Comment le Barça a cessé de fournir l’Espagne

 Alors qu’il était le principal pourvoyeur de joueurs pour l’équipe d’Espagne au début de la décennie, le FC Barcelone ne compte plus qu’un représentant, Sergio Busquets, au sein de la sélection qui va défier l’Angleterre lundi (20h45) à Séville. Un phénomène surprenant. Mais logique, compte tenu de l’évolution du club catalan depuis le départ de Josep Guardiola.

11 juillet 2010. C’est l’heure de gloire pour l’Espagne. La Roja remporte la Coupe du monde grâce à un but d’Andres Iniesta. L’un des symboles les plus marquants d’une philosophie de jeu inspirée du FC Barcelone. « Don Andres » était l’un des sept joueurs du Barça titularisés par Vicente del Bosque en finale. Sept des huit blaugranas retenus parmi les 23 joueurs de la Seleccion en Afrique du Sud. Plus d’un quart de l’effectif espagnol. Et à l’exception de David Villa, ils étaient tous issus de la Masia, le centre de formation barcelonais. A l’époque, la Roja, c’était le Barça. Ou presque.

11 octobre 2018. L’Espagne s’impose facilement sur le terrain du pays de Galles (1-4). Au coup d’envoi, pas le moindre joueur du Barça. Une première depuis 2006, si l’on excepte les rencontres de mai 2012 face à la Serbie et la Corée du Sud disputées sans les Barcelonais, retenus en club pour la finale de la Coupe du Roi. Sergio Busquets, le seul blaugrana convoqué par Luis Enrique, est resté sur le banc à Cardiff. Il devrait retrouver sa place de titulaire pour affronter l’Angleterre. Et être le seul joueur du Barça dans le onze de départ de l’Espagne, comme face à la Croatie (6-0) en octobre.

Comment expliquer cette « débarcelonisation » de la sélection espagnole ? Il y a déjà une raison conjoncturelle. Andres Iniesta, qui avait de toute façon quitté Barcelone cet été pour rejoindre le Vissel Kobe, et Gerard Piqué ont pris leur retraite internationale après la Coupe du monde décevante de l’Espagne. Il y a aussi le cas Jordi Alba. En froid avec Luis Enrique depuis les derniers mois de l’Asturien sur le banc catalan, l’arrière gauche du Barça est boudé par le nouveau sélectionneur. Mais même cette « affaire » ne peut justifier à elle seule la pénurie de Barcelonais en équipe nationale.

Le Barça achète « étrangers »

Elle est finalement assez logique. Car les Espagnols ne sont plus légion dans l’équipe première du Barça. Depuis la retraite internationale de Piqué, il n’y a plus que cinq joueurs sélectionnables avec la Roja au sein de l’effectif barcelonais. Dont Sergi Samper, qui joue trop peu pour prétendre à une place en équipe nationale. Il reste ainsi Sergio Busquets, Sergi Roberto, blessé forfait face au pays de Galles et à l’Angleterre, Jordi Alba et Denis Suarez, tout juste revenu de blessure, pour revendiquer une place en sélection. Si Luis Enrique ne convoque pas davantage de Barcelonais, en exceptant le cas Alba, c’est simplement parce qu’il ne peut pas.

Le Barça a changé. L’époque où il était le premier pourvoyeur de joueurs pour l’Espagne est révolue. Un phénomène loin d’être anodin. Mais pas inexplicable. « Il y a deux raisons principales, résume Miguel Rico, journaliste pour le quotidien sportif catalan Mundo DeportivoLa première, c’est que Barcelone a cessé de faire confiance à ses jeunes comme il le faisait à l’époque de Josep Guardiola. Et la seconde, c’est que le Barça s’est désintéressé du marché national et les meilleurs joueurs espagnols sont partis pour le Real comme Isco, Asensio, Ceballos, Odriozola…« 

Le dernier mercato du Barça en atteste. Le club catalan s’est clairement tourné vers l’étranger. Il n’y a aucun Espagnol à recenser parmi les quatre recrues majeures de Barcelone l’été dernier (Malcom, Clément Lenglet, Arthur et Arturo Vidal). Et ils ne sont que trois sur les dix-sept renforts enregistrés lors des trois dernières saisons : Denis Suarez, Paco Alcacer et Gerard Deulofeu, rapatrié après avoir été formé au club. Et les deux derniers cités sont déjà repartis, respectivement à Dortmund et Watford, pour trouver un temps de jeu qu’ils n’avaient pas sur les bords de la Méditerranée.

