Mame Less Camara, journaliste-analyste,Sénégal: Il ne faut pas croire qu’une opposition faible permet d’instaurer un régime stable

Le dialogue politique initié par le chef de l’Etat, Macky Sall, doit être l’occasion, pour le Sénégal, de renforcer son opposition. Car, selon le journaliste Mame Less Camara, une opposition faible n’est pas forcément synonyme de stabilité pour le régime actuel. Pour lui, il est temps de redonner à cette opposition sa véritable place sur l’échiquier politique national.

Le chef de l’Etat a décidé, ces temps-ci, de nouer le fil du dialogue avec l’opposition et les syndicats. En tant que analyste politique, qu’est-ce que cette démarche du président Macky Sall vous inspire ?

Le président de la République renoue avec une certaine tradition qui avait servi, sous le président Abdou Diouf notamment, de conclure un accord autour d’un nouveau code électoral et ce code a donné un nouveau cours à la démocratie sénégalaise en permettant deux alternances pacifiques à la tête de l’Etat. Et cela permet d’envisager un avenir plus serein pour la démocratie dans notre pays. Aujourd’hui, ne serait-ce qu’à titre exploratoire, le président de la République peut essayer de rencontrer l’opposition afin de passer en revue un certain nombre de sujets qui fâchent notamment le problème de la représentation parlementaire de l’opposition dont le groupe a été littéralement démantelé par un nouveau règlement intérieur. Les rapports entre l’Exécutif et le Législatif font toujours l’objet de débat à cause de la nette domination de l’Exécutif sur le Législatif qui n’est que le prolongement parlementaire du pouvoir gouvernemental et par delà, le pouvoir gouvernemental du parti qui est au pouvoir. Aujourd’hui, il est urgent, pour que la démocratie se redresse au Sénégal, que l’opposition soit réhabilitée, qu’on lui redonne des forces. Il ne faut pas croire qu’une opposition faible permet d’instaurer un régime stable. L’instabilité, c’est quand l’opposition trouve un exécutoire pour s’exprimer, pour s’adresser à la population et pour interpeller le gouvernement. Il faut aller vers cela et si c’est cela l’objet, cette rencontre politique se justifie. Maintenant, il faut éviter d’en faire un prétexte pour que l’opposition s’abattre littéralement sur le gouvernement ou un prétexte pour que la majorité démantèle une opposition presque aphone et manifestement désorientée.

Depuis l’annonce de cette initiative du chef de l’Etat, il y a eu des réactions de part et d’autre, tendant à fustiger cette démarche. Est-ce que, selon vous, ce dialogue n’est pas biaisé avant l’heure ?

C’est un peu le choc des extrémismes. Dans le monde, on gouverne actuellement au centre. On débat, on délibère et l’on discute au centre. Les extrémismes sont de plus en plus isolés, qu’ils soient de gauche ou de droite. Ce qu’il faut, c’est qu’entre personnes raisonnables et soucieux du devenir de leur pays, qu’elles puissent, par delà leurs différences, trouver des moyens de se reconnecter, de débattre et de reconnaître à chacun son droit à la différence, à des perspectives politiques différentes. Tous ces droits se rencontrent dans l’ambition commune de servir le Sénégal. Au nom de ce pays, il faut se rencontrer en toute bonne foi. S’il y a certains qui veulent faire passer des projets particuliers en essayant de tromper les autres ou l’opinion, cela ne passe pas. Il faut que la politique s’émancipe un peu plus de la ruse pour se mettre définitivement et totalement au service des populations. Il le faut, par respect pour la disponibilité de ces populations, par leur capacité à prêter l’oreille et à être en quête des débats de discussions et de négociations. Et si le peuple est souverain, comme on l’a toujours dit, cela veut dire qu’il a droit au respect.

Dernièrement, on a entendu Idrissa Seck de « Rewmi » souhaiter la création d’un Conseil suprême pour la République, qu’est-ce qu’une telle annonce veut dire dans ce contexte ?
Je pense que c’est lui seul qui peut expliquer le sens, les modalités et l’utilité de sa proposition. Je ne doute pas que cela ait un sens, les modalités d’application et un objectif précis doivent, cependant, être précisés. Mais c’est peut-être une demande de discussion, il faut qu’il rencontre les autres pour exposer son idée et accepter, si cette idée est rejetée, d’y renoncer, si ce n’est pas le point de vue majoritaire. Le problème que nous avons, paradoxalement pour un pays qui se vante d’être un pays de liberté d’expression et de démocratie, c’est que nous n’avons pas de rencontres délibératives, où les gens discutent, tâtonnent peut-être, mais sont animés par l’ambition de trouver la meilleure solution possible au service des Sénégalais. A l’Assemblée nationale, on ne débat pas, on se dispute et on se bat même, au Conseil économique social, non plus. Je ne pense pas que le Haut conseil des collectivités locales puisse réinventer, le débat politique…

Paradoxalement, la politique, c’est un débat d’idées…
C’est un débat d’idées en vue de gérer les affaires de la cité et des intérêts des populations.

Pensez-vous que ce dialogue qui est amorcé peut reconfigurer la classe politique sénégalaise ?

Non même pas. Je pense que les déterminants qui vont influencer le cours des choses au Sénégal sont déjà en place. C’est un gouvernement qui, dès son installation, était déjà en tête d’un second mandat et d’une opposition qui n’a pas laissé à ce gouvernement le temps de s’installer et qui veut déjà le contrer afin qu’il n’ait pas un second mandat. C’est une lutte du pouvoir pour le pouvoir, ce n’est pas encore une lutte du pouvoir pour la mise en application de programmes de développement.
Source:le soleil

commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Translate »
RSS
Follow by Email
YouTube
Telegram
WhatsApp