Le jour où l’Espagne a fait jouer de faux déficients mentaux aux Jeux paralympiques de Sydney

Le film « Chacun pour tous », au cinéma le 31 octobre, s’inspire d’un triste épisode de l’histoire des Jeux paralympiques, lorsque l’Espagne avait fait concourir de faux handicapés mentaux à Sydney en 2000.

Les scandales de triche dans le sport se suivent mais ne se ressemblent pas tous. À l’automne 2000, le monde du sport adapté était secoué par les révélations d’un journaliste espagnol qui, après avoir infiltré l’équipe nationale de basket-ball à Sydney, assurait que 10 des 12 joueurs n’étaient pas du tout handicapés mentaux.

Quelques mois après la sortie du film « Campeones » du réalisateur espagnol Javier Fesser inspiré de cette affaire, le Français Vianney Lebasque raconte lui aussi cette histoire dans « Chacun pour tous », une comédie romantique avec Jean-Pierre Darroussin, Ahmed Sylla et Camélia Jordana, en salles le 31 octobre. L’occasion de revenir sur l’un des plus gros scandales de l’histoire des Jeux paralympiques.

24 octobre 2000 à Sydney. Après avoir dominé la compétition depuis dix jours, l’Espagne bat la Russie 87 à 63 en finale de l’épreuve de basket-ball réservée aux déficients mentaux. Les joueurs ibériques montent sur le podium pour recevoir leur breloque d’or, et participent ainsi à la troisième place historique de l’Espagne au tableau des médailles, juste derrière l’Australie et le Royaume-Uni.

Un journaliste infiltré révèle le scandale

Quelques semaines plus tard pourtant, Carlos Ribagorda renvoie sa médaille au siège des Jeux paralympiques à Bonn. Infiltré depuis bientôt deux ans au sein de l’équipe nationale de basket adapté, l’homme ne souffre d’aucune déficience mentale. Il est en fait journaliste pour le magazine Capital et révèle le scandale. Selon ses dires, dix des douze joueurs de la sélection sont totalement valides. Ils auraient été recrutés pour augmenter les chances de médailles et de subventions de la Fédération espagnole de sports pour les déficients mentaux (FEDDI).

Alors que les joueurs de cette catégorie doivent avoir un QI égal ou inférieur à 75, Carlos Ribagorda assure n’avoir passé aucun test intellectuel au cours des deux années passées dans l’équipe. Le seul examen médical aura été pour lui un relevé de pression sanguine après six pompes. Et à Sydney, le handicap mental des joueurs n’a jamais été vérifié par le Comité international.

 

 

Quelques jours avant les révélations du magazine Capital, la rumeur avait déjà commencé à enfler en Espagne après la publication en une par le quotidien sportif Marca d’une photo de l’équipe de basket-ball victorieuse à Sydney. Plusieurs lecteurs assuraient avoir reconnu des personnes sans aucune déficience mentale. Et le magazine spécialisé Gigandes avançait que de nombreux joueurs venaient de clubs amateurs assez populaires, et qu’au moins un était employé par un club professionnel.

« Au moment de retourner en Espagne, ils nous ont dit que, à cause d’une photo publiée dans Marca après notre médaille d’or, beaucoup de gens nous avaient reconnus (…). Ils nous ont dit de mettre des casquettes et des lunettes, et nous ont fait passer par une porte à part lors de la réception en présence de Juan Antonio Gumez Angulo, le secrétaire d’État au sport. Ensuite, il n’y avait plus moyen de cacher ça », a raconté Carlos Ribagorda à El Mundo une dizaine d’années plus tard. Dans son enquête, le journaliste assurait aussi que deux nageurs, un joueur de tennis de table et au moins un membre de l’équipe d’athlétisme de l’Espagne étaient aussi de faux déficients mentaux. Et suspectait même certains basketteurs de l’équipe de Russie de la même triche.

Les conséquences de ce scandale ont été catastrophiques pour l’histoire du sport adapté. Le Comité international olympique a interdit pendant plus de dix ans les sportifs déficients mentaux aux Jeux, incapable de fixer des critères clairs de classification du handicap mental. En 2012 à Londres, alors que les athlètes handicapés mentaux faisaient enfin leur retour dans trois disciplines (la natation, le tennis de table et l’athlétisme), Yves Foucault, alors président de la Fédération française de sport adapté (FFSA), revenait sur une sanction « imméritée » qu’il qualifiait de « ségrégation » : « Quand Lance Armstrong est condamné pour dopage, on n’interdit pas le cyclisme. »

Treize ans d’attente pour une condamnation

Pour qu’une condamnation soit prononcée, il aura fallu attendre le 7 octobre 2013, treize ans après les faits. Fernando Martin Vincente, le président de la Fédération espagnole de sports pour les déficients mentaux – qui avait d’abord nié les accusations de Carlos Ribagorda avant de démissionner – a été condamné à 5 400 euros d’amende et à rembourser quelque 150 000 euros de subventions publiques versées par l’État pour les athlètes. Le tribunal n’a par contre pas retenu de charges contre les 18 autres accusés, parmi lesquels les joueurs de l’équipe de basket-ball.

Au lendemain de cette décision de justice, Marc Truffaut, le président de la Fédération française du sport adapté, réagissait : « Ce jugement clôt une page sombre de l’histoire du sport adapté et scelle définitivement l’appartenance des sportifs déficients intellectuels à la famille paralympique. » Lors des derniers Jeux paralympiques d’hiver de Pyeongchang en 2018, les athlètes français avaient terminé à la quatrième place du tableau des médailles. Le Comité paralympique russe, lui, avait été suspendu des Jeux pour la deuxième fois après avoir falsifié les prélèvements anti-dopage de ses athlètes handisport en 2014 à Sotchi.

France 24

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