Le socialisme fait une percée aux États-Unis pour les élections de mi-mandat

Aux États-Unis, le socialisme est longtemps resté un terme menaçant, car synonyme de communisme. Mais aujourd’hui, les candidats aux idées très progressistes n’hésitent plus à réclamer une réorientation à gauche du Parti démocrate.

Samedi 21 juillet, une journaliste du site d’informations ultra-conservateur Daily Caller assiste à un meeting de la nouvelle star de la gauche américaine : Alexandria Ocasio-Cortez, en campagne pour les élections de mi-mandat de novembre. « J’ai vu quelque chose de vraiment terrifiant », écrit la reporter. « J’ai vu à quel point il serait facile, si je n’étais pas si certaine des fondements et de l’histoire de notre nation, d’être séduite par les paroles populistes lancées depuis la scène. »

 

Ces quelques lignes empreintes de cynisme sont révélatrices de l’évolution des mentalités aux États-Unis ces dernières années. Dans un pays où le capitalisme est roi, le socialisme, qui a longtemps renvoyé pour de nombreux Américains aux pires aspects du communisme en URSS, est de moins en moins tabou. Un sondage Gallup publié en août montre que pour la première fois depuis qu’une telle étude existe, les démocrates ont une meilleure image du socialisme que du capitalisme. C’est d’ailleurs un peu moins la vision du socialisme qui a changé (57 % des démocrates en pensent du bien en 2018, contre 53 % en 2010) que celle du capitalisme : 53 % des démocrates en avaient une bonne opinion en 2010, contre seulement 47 % aujourd’hui.

Quelques signes de ce phénomène sont visibles dans les urnes. Dans son district couvrant une partie du Bronx et du Queens à New York, Alexandria Ocasio-Cortez, 29 ans, a remporté fin juin une victoire inattendue aux primaires contre le baron démocrate local. Depuis, c’est une rock star. Assurée d’être élue le 6 novembre, elle vient prêter main forte à d’autres candidats.

Dette étudiante monstrueuse

Disciple de l’ex-candidat à la présidentielle Bernie Sanders, la candidate se dit ouvertement socialiste : elle est membre des Democratic Socialists of America (DSA). Assurance santé publique pour tous, université gratuite, suppression de la police de l’immigration (ICE) : son programme est radical. Surtout dans un État où les jeunes travailleurs démarrent avec une dette étudiante monstrueuse et où l’assurance santé est si chère que beaucoup d’Américains préfèrent s’en passer.

Comme elle, d’autres candidats ultra-progressistes ont remporté une victoire surprise aux primaires où ils confrontaient l’ »establishment » démocrate. Dans le Michigan, Rashida Tlaib, fille d’immigrés palestiniens, est assurée de devenir la première femme musulmane élue à la Chambre des représentants. Elle aussi a été adoubée par les proches de Bernie Sanders et les socialistes-démocrates.

 

En Floride, Andrew Gillum, candidat au poste de gouverneur, est un autre poulain de « Bernie ». Il a remporté la primaire en faisant notamment campagne sur un salaire minimum de 15 dollars de l’heure. Dans les élections locales aussi, des candidats socialistes ou soutenus par le DSA sont en lice, comme Julia Salazar à New York, Sara Innamorato en Pennsylvanie ou Gabriel Acevero dans le Maryland. Au total, le DSA affirme soutenir plus de 50 candidats victorieux aux primaires.

Occupy Wall Street et Bernie Sanders, les catalyseurs

L’origine de ce phénomène « remonte à la crise financière de 2008 », explique l’historien Maurice Isserman, professeur au Hamilton College et lui-même membre du DSA. « Les jeunes aux États-Unis continuent de sentir les conséquences de cette crise aujourd’hui : la dette étudiante est devenue un problème croissant et les emplois stables et bien payés, qui auparavant leur auraient permis de rembourser leur emprunt ou de devenir propriétaires, sont de plus en plus rares. »

Conséquence, selon l’universitaire : « Les Millennials croient de moins en moins à la durabilité et aux bénéfices du système capitaliste. Par ailleurs, plus de 20 ans ont passé depuis la chute de l’Union soviétique, et les vieilles craintes associées au socialisme – ‘Un peu plus et c’est le communisme, encore un peu plus et c’est le goulag’ – n’existent plus au sein de la nouvelle génération. »

L’après-crise, explique Maurice Isserman, a fait naître de nouveaux mouvements sociaux, comme Occupy Wall Street en 2011 et Black Lives Matter en 2012 : « Il n’y aurait pas eu Bernie Sanders sans Occupy Wall Street. Même si ce mouvement a disparu rapidement, ses thèmes, comme l’inégalité des revenus, et ses slogans, comme ‘les 1 % contre les 99 %’, ont vraiment permis de changer le débat politique. »