Clément Lenglet, Arthur et Arturo Vidal

Il n’y a qu’un Pep Guardiola

Barcelone a toujours été tourné vers l’étranger sur le marché des transferts. Mais cette tendance semble aujourd’hui poussée à l’extrême. Surtout par rapport au début de la décennie, quand il avait fait de David Villa (2010-11), Cesc Fabregas (2011-12) puis Jordi Alba (2012-13) non seulement des recrues majeures de son mercato estival, mais aussi des titulaires indiscutables en équipe première. A l’époque, le Barça avait plutôt la réputation d’acheter local et le Real celle de miser sur les étrangers. La situation s’est inversée. Désormais, les meilleurs Espagnols vont vers la Maison Blanche.

Mais ce n’est pas la seule explication à cette pénurie de joueurs ibériques au Barça. La raison principale est ailleurs. Barcelone a changé sa politique et ne fait plus la promotion de joueurs issus de son centre de formation. « Depuis 2010, Sergi Roberto est le seul joueur de la Masia qui a réussi à s’imposer en équipe première« , souligne Jordi Costa, journaliste pour le quotidien sportif catalan Sport. Le contraste est saisissant avec la décennie précédente, qui avait vu éclore les MessiXavi, Iniesta, Busquets, Valdés, Pedro ou encore Puyol et Oleguer, en remontant un peu plus loin.

Il y avait des talents exceptionnels dans ces différentes promotions. Mais il y avait surtout un homme pour donner sa chance aux jeunes pousses de la Masia, même moins douées : Josep Guardiola. « C’est vrai que les dernières générations n’ont pas été très bonnes, en partie à cause de la sanction imposée par la FIFA mais aussi parce que beaucoup de jeunes à fort potentiel ont préféré partir, rappelle Jordi Costa. Mais il est clair que Guardiola était plus audacieux avec les jeunes. Pedro et Busquets n’étaient pas les joueurs les plus en vue de leur génération mais Guardiola a quand même parié sur eux.« 

Sergio Busquets et Josep Guardiola

Une perte d’identité ?

Avec « Pep », les joueurs formés au Barça étaient prioritaires. Parfois même au détriment des très grandes stars étrangères. « Lors de la saison 2009-10, il a laissé Henry sur le banc au profit de Pedro, souligne Jordi Costa. Et même Ibrahimovic au profit de Bojan en fin de saison. » Surtout, Guardiola donnait sa chance aux jeunes. Avec réussite pour Busquets et Pedro. Sans pour d’autres. « Il a aussi fait débuter des joueurs comme Isaac Cuenca, Cristian Tello, Marc Bartra, Martin Montoya ou Gerard Deulofeu, détaille Jordi Costa. Ils n’avaient pas le niveau et ils sont partis, mais ils ont eu leur chance.« 

Le départ de Guardiola en 2012 a marqué une rupture, même si le regretté Tito Vilanova a poursuivi dans cette voie jusqu’en 2013. Par la suite, les différents entraîneurs passés par le banc catalan ont arrêté de s’appuyer sur la Masia. « C’est beaucoup moins arrivé avec Luis Enrique, et pas du tout avec Valverde, témoigne Jordi Costa. Le Barça a perdu confiance en ses jeunes. Les meilleurs jeunes n’ont pas l’opportunité de percer et préfèrent partir. » Le transfert de ThiagoAlcantara, parti rejoindre Guardiola au Bayern en 2013, en reste l’exemple le plus marquant.

Il y a ainsi eu de moins en moins d’Espagnols au Barça. Et de facto, de moins en moins de Barcelonais en sélection. Mais la « débarcelonisation » de l’Espagne n’est pas la seule conséquence. Le style blaugrana se perd lui aussi. Il n’est plus vraiment question de cette philosophie de jeu qui s’applique des plus jeunes catégories aux seniors. De cet ADN transmis par les anciens aux novices promus en équipe première. De cette identité si marquée qui a toujours fait la particularité du FC Barcelone. Le Barça n’est plus le même. Cela se voit sur son visage. Et sur celui de l’équipe d’Espagne.

Eurosport.fr

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