Brésil: avec Bolsonaro, les cours d’autodéfense pour femmes et LGBT explosent

Au Brésil, les membres de la communauté LGBT et les femmes ressentent le besoin d’apprendre à se défendre dans un climat de plus en plus tendu depuis la campagne électorale. À Rio, une association organise des cours d’autodéfense pour leur apprendre à réagir en cas d’agression, dans la rue, les transports publics. Les cours ont commencé il y a deux ans, mais depuis un mois, ils sont complets. Ceux qui viennent ont parfois subi des agressions très récemment ou sont inquiets de l’agressivité de certains électeurs de Jair Bolsonaro, président élu ouvertement homophobe et misogyne.

 

En plein centre de Rio de Janeiro, une vingtaine de personnes apprennent à se défendre via le Krav Maga, une technique de combat israélienne. Sur le tatami, tous les élèves sont soit des femmes, soit gays, lesbiennes, bi ou transexuels. « Si vous marchez dans la rue et que quelqu’un vous attrape par le cou, il faut agir avant que la personne n’arrive trop près de vous, explique une professeure. Donc, il faut tenir fermement l’agresseur, attraper ses mains par les pouces… »

Luan Dutra apprend à neutraliser une personne qui tenterait de l’étrangler. Ce jeune designer a ressenti le besoin d’intégrer le cours quand il s’est rendu compte qu’il avait changé son comportement dans la rue… de peur d’être agressé. Il a commencé ses cours quelques semaines avant le premier tour des élections présidentielles. « Juste pendant la campagne je commençais à être en couple avec un garçon. Au début, on s’embrassait et tout dans la rue, mais à mesure que la vague de violence a augmenté, on a arrêté de se donner la main dans certains endroits, évité de s’embrasser et on a commencé à rester à la maison. »

Après une campagne très polarisée, les demandes n’en finissent pas

Un vrai retour en arrière pour lui, qui avait déjà mis beaucoup de temps avant de s’accepter en tant que gay. « Des regards de réprobation, il y en a toujours eu, et ça ne m’empêchait pas de me sentir en sécurité, poursuit-il. Mais quand on a commencé à voir des cas, dans les journaux ou au sein de nos réseaux d’amis, de personnes victimes de violences à cause de leur orientation sexuelle, n’importe quel regard est devenu quelque chose de beaucoup plus important. On a fini par avoir très peur. »

La campagne électorale, particulièrement polarisée, a été l’occasion d’une recrudescence d’agressions misogynes et homophobes. Poliana Labre est membre de l’association des Piranhas, qui organise ces cours, et elle n’avait jamais vu autant de monde. « À chaque cours, on a toute une rangée de nouveaux élèves, dit-elle. On a dû doubler le nombre de cours, et maintenant, il faut aussi qu’on réponde à des personnes partout dans le pays qui cherchent des projets comme celui des Piranhas. On n’arrive pas à répondre à autant de demandes ! »

Tous pointent Jair Bolsonaro comme responsable des agression

Lilian Matias, 29 ans, répète des techniques pour contrer un potentiel agresseur. Sans tomber dans la paranoïa, elle avoue penser beaucoup plus aux risques de chaque situation et à comment s’en sortir : « Bien sûr qu’on a peur ! Ce pays est très machiste, il y a encore des personnes qui ne comprennent pas que nos corps ne doivent pas être touchés. Donc pour moi venir ici, c’était une nécessité pour me sentir mieux et marcher dans la rue. Sans forcément penser qu’il va m’arriver quelque chose, mais avec plus de confiance en moi, et en cas de danger, le sentiment d’avoir plus de chance de m’en sortir. »

Un graffiti dans les rues de Rio de Janeiro dit «à bas la dictature», lors d’une manifestation contre le président élu Jair Bolsonaro, le 30 octobre 2018.

Tous ici estiment que Jair Bolsonaro est en partie responsable des agressions contre les minorités durant la campagne électorale. Son discours misogyne, homophobe et racistedonne une légitimité à la frange la plus violente de ses électeurs. « Ceux qui avaient déjà envie d’être violents ne vont pas redevenir pacifiques. Ils se sentent maintenant légitimes, explique Luan Dutra. Mais malgré la peur, je pense qu’il ne faut pas qu’on arrête de faire certaines choses. Se cacher, c’est manquer de respect à tous ceux qui sont passés par là avant nous, et aux générations futures. Je pense que c’est le moment pour nous de courir ce risque. Et pour le faire en sécurité, il faut qu’on apprenne à se défendre. Par tous les moyens. »

Le compte Facebook de l’association a récemment été piraté. Mais la petite salle de sport avec un grand drapeau arc-en-ciel accueille désormais des cours tous les soirs de la semaine.

RFI

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