Venezuela: Transition démocratique, guerre civile ou intervention extérieure, quels sont les scénarios possibles?

VENEZUELA Alors que Paris, Londres, Madrid ont reconnu, ce lundi, Juan Guaido comme président par intérim, le pays se dirige-t-il vers une transition démocratique ou la guerre civile.

Guaido l’avait prévu, le mois de février sera « déterminant » pour le Venezuela. Paris, Londres, Madrid, Berlin, une vingtaine de capitales européennes ont reconnu, ce lundi, Juan Guaido comme le président en charge, l’appelant à organiser des élections au plus vite.

Un pas de plus vers la transition démocratique ou un risque accru d’escalade de la violence ? Trois éléments seront déterminants pour voir si dans les prochaines semaines le Venezuela s’oriente vers une transition démocratique ou une guerre : l’urgence humanitaire, le poids de l’armée et l’éventualité d’une intervention militaire américaine.

Tensions et dialogue

L’ultimatum lancé à Nicolas Maduro a expiré : les capitales européennes ont reconnu ce lundi Juan Guaido comme président en charge « Mais l’Europe joue un rôle secondaire, là où elle pèse, c’est en faisant le choix de s’aligner sur la diplomatie de Washington qui s’en trouve renforcée, analyse Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Amérique latine. Ce qui consolide la famille occidentale dans la diplomatie. Mais nourrit en même temps la fracture entre cette famille et d’autres puissances mondiales, Russie, Chine et Turquie ». D’ailleurs, le Kremlin a rapidement réagi, dénonçant une « ingérence » des Européens. Se dessine ainsi une carte du monde divisée entre soutiens de Guaido (Etats-Unis, Canada, Australie, Israël, Brésil, Colombie, Argentine, Chili, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Panama, Paraguay, Pérou et depuis ce lundi dix pays européens) et défenseurs de Maduro (Russie, Chine, Cuba, Bolivie, Turquie).

Pour autant, les Européens misent sur le dialogue pour trouver une sortie pacifique. En effet, l’Union européenne et l’Uruguay ont annoncé que la première réunion du groupe de contact pour favoriser l’organisation de nouvelles élections se tiendrait ce jeudi à Montevideo. « La position européenne semble plus diplomatique que celle des Etats-Unis, souligne Serge Ollivier, historien spécialiste du Venezuela, enseignant-chercheur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Pour le momentMontevideo et Mexico, qui sont restées neutres, peuvent jouer le rôle d’intermédiaires. » Un dialogue pour autant difficile : Guaido n’a pas prévu de participer à cette rencontre. Quant à Maduro, il risque de ne pas y adhérer puisque ce groupe exige des élections présidentielles dans les 90 jours.

L’impasse politique

Mais revenons sur la situation politique plus que tendue au Venezuela. D’un côté, Juan Guaido, 35 ans, a été élu en décembre président de l’Assemblée nationale, seul organe du pouvoir aux mains de l’opposition. Il souhaite faire tomber Maduro et réclame des élections présidentielles. De l’autre, un Nicolas Maduro réélu président pour six ans en mai dernier par des élections, jugées truquées et non reconnues par l’opposition. Maduro a toujours refusé d’organiser des élections présidentielles… et répond à ces exigences par des élections législatives, une solution toute tracée pour se débarrasser de Juan Guaido. « D’ailleurs, Maduro est déjà en train de mettre en place ces élections législatives », précise le chercheur de l’IRIS. Mais qui des deux présidents auraient la préférence du peuple ? Pas évident de le savoir dans ce pays où les médias ne sont plus libres et les élections contestées. « Le chavisme conserve des bases fortes, avance le chercheur qui ose une métaphore footballistique. On peut tout à fait contester le coach -Maduro- mais conserver un attachement au maillot. » Signe de cette polarisation : samedi dernier, beaucoup de partisans de Guaido ont manifesté, mais aussi des chavistes pro-Maduro.