« Soudain, cet homme arrive en se présentant comme un socialiste-démocrate [sans pour autant être membre du DSA, NDLR]. Des dizaines de milliers de personnes se sont mises à chercher le terme peu familier de ‘socialisme-démocratique’ sur Google. Beaucoup sont tombées sur le site du DSA. Résultat : le DSA, fondé en 1982, et qui avait entre 6 000 et  7 000 membres en 2016, a commencé à grossir très vite. »

Donald Trump, le déclic

Aujourd’hui, le DSA revendique environ 50 000 membres, de plus en plus jeunes. « Depuis l’élection de 2016, l’âge moyen a basculé de 65 à 30 ans », détaille Chris Maisano, un cadre du DSA basé à New York. « J’avais l’habitude d’être le plus jeune dans la salle, mais à présent, j’ai 36 ans, et je fais quasiment partie des vieux ! », plaisante-t-il. « Bernie a amorcé l’intérêt du public américain, en particulier des jeunes, pour le socialisme démocratique », analyse Chris Maisano. « Le choc de l’élection de Trump les a poussés à s’organiser politiquement. »

C’est le cas de Margaret McLaughlin, 28 ans, militante du DSA à Washington D.C. Cette ancienne démocrate pro-Sanders a rejoint le mouvement au lendemain de l’élection présidentielle, le 9 novembre 2016. « Je me suis toujours considérée à gauche de l’establishment démocrate, mais ces dernières années, le système politique binaire aux États-Unis s’est désintégré », explique-t-elle. « Les Américains sentent qu’ils peuvent se revendiquer autre chose que démocrate ou républicain. » Ces derniers mois, depuis la victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez aux primaires, Margaret McLaughlin a vu les membres de sa section locale du DSA se multiplier : « Nous avons été rejoints par 400 nouveaux membres et nous sommes désormais 1 600. »

Si la jeune femme se dit « certaine » de voir de nombreux progressistes et socialistes-démocrates élus le 6 novembre sous la bannière démocrate, elle n’est pas sûre que le Parti démocrate accepte de leur donner la place qu’ils méritent à l’avenir. C’est pourquoi, sur le long terme, elle verrait bien un « vrai parti des travailleurs ». D’autres ne sont pas d’accord avec elle.

Les démocrates sont hésitants

En effet, le DSA n’est pas un parti politique à proprement parler mais plutôt une « grosse tente » qui abrite plusieurs courants, selon l’historien Maurice Isserman : « La nouvelle génération au DSA n’a pas une vision politique uniforme. Certains ont gardé la vision traditionnelle de Harrington [le fondateur du DSA], qui est d’être ‘l’aile gauche du possible’, c’est à dire d’opérer à l’intérieur-même du Parti démocrate. » C’est le cas d’Alexandria Occasio-Cortez. « Il y a aussi ceux qui sont très gênés par le Parti démocrate, qui ont un pied dedans, un pied dehors, ceux à qui Hillary Clinton faisait un effet repoussoir et qui espèrent un jour la naissance d’un troisième parti explicitement socialiste », ajoute Maurice Isserman.

 

Le cadre du DSA Chris Maisano confirme ces « nombreuses tendances en interne », mais rapporte que lors de la convention nationale de 2016, l’organisation a défini trois priorités : soutenir les candidats socialistes et progressistes aux élections, se coordonner avec les syndicats et construire un mouvement national en faveur de l’assurance santé universelle.

Si 50 000 socialistes-démocrates encartés ne représentant pas grand chose au regard d’une population de 325 millions d’Américains, les propositions socialistes, elles, imprègnent de plus en plus l’idéologie d’une partie du camp démocrate. Quelques thèmes prisés par l’aile gauche, comme l’assurance santé universelle, commencent ainsi à être adoptés même par le camp modéré. « La diversité aide le parti. La critique constructive est la bienvenue », affirme au New York Times Christine Pelosi, une membre du Parti démocrate qui aide le mouvement à rester connecté aux militants sur le terrain.

 

Pourtant, d’autres démocrates craignent que des candidats ouvertement socialistes, ou aux propositions trop radicales, aient davantage de difficultés à battre un Républicain. La proposition de supprimer la police aux frontières, par exemple, pourrait refroidir les électeurs modérés. À cet égard, les élections du 6 novembre feront figure de test pour le programme du candidat démocrate en 2020.

France 24

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