Macky, 5 ans au pouvoir (4/11) : «Les Sénégalais sont pressés»

Le professeur de Sciences politiques Ibou Sané estime que le bilan des 5 ans de Macky Sall au pouvoir est contrasté. Dans cet entretien avec Seneweb, il explique.

Comment appréciez-vous le bilan des 5 ans de Macky Sall au pouvoir ?

Pour faire le bilan de Macky Sall, il faut regarder ce qui s’est passé avant. Quand le Président prenait le pouvoir, le Sénégal était presque à terre. La situation économique était catastrophique. Le taux de croissance était très faible, il était à environ 1,5 à 2%. Il y avait des crises dans tous les secteurs d’activité, principalement sur le plan politique. Le Président Abdoulaye Wade avait encouragé la dévolution monarchique du pouvoir et il a fallu que la société civile, les partis politiques se mettent ensemble pour combattre son projet.

Sur le plan économique, le bilan n’était pas reluisant. Il y avait beaucoup de problèmes, même s’il faut reconnaître que le développement pouvait passer par les infrastructures et les équipements. Avec le plan d’ajustement structurel imposé par le Président Abdou Diouf, les Sénégalais avait réussi à garder de l’argent. C’est ce dont Wade a hérité. Malheureusement, il y avait beaucoup de scandales financiers. Les voyants étaient tous au rouge.  Wade a bien travaillé mais aussi il a laissé des difficultés au pays.  Quand Macky Sall est arrivé, il y a eu beaucoup plus de problèmes parce que tout était priorité.

D’où la rupture voulue par les Sénégalais en sanctionnant Wade.

Il l’a compris. Il n’a pas lâché le morceau. Fallait-il inventer un autre projet de développement ? Oui, le Président Macky Sall a compris qu’il fallait rompre avec les paradigmes dominants à l’époque : l’économie extravertie, l’économie passe partout. Macky Sall a compris que notre développement devait être endogène, autrement dit le développement économique local, communautaire, tel que véhiculé à l’époque par le Président Mamadou Dia en 1963. C’est là qu’il a compris qu’il faut mettre un nouveau plan, le Plan Sénégal émergent (Pse), que les gens ont décrié, mais qui commence à donner ses fruits. Il a compris qu’il faut développer le Sénégal des profondeurs en luttant contre l’exode rural, la démographie, fixer les populations dans leurs terroirs en créant des emplois.

Vous dites qu’il a compris qu’il fallait rompre avec les paradigmes de la présidence de Wade, mais l’a-t-il fait ? Dans quels domaines avez-vous senti une vraie rupture ?

Il a concentré des investissements et des efforts sur l’agriculture dans le Nord, même si par ailleurs la crise casamançaise ne nous a pas aidés. Il aurait pu mettre l’accent sur l’agriculture en Casamance même s’il a compris qu’il peut valoriser les terres de l’Anambé. Premier accent, c’est l’autosuffisance alimentaire, mais il faut aller au-delà. L’autosuffisance dans tous les domaines pour que le slogan «Sénégal émergent» soit un élément catalyseur, un élément de revitalisation,  d’encouragement des Sénégalais à penser qu’un jour on peut aller vers le progrès.

C’est une bonne orientation, le fait d’avoir mis l’accent sur l’agriculture qui commence à donner ses fruits. Aujourd’hui, nous avons 950 mille tonnes de riz. C’est bon, c’est encourageant pour l’avenir. N’eut été le problème de la Casamance, on aurait dépassé ce stade parce que la Casamance a les meilleures terres d’Afrique. On peut dire que sur le plan économique, le bilan est un peu reluisant. Puisque dans tous les secteurs, ça marche bien. Sauf que les gens disent que l’argent ne circule pas. Pour que l’argent circule, il faut que les gens travaillent. Mais ils ne veulent pas. A moins qu’on injecte l’argent hors circuit.

Sommes-nous sur la voie de l’émergence ?

Ce n’est pas en un coup de bâton magique que le Président Macky Sall va régler les problèmes des Sénégalais en un temps record, ce n’est pas possible. Il faut laisser le temps au temps. Malheureusement, les gens sont tellement pressés, ils veulent avoir de très bons salaires sans travailler. Le Président est obligé de jouer, avec intelligence et finesse, avec le corps enseignant pour essayer de leur faire comprendre qu’ils peuvent tout avoir mais il faut aller avec méthode pour que le budget du Sénégal ne percute pas, parce qu’il ne peut pas tout prendre en charge.

Pudc, Pracas, Procas… : ces programmes ont-ils un impact réel sur le quotidien des Sénégalais, comme le prétendent les autorités étatiques ?

