Chine : le dernier repaire des livres interdits disparaît à Hong Kong

Chine : le dernier repaire des livres interdits disparaît à Hong Kong

2 novembre 2018 0 Par univers-actu
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Trois ans après l’affaire de la disparition des éditeurs hongkongais, la dernière librairie de l’île qui vendait toujours des livres censurés en Chine a fermé. La fin d’une longue tradition consistant à braver la censure de Pékin à Hong Kong.

Il faisait un peu café, beaucoup librairie. Le People Bookstore ne fait plus rien : le dernier lieu à Hong Kong où étaient vendus des livres censurés en Chine a fermé, rapporte le quotidien britannique The Guardian, mercredi 31 octobre.

C’est un point final à une longue, et parfois tumultueuse, tradition de libre circulation d’ouvrages dans l’ex-colonie britannique. “C’est la preuve ultime du manque de libertés à Hong Kong”, déplore Joshua Wong, l’une des figures de la “Révolution des parapluies” de 2014, dans le Guardian. Car tous les militants interrogés par le journal sont convaincus que le People Bookstore a mis la clef sous la porte sous pression de Pékin. Contactées par le quotidien britannique, les autorités de liaison sino-hongkongaises ont refusé de s’exprimer sur le sujet.

De Mighty Current à People Bookstore

La petite échoppe d’une vingtaine de mètres carrés, située dans un quartier touristique de la ville, serait la dernière victime de la politique de fermeté appliquée par Pékin à l’égard du monde de l’édition hongkongais depuis 2015. L’enlèvement de cinq éditeurs hongkongais de la maison Mighty Current par la police chinoise avait, en particulier, choqué l’opinion publique locale et internationale.

L’épisode avait largement été interprété comme le signal que le parti communiste chinois ne supportait plus le statut d’exception dont bénéficiait le territoire depuis sa rétrocession officielle à la Chine, en 1997. Pourtant, la censure de Pékin avait débuté avant, raconte le New York Times, dans une enquête publiée en avril. Ainsi, depuis 2013-2014, les Chinois qui tentaient de faire passer, entre Hong Kong et la Chine continentale, des livres censurés par le régime ne s’en tiraient plus avec une simple réprimande et la confiscation des ouvrages. Ils devaient payer des amendes de plus en plus lourdes.

La disparition des cinq éditeurs avait été ressentie comme un électrochoc dans le monde des libraires et les maisons d’édition de Hong Kong. Les victimes de l’ire chinoise étaient toutes liées à Mighty Current, la plus importante des maisons d’édition spécialistes des livres interdits en Chine. Peu à peu, les livres censurés ont disparu des étagères. “Il y a eu une importante vague d’autocensure dans les mois qui ont suivi”, a raconté au Guardian Lisa Leung Yuk-ming, chercheuse au département de culture de l’Université Lingnan de Hong Kong.

Contourner la censure depuis 60 ans

Le People Bookstore demeurait le dernier témoin d’un passé où l’édition était une arme politique. Depuis le début de la Chine communiste, Hong Kong représentait un lieu où les opposants au régime pouvaient dépeindre la situation chinoise sans le vernis de la propagande étatique. Ainsi, le premier livre officiellement censuré en Chine, les mémoires d’un compagnon de route de Mao Zedong, a été publié en 1960 à Hong Kong. Ce portrait au vitriol du “Grand Timonier”, décrit comme obsessionnel, paranoïaque et prompt à recourir à la violence pour atteindre ses buts, est devenu immédiatement un succès.

Tant qu’Hong Kong était une colonie britannique, la publication de livres censurés permettait essentiellement de faire parvenir au monde extérieur une voix dissidente des événements qui se déroulaient dans le pays. Ainsi, après Tienanmen en 1989, il y eut une avalanche d’ouvrages sur ce thème, rangés sur les étagères des librairies sous le mot clef “liù si”, qui signifie “6-4”, en référence au 4 juin 1989, date du début de la répression des manifestations estudiantines.

Après la rétrocession et l’ouverture des frontières, un nouveau public chinois a eu accès à cette littérature honnie aux yeux de Pékin. Les touristes du continent se sont entichés de ces œuvres qui leur racontaient une autre Chine. Ils s’intéressaient en particulier aux livres sur leurs dirigeants et les coulisses des luttes de pouvoir. “D’après mes estimations, près de la moitié des livres publiés à Hong Kong traitaient de thèmes politiques qui seraient censurés en Chine à travers, notamment, des histoires torrides sur les affaires sentimentales de l’élite du Parti communiste”, a raconté le poète chinois en exil, Bei Ling, au Pen America, une ONG œuvrant pour la liberté d’expression dans le monde.

Romans de gare subversifs

Ce sont des livres comme “Les secrets des femmes des officiels du Parti communiste” ou “Le clan de Xi Jinping” qui ont fait le succès commercial de Mighty Current. Ce genre littéraire a connu son âge d’or en 2012, à l’occasion de la chute de Bo Xilai, le “prince rouge” et principal opposant à la ligne politique défendue par Xi Jinping. Cette star du Parti communiste a été soupçonnée d’avoir, avec sa femme, trempé dans le meurtre de l’homme d’affaires britannique Neil Heywood, en 2012.

“C’était un scénario rêvé pour les éditeurs hongkongais : un vrai soap opera au sommet de l’État chinois”, souligne le New York Times. La réalité rejoignait la fiction qu’ils publiaient depuis des années. En un an, plus de cent romans inspirés des mésaventures de Bo Xilai ont été publiés à Hong Kong. Gui Minhai, le co-propriétaire de Mighty Current, aurait gagné plus d’un million de dollars en exploitant ce filon, assure le Pen America.

Même si tous ces livres n’avaient qu’un rapport très distant avec la réalité, “ils permettaient aux Chinois d’assouvir leur désir de voir leurs dirigeants avec des faiblesses, loin de la manière dont ils étaient dépeints par les autorités”, explique un éditeur au New York Times. Pour le quotidien, tel était l’aspect le plus subversif de cette littérature de gare. La fermeture de la dernière librairie prive les Chinois de cette échappatoire à la propagande chinoise. À ce titre, la fin de People Bookstore est, pour le commentateur politique hongkongais Albert Cheng, l’un des signes les plus marquants “que le principe ‘d’un pays, mais deux systèmes’ disparaît graduellement”?

France 24