Qatar-Arabie Saoudite : le ni-ni des pays maghrébins

Pour notre source, si une telle information a fuité du cabinet de l’émir du Qatar, c’est pour souligner que le petit émirat n’est pas isolé et qu’il compte encore des alliés. D’autant que Mohammed VI jouit d’une grande popularité chez les Qataris depuis sa dernière visite officielle à Doha, en novembre 2017. Le souverain marocain avait même été surnommé briseur de blocus, en référence à l’embargo imposé par l’Arabie saoudite et ses alliés depuis juin 2017.

Rapprochement qatari-marocain

D’ailleurs, depuis le déclenchement de la crise entre les frères du Golfe, l’axe Rabat-Doha s’est considérablement renforcé. Fini les crises diplomatiques sur fond de sujets polémiques diffusés par Al-Jazira. La chaîne qatarie a même concédé les droits du Mondial de Russie aux télévisions marocaines. Mieux : les Marocains ont bénéficié, à l’image de nombreux pays européens, de mesures de facilitation de visas décidées par le Qatar l’automne dernier.

Autant de renvois d’ascenseur pour la position marocaine au lendemain du déclenchement de la crise politique l’été dernier. Le royaume avait envoyé une aide alimentaire au Qatar et adopté officiellement une position de neutralité. Depuis, au sommet des deux États, les relations sont de plus en plus cordiales.

L’Arabie saoudite semble être dans une logique de l’« avec ou contre moi »

Et les relations économiques, de plus en plus denses. Fin février, une mission d’affaires économique marocaine a fait le déplacement au Qatar dans l’espoir de doper les échanges commerciaux entre les deux pays, qui dépassent à peine 70 millions de dollars (56 millions d’euros). Une réunion de la haute commission mixte est prévue en mars pour consolider ce partenariat économique.

Ce rapprochement avec le Qatar n’est certainement pas pour plaire à l’Arabie saoudite, qui semble être dans une logique de l’« avec ou contre moi ». Mais pour l’heure, Riyad n’a adressé aucun reproche officiel à Rabat, qui fait tout pour ne pas froisser cet allié important. La diplomatie marocaine s’est d’ailleurs bien gardée d’émettre le moindre commentaire sur la purge conduite par le prince héritier saoudien en respectant le principe de non-ingérence, et elle cherche surtout à développer ses relations économiques avec le royaume wahhabite, qui s’est lancé dans des projets d’investissement titanesques.

Début février, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Mohammed Ali Lazreq, a été dépêché à Riyad à la tête d’une délégation pour une réunion préparatoire de la 13e session de la Commission mixte de coopération maroco-saoudienne, prévue en 2018 à Rabat. Le niveau de représentation saoudienne à cet événement sera un indicateur de la solidité de l’axe Rabat-Riyad. Et, de facto, de l’impact du réchauffement diplomatique avec le Qatar.

La Tunisie et les « deux pays frères »

Obligée de Riyad et de Doha pour leur soutien financier, la Tunisie tente de se tenir à égale distance des deux, dans le droit fil de sa tradition de neutralité diplomatique. Hostile à Ben Ali les années précédant sa chute, la chaîne Al-Jazira avait rapproché le Qatar d’une partie de l’opposition tunisienne, propulsée au pouvoir après la révolution de 2011.

Sous le gouvernement de la troïka, conduit par les islamistes d’Ennahdha de 2012 à 2013, le Qatar avait intensifié sa coopération, investissant, entre 2012 et 2016, plus de 100 millions de dollars et accordant en 2012 un prêt de 500 millions de dollars. Pour le rembourser d’ici à 2022, la Tunisie empruntera 1 million de dollars à l’émirat en 2017. L’émir Hamad Ibn Khalifa Al Thani sera même l’invité d’honneur du premier anniversaire de la révolution.

Mais l’opposition dénonce l’ingérence du Qatar, qui finance très généreusement, via Qatar Charity, de nombreuses associations humanitaires et caritatives dont certaines véhiculent l’idéologie islamiste, voire favorisent l’envoi de jeunes en Syrie pour faire le jihad, comme l’attesteront en 2017 les conclusions d’une commission d’enquête de l’Assemblée des représentants du peuple.

La chute de la troïka, la mise à l’écart des Frères musulmans en Égypte, les difficultés politiques de l’émirat et l’intronisation du jeune Tamim Ibn Hamad mettent un frein à la visibilité du Qatar en Tunisie, même si Doha cofinancera, avec la France, la conférence Tunisia 2020.

Les relations Riyad se sont relativement réchauffées depuis 2013

Le rapprochement de Tunis avec Doha avait jeté un froid à Riyad et à Abou Dhabi, défavorables au Printemps arabe, perçu comme une menace pour leurs régimes. Alliés historiques des Saoud, les Émirats arabes unis ne voient pas d’un bon œil la révolution tunisienne et l’émergence des islamistes, qu’ils voudraient voir écartés, comme en Égypte.

Signe des tensions entre les deux pays : l’instauration d’un visa pour les Tunisiens et l’interdiction faite aux Tunisiennes, en décembre 2017, d’embarquer à bord des vols d’Emirates. En cause, la visite du président turc, Recep Tayyip Erdogan, début janvier, en Tunisie, qu’Abou Dhabi désapprouve.