Les gens parlent beaucoup, mais ne vont pas à l’intérieur du pays. Il faut qu’ils fassent un tour à l’intérieur du pays. L’électricité et l’eau sont disponibles aujourd’hui dans certaines contrées reculées du Sénégal des profondeurs. On est en train de mettre en place des pistes de production. Certains équipements et infrastructures sont en train d’être mis en place. Je pense que c’est encourageant sauf qu’il faut demander de faire plus. Il a osé, il a tenté et on voit des résultats qui commencent à venir, des résultats qui sont encourageants. On doit également instaurer une culture de l’évaluation. Chaque étape doit être évaluée avant d’entamer une nouvelle.

Macky Sall est en train de mettre en place le développement tel que vécu par les Canadiens. Le Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc) conforte ma thèse, le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture (Pracas), le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma), les pôles de développement territoriaux. Tout ceci c’est pour booster la production et permettre au Sénégal d’avoir suffisamment de production et de préparer l’autosuffisance sur tous les plans. Je pense que c’est une bonne vision en matière de développement, mais cela demande beaucoup de moyens et d’argent.

 

En matière d’emploi, la machine semble grippée.

Le gros chantier de Macky Sall c’est le problème de l’emploi. C’est là où il doit accélérer le processus. En réalité, l’Etat ne peut pas créer d’emplois. Il ne peut créer que les conditions pour la création d’emplois. Les grands créateurs d’emplois, c’est le secteur privé. Or le secteur privé au Sénégal est très frileux. C’est un secteur qui, à la fois veut attendre tout de l’Etat et veut profiter de l’Etat. Dans d’autres pays, le secteur privé est puissant. Le secteur privé doit accompagner l’Etat dans son effort de modernisation de l’économie.

D’aucuns considèrent qu’il y a un recul démocratique avec les récurrentes interdictions des manifestations et les procédures judiciaires contre certains opposants. Êtes-vous de cet avis ?

On veut nous faire croire que le chef de l’Etat envoie tout le monde en prison. Qu’il crée les barrières pour ne pas avoir de concurrent sur le plan politique. C’est dès le départ que la classe politique Sénégalais a tout faussé. L’opposition ne respecte pas le Président. Bien souvent on ne l’appelle pas «Monsieur» mais «Macky Sall». Or, il dirige une institution, qu’il faut respecter.

Vous n’avez pas répondu à la question.

C’est nous qui avions dit reddition des comptes. Ils disent que la justice est inféodée à l’exécutif. Je vous rappelle que Montesquieu n’a jamais dit séparation des pouvoirs. Il a dit «théorie de la séparation des pouvoirs». Il n’y a aucun pays au monde où il y a une séparation nette entre l’exécutif, le judiciaire et le législatif. Les Etats Unis ne sont pas un modèle de démocratie. C’est de la démocratie indirecte qui s’applique là-bas. La preuve : Hillary Clinton a eu 2 millions de voix, elle n’a pas été élue car ce sont les grands électeurs qui élisent. Le jour où il y aura séparation, vous verrez comment les juges vont neutraliser la classe politique. Ce jour–là, nous allons tous le regretter.

Donc vous êtes d’accord avec ceux qui disent que l’exécutif instrumentalise la Justice ?

Au Sénégal, chaque fois qu’un homme politique est convoqué, on dit que c’est politique même quand il puise dans les caisses. L’argent appartient au peuple. C’est le peuple qui élit, il doit avoir des comptes. Certains rapports de l’Ige sont des recommandations pour une meilleure qualité de la gestion. Quand c’est grave, il saisit la justice. On a donné des pouvoirs à l’Ofnac en lui demandant de transmettre immédiatement les rapports au Procureur. Mais c’est au Procureur d’apprécier l’imminence des poursuites.

Mais il y a comme une justice à deux vitesses.

Ce n’est pas une justice à deux vitesses. Ce n’est pas une justice pour un parti politique. C’est une justice pour tout le peuple sénégalais. Les religieux commencent à intervenir dans l’affaire Khalifa. C’est pour vous montrer combien il est difficile de gérer des affaires au Sénégal. L’opération mains propres, mouchoir blanc, je n’y crois pas.

Comment comprendre que le chef de l’État déclare ouvertement qu’il a mis sous le coude certains rapports des corps de contrôle ? Une telle déclaration ne serait-elle pas de nature à décrédibiliser ses assurances de neutralité ?

Le Président voulait dire qu’il y avait tellement de dossiers sous Wade que s’ils les sortaient, ça serait la catastrophe. Déjà avec la Crei, les Sénégalais ont demandé une pause, certains religieux ont dit qu’il faut tout arrêter. Nous voulons une chose et son contraire. Les Sénégalais sont versatiles. Ce sont les gens les plus compliqués au monde.

 

Auteur: Chamsidine SANÉ – Seneweb.com

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