En 1917, le jazz débarque et fait la java en France et en Europe
2 novembre 2018PARIS (AFP) –
Communément, on associe l’introduction de cette musique syncopée à l’arrivée sur les côtes françaises, en décembre 1917, du 369e régiment d’infanterie dans lequel se trouvaient les Harlem Hellfighters, des musiciens noirs dirigés par le lieutenant James Reese Europe.
« Cet événement a marqué les consciences. Ils ont joué, dans chaque gare où ils faisaient ensuite étape, quelque chose que la plupart des Français n’avaient jamais encore entendu », souligne le compositeur et musicologue Laurent Cugny.
« Ce qui a été aussi perçu comme nouveau, c’est que c’étaient des Noirs qui jouaient. Au-delà du racisme, c’était une étrangeté forte pour l’époque », ajoute-t-il.
Si c’est à Nantes le 12 février 1918 que les Harlem Hellfighters ont donné au théâtre Graslin le premier concert officiel de jazz en Europe, il faut remonter au tout début du siècle pour voir les balbutiements de cette esthétique sur le vieux continent.
« C’est un ensemble de musiques qui commence à arriver en 1912-1913 sous forme de partitions en provenance de Londres, puisque les éditeurs britanniques ont des accords avec les Français », rappelle Bertrand Dicale, spécialiste des musiques populaires, qui ajoute qu' »entre 1900 et 1914, quatre millions de pianos se vendent en France ».
Ce nouveau courant touche logiquement les compositeurs de musique savante, tels Erik Satie, qui intègre un ragtime dans son ballet « Parade » (1917), Igor Stravinski, Maurice Ravel et Darius Milhaud.
« Ils sont en réaction au +wagnérisme+ et au +debussysme+, au côté sublime, grandiloquent du premier et au côté impressionniste, trop éthéré du second. Ce qu’ils aiment dans cette nouvelle musique, c’est son rythme, sa vigueur, même si finalement ils s’en désintéresseront vite », explique Laurent Cugny.
En revanche, les vedettes du music-hall naissant contractent bel et bien le virus. C’est le cas de Maurice Chevalier, qui a aussi découvert le ragtime sur partitions en 1914, alors affecté au 35e régiment d’infanterie à Belfort, et qui grave dès 1920 un morceau intitulé « Les Jazz Bands » sur un de ses premiers enregistrements.
– Trenet découvre le jazz à Berlin –
« Pendant ce temps, les fanfares américaines improvisent avec les musiciens parisiens d’orchestres, de conservatoires et de brasseries. L’influence jazz grandit, mais un échange existe. +Mon homme+, créé en 1920 par Maurice Yvain, compositeur de Chevalier, et popularisé par Mistinguett, deviendra ainsi +My Man+ aux Etats-Unis avec Ella Fitzgerald puis Billie Holiday », souligne Bertrand Dicale.
Dans la capitale, on raffole des jazz bands. Ils jouent dans les cabarets de ce qu’on surnomme alors le « Montmartre noir ». La Revue Nègre avec Joséphine Baker fait fureur au Théâtre des Champs-Élysées en 1925. Les premiers disques de Duke Ellington arrivent.
« La perception des Noirs n’est plus la même, résume Laurent Cugny. Jazz est un mot qui fait rêver. Il est attaché à l’idée de déconnade, de vie, de dynamisme, de rapidité. C’est lié au modernisme de l’époque, aux machines… On sort de la Guerre de 14. Après quatre ans de boucherie, on veut ouvrir les fenêtres, s’éclater. »
Le jazz gagne aussi le reste de l’Europe, que les orchestres militaires américains préfèrent découvrir plutôt que de rentrer au pays. Ils vont dans les pays de l’Est où ils puisent dans le klezmer, en Scandinavie, en Russie, où se produit aussi Sydney Bechet en 1926.
« L’Allemagne cosmopolite de la République de Weimar est également friande, ajoute Bertrand Dicale. C’est d’ailleurs à Berlin que Charles Trenet découvre à 15 ans le jazz. C’est le début du cinéma parlant, les studios intègrent ces musiciens et lui les voit travailler. »
En 1933, Trenet, s’inspirant du duo Pills et Tabet – les premiers à mettre du swing dans la chanson grâce la compositrice Mireille -, formera le duo Charles et Johnny avec le pianiste suisse Johnny Hess, rencontré… dans un club de jazz.
« Chez Trenet, le swing est aussi celui des idées et des mots. Son écriture est empreinte de la même liberté que les chorus instrumentaux dans le jazz », décrit Bertrand Dicale.
Au diapason du « fou chantant », d’autres futurs grands mettront du jazz dans leurs chansons: Henri Salvador, Boris Vian, Yves Montand, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Gilbert Bécaud, Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, Sanseverino ou actuellement Thomas Dutronc.
France 24