’évolution
démographique du continent sont peu étudiées.

On peut constater, cependant un renouveau démographique qui s’accentue après la
deuxième guerre mondiale, et surtout depuis les indépendances grâce notamment
aux progrès accomplis dans l’amélioration des conditions de vie et dans celle des
services de santé publique. Ainsi, le continent qui comptait 230 millions d’habitants
en 1950, a dépassé maintenant le milliard, et on estime que sa population pourrait
atteindre 2 milliards en 2050 et 4 milliards en 2100, soit, alors 35% de la population
totale du monde.
De telles perspectives comportent pour tout le continent, à la fois, des exigences
multiples et aussi l’espoir d’un avenir meilleur, à certaines conditions. Les exigences
concernent les efforts qu’il faut déployer pour nourrir, loger, habiller, assurer la
santé, éduquer, former, et fournir du travail à tous et surtout aux plus jeunes, alors
que déjà le continent arrive difficilement à assurer correctement la subsistance de
l’ensemble de sa population actuelle.

L’espoir d’un avenir meilleur repose, en grande partie, sur les aptitudes qui seront
données à la jeunesse, féminine et masculine, ainsi qu’au rôle qui lui sera assigné au
sein de chaque nation dans tous les secteurs et à tous les niveaux de la production
et des services. Mais c’est dans le domaine de la recherche scientifique et technique
et de l’innovation, clé de l’avenir, que leur rôle sera déterminant. D’où l’importance
qu’il y a lieu d’accorder à l’éducation et à la formation de la jeunesse (filles et
garçons ensemble) à tous les niveaux. Par éducation, j’entends non seulement
l’initiation aux connaissances acquises dans le monde et qui ont fait avancer les
diverses sociétés, mais aussi la connaissance de soi et des autres à travers ce qui fait
le fondement essentiel de chacun, à savoir la culture, et dans celle-ci, les valeurs
qui la sous-tendent.
En Afrique, je pense que nous devrions nous efforcer de sauvegarder, à travers
l’éducation et l’information au sens large du terme, les valeurs qui ont fait la force
de nos sociétés pendant les périodes les plus douloureuses de notre histoire. Il s’agit
notamment du sens de la responsabilité, de celui de la solidarité et de l’entraide
au sein de la famille, et par-delà celle-ci, au sein de la communauté nationale à
laquelle on appartient sans oublier la nécessaire solidarité africaine et l’intégration
régionale qui permettront de surmonter les faiblesses nées de nos divisions. L’Afrique
a sans doute manqué durant une longue période de son histoire de l’apport
consistant de sa jeunesse privant ainsi leurs sociétés de leurs éléments les plus
aptes à y impulser des changements qualitatifs.

A cela, s’ajoute le fait que durant la période coloniale, l’enseignement était peu
développé et que les jeunes indigènes n’accédaient qu’aux écoles les préparant à
des fonctions subalternes dans l’administration et le commerce. Le changement ne
commence à s’amorcer qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et c’est seulement avec les indépendances que l’enseignement est ouvert largement et que
les universités modernes fleurissent. Celles-ci ont donc une grande responsabilité
dans la formation et la recherche aussi fondamentale que pratique, qui doivent
changer le destin du Continent.
Je souhaite plein succès à vos travaux et vous remercie de votre attention. »

AMADOU MAHTAR MBOW Membre de l’Académie du Royaume du MAROC

Sunugal 24.net

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