Quant aux relations avec Riyad, elles se sont relativement réchauffées depuis 2013. Tous les gouvernements qui ont succédé à la troïka ont souhaité « lever la moindre équivoque entre les deux pays frères », comme l’a souligné Mehdi Jomâa, chef du gouvernement en 2015. Des sources diplomatiques tunisiennes assurent que Mohammed VI a joué un rôle dans ce réchauffement.

Alliés contre le terrorisme ?

L’effet ne s’est pas fait attendre : le royaume finance des projets d’investissement à hauteur de 800 millions de dollars et s’attelle à la réhabilitation de la mosquée Okba Ibn Nafaa ainsi qu’à la construction de trois hôpitaux, à Kairouan et dans sa région. En 2015, la Tunisie rejoint même, sans envoyer de troupes, la coalition islamique contre le terrorisme emmenée par Riyad, qui lui livre dans la foulée des chasseurs F-5.

En adhérant à la coalition antiterrorisme, la Tunisie a reconnu implicitement le leadership des saoudiens contre l’Iran et cela leur suffit

Partant du principe que « chaque pays fera selon ses moyens et sa volonté » pour lutter contre le terrorisme, la coalition estime que la Tunisie joue son rôle avec la lutte qu’elle a engagée sur son propre territoire. « Les Saoudiens ne demandent rien à la Tunisie. En adhérant à la coalition, elle a reconnu implicitement leur leadership contre l’Iran et cela leur suffit », explique un ancien diplomate tunisien.

La mise au ban, en 2017, du prince Al-Walid Ibn Talal et de Salah Abdallah Kamel, fondateur du groupe Dallah Albaraka, promoteur du projet immobilier des Berges du lac, à Tunis, a privé la Tunisie de deux de ses interlocuteurs dans le royaume, mais sa diplomatie continue à maintenir son cap de neutralité en évitant les sujets qui fâchent : l’asile accordé par Riyad à Ben Ali, dont la Tunisie a réclamé l’extradition en 2012, et la révision du quota des pèlerins tunisiens.

L’Algérie et la sagesse du dialogue

Dans les vastes contrées des Hauts Plateaux ou dans les immenses étendues du désert algérien, il n’est pas rare que dignitaires saoudiens et qataris se côtoient à distance durant les longues parties de chasse à l’outarde, à la gazelle ou autres espèces protégées, sous l’œil bienveillant des services de sécurité algériens. C’est dire si les autorités locales tiennent à entretenir des relations cordiales avec les deux frères ennemis.

Depuis l’indépendance, la tradition de la diplomatie algérienne a toujours été de se tenir à équidistance des pays arabes ou musulmans en conflit. Au besoin, les Algériens n’hésitent pas à proposer leurs bons offices, comme ce fut le cas en 1975 lors de la réconciliation entre l’Iran et l’Irak ou dans les années 1980 durant le conflit meurtrier qui a opposé ces deux pays. Cette position de neutralité continue de se vérifier.

Plutôt que de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux belligérants, Alger prône le dialogue et la sagesse. Une doctrine d’autant plus marquée que le président Bouteflika, qui a longuement séjourné dans le Golfe durant sa « traversée du désert », dans les années 1980, entretient des liens privilégiés avec des princes saoudiens, émiratis ou qataris.

L’épisode de l’accord historique scellé en novembre 2016 entre pays membres et non membres de l’Opep pour réduire la production pétrolière permet de mieux saisir la portée de ce rôle de « médiateur sage ». Les interlocuteurs algériens avaient réussi, à force de persuasion et de diplomatie, à convaincre Saoudiens, Qataris, Irakiens et Iraniens de conclure un deal qualifié d’historique.

Entre Alger et Doha, les relations s’étaient nettement dégradées lors du Printemps arabe de 2011. Les Algériens soupçonnaient le petit émirat de soutenir politiquement et financièrement des opérations visant à déstabiliser l’Algérie. Ces tensions et frictions, qui se sont estompées avec le temps, n’ont pas empêché les affaires de prospérer.

L’Arabie saoudite continue de soutenir directement ou indirectement des associations religieuses algériennes

En témoignent deux investissements qataris colossaux : le complexe de sidérurgie implanté à Jijel pour un coût de 2 milliards de dollars et la réussite d’Ooredoo, sponsor du PSG ou du Real Madrid, devenu, en l’espace de dix ans, l’un des principaux opérateurs de téléphonie en Algérie.

Si les investissements saoudiens sont moins importants, Riyad jouit toujours d’une aura et d’une influence prépondérantes. Des milliers d’Algériens se rendent chaque année sur les lieux saints pour le rituel du hajj. L’Arabie saoudite continue de soutenir directement ou indirectement des associations religieuses algériennes, quand bien même la mouvance islamiste locale a pris ses distances avec le wahhabisme ou la confrérie des Frères musulmans égyptiens, leur préférant le modèle turc ou malaisien.

Signe que tout va pour le mieux entre Alger et Riyad, le ministre de l’Intérieur du royaume, Abdelaziz Ibn Saoud, a effectué, début mars, une visite officielle de trois jours en Algérie.

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