L’urgence humanitaire

Mais le quotidien des Vénézuéliens, c’est surtout des privations et une peur du lendemain. Pénuries de nourriture, de médicaments, exode massif dans les pays voisins… « Cette reconnaissance de l’Europe est une nouvelle étape dans le bras de fer avec Caracas dont la question humanitaire sera le nouveau chapitre », souligne Christophe Ventura. Juan Guaido a en effet annoncé l’arrivée d’une aide humanitaire par trois points : la frontière colombienne, brésilienne et une île des Caraïbes. Une aide nécessaire, à hauteur de 20 millions de dollars, mais qui aura du mal à entrer dans le pays, encore gouverné par Maduro. Cette stratégie a un double objectif, selon Serge Ollivier, « politiquement cela donne à Guaido les habits du bienfaiteur du peuple alors que Maduro reste associé à cette crise alimentaire et sanitaire catastrophique. Mais l’autre but, c’est de pousser l’armée à désobéir à Maduro, c’est-à-dire laisser l’aide humanitaire rentrer. Il espère provoquer des défections. » Car l’armée également est traversée par des inégalités criantes entre des hauts gradés qui profitent du régime et une masse de soldats touchés par la précarité.

L’armée, clef de voûte de la transition démocratique

L’armée est d’ailleurs l’autre grande inconnue et question incontournable de cette éventuelle transition démocratique. « Les militaires contrôlent la force, mais aussi l’économie, souligne Serge Ollivier. Nicolas Maduro a nommé près de 2.000 généraux qui ont la main sur les entreprises publiques, les procédures d’expropriations de PME, les frontières, donc les importations et tous les trafics dont le narcotrafic. Voilà pourquoi les Etats-Unis ont voulu imposer des sanctions économiques. Environ 70 % des ventes de pétrole vénézuélien sont faites avec les Américains. Couper cette machine à liquidités, c’est prendre le pari de voir les soutiens de Maduro le lâcher. » Et notamment l’armée qui verra ses privilèges fondre. « Aujourd’hui il y a quelques défections, certes, mais l’armée reste structurellement loyale au président Maduro », nuance le chercheur de l’IRIS. Il n’empêche : Juan Guaido a bien mesuré le poids de l’armée et tente de la séduire en proposant une loi d’amnistie.

Et le temps joue en sa faveur. « Parce que les soutiens se multiplient de son côté… et les défections côté Maduro, analyse Serge Ollivier. Vendredi dernier, la Chine a déclaré être en discussion avec toutes les parties au Venezuela, la Chine ne fait pas du maintien de Maduro un principe. » Mais à l’intérieur aussi, Maduro se retrouve de plus en plus fragilisé. En effet, samedi un général vénézuélien a fait allégeance à Guaido. « Mais il y a aussi des policiers, si ce genre de cas isolés se multiplient, cela pourra peser dans la balance, reprend l’historien. D’ailleurs, la prochaine manifestation est prévue pour le 12 février, ce qui montre à quel point l’opposition sait qu’elle a le temps pour elle. »

Une intervention américaine ?

Troisième grande interrogation concernant l’avenir du Venezuela : les Américains sont-ils prêts à intervenir ? Donald Trump a assuré que l’action militaire était une option. Le président colombien est d’ailleurs attendu aux Etats-Unis les 13 et 14 février. « Cette action humanitaire à la frontière avec la Colombie pourrait permettre une intervention militaire, avance le chercheur à l’IRIS. Il y a manifestement des mouvements et une parole donnée qui confirment la possibilité d’une intervention américaine. » Maduro a d’ailleurs mis en garde Donald Trump : « pourquoi souhaiteriez-vous une répétition du Vietnam ? »

Un risque, pour Christophe Ventura d’« une escalade qui aboutirait à une guerre civile dans laquelle se mêlerait une forme d’intervention extérieure. Le Venezuela pourrait devenir une Syrie en Amérique latine. Le scénario inflammable est tout à fait plausible avec des conséquences incalculables. »

commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Translate »
RSS
Follow by Email
YouTube
Telegram
WhatsApp