L’Algérie s’insurge contre la réélection annoncée d’Abdelaziz Bouteflika

Deux jours après les manifestations qui ont rassemblé plus de cent mille personnes dans la capitale, un nouveau rassemblement, de taille plus modeste, a été dispersé par la police dimanche. Les participants ont marqué leur refus de voir le président briguer un cinquième mandat.

«Tout le monde en a marre! Même un policier m’a dit: “Mais qu’est-ce que tu crois? Je préférerais être avec vous!”» Hichem, chef d’entreprise, est passé tant bien que mal au travers des gaz lacrymogènes et du canon à eau utilisés par la police ce dimanche pour disperser le millier de manifestants réunis à Alger à l’initiative du mouvement Mouwatana (opposition). Mais pour le décourager, «il en faudra plus que ça».

Vendredi, il se trouvait aussi dans la foule, estimée selon la police à 100.000 personnes et convoquée par un appel anonyme sur Facebook, qui a bravé l’interdiction des marches en vigueur à Alger depuis les années 1990. Si pour lui, ce 22 février restera une date «historique», c’est qu’en vingt ans, jamais la capitale n’avait connu une telle mobilisation. Aucun parti politique,aucune cause portée par la société civile n’avait réussi à mobiliser autant de manifestants dans toute l’Algérie. Car le même jour, des marches ont été organisées partout dans le pays, d’Oran à Annaba en passant par la Kabylie et les villes du Sud comme Ouargla ou Adrar, rassemblant, selon des associations de défense des droits de l’homme, près de 800.000 manifestants.

Un scénario déjà écrit

Ce qui les a réunis: le même rejet d’un scénario déjà écrit,celui d’un cinquième mandat pour Abdelaziz Bouteflika,au pouvoir depuis 1999, qui brigue une réélection le 18 avril et dont l’état de santé ne lui permet quasiment plus de faire de sorties publiques. La dernière prévue pour l’inauguration du nouvel aéroport d’Alger, ce dimanche 24 février, a été reportée et le chef de l’État est parti ce dimanche à Genève pour, selon le communiqué de la présidence, «des contrôles médicaux périodiques».

«S’il faut en passer par là, laisser les gens exprimer leur colère, alors qu’il en soit ainsi», commente un fidèle du cercle présidentiel, sur un ton toutefois inquiet. Selon une source sécuritaire algérienne contactée par Le Figaro, les services de renseignements avaient averti l’écosystème de Zéralda, la forteresse médicalisée et isolée du chef de l’État: «On ne peut pas dire qu’on n’avait rien vu venir. On les avait prévenus qu’il y aurait du monde», souligne notre source.

Depuis quelques semaines, les signes de colère se multiplient contre une nouvelle candidature du chef de l’État. À Khenchela (Est), plus de 3000 manifestants ont obligé le maire, membre du FLN, le parti de la majorité et soutien zélé du président, à décrocher le poster géant d’Abdelaziz Bouteflika de la façade de la mairie, avant de le piétiner. À Annaba (Ouest), des Algériens sont entrés dans une mairie. Ils ont décroché et cassé le cadre contenant la photo du président, devenu emblématique lors des cérémonies officielles.

Alors que le quotidien privé francophone Liberté titre «Les Algériens ont brisé le mur de la peur», sur les réseaux sociaux, la parole se libère. «Cette nuit, j’ai dormi la conscience tranquille parce que j’ai refusé de lire le prompteur qui parlait de “manifestations pour le changement” (formule vague employée par le pouvoir pour faire oublier que les manifestants dénoncent avant tout la candidature de Bouteflika, NDLR)», témoigne sur son mur un journaliste de la télévision Echorouk. «J’ai parlé des manifestations contre le cinquième mandat.» Dans le temple de la radio publique, une pétition a dénoncé le traitement de l’information, qui a provoqué la démission d’une des rédactrices en chef.

Forces antiémeutes

Les partis d’opposition, eux aussi sonnés par l’ampleur des rassemblements, ont salué la mobilisation, à l’image du Front des forces socialistes (FFS) ou du MSP (islamistes, tendance Frères musulmans), dont le leader, Abderrazak Makri, a appelé les «décideurs» à saisir le message délivré par les Algériens.

«C’est bien le problème. On a l’impression qu’ils n’ont rien compris…», commente Nassera, enseignante, en évoquant les dernières déclarations du coordinateur du FLN, Mouad Bouchareb, comparant le chef de l’État à un prophète. «Dieu a envoyé Bouteflika en 1999 pour réformer la nation algérienne et lui rendre la place qui est la sienne», avait-il déclaré. Ce dimanche, le directeur général des libertés publiques au ministère de l’Intérieur, Abderrahmane Sidini, a déclaré que les manifestations faisaient partie «de l’ambiance électorale».

Mais à Adrar (Sud-Ouest), où une délégation officielle était attendue pour les cérémonies du 48e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures et le 63eanniversaire de l’UGTA (syndicat pro-pouvoir), les médias locaux rapportent que plusieurs centaines de manifestants ont été contenus par les forces antiémeutes. «Bouteflika a envoyé un message pour l’occasion, où il a parlé de toutes les richesses que le pétrole a apportées à l’Algérie. Mais il n’a pas dit un mot sur les manifestations», s’emporte Feriel. «Comment voulez-vous qu’on ne prenne pas ça pour de la provocation?»

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