Aux élections de mi-mandat, les Américaines veulent prendre le pouvoir

Un nombre record de femmes se présentent aux élections de mi-mandat américaines. Face à Trump et en pleine vague #Meetoo, certaines font le pari que leur genre peut être un atout le 6 novembre. Paroles de candidates.

Un frais dimanche matin de septembre à Washington, Jessica Sutter, essoufflée mais ravie, franchit la ligne d’arrivée d’une course inédite. Cette institutrice trentenaire vient de participer avec 500 autres femmes à « Courage to Run », cinq kilomètres pour célébrer le « courage » des femmes candidates en politique. Démocrate, elle-même a décidé de se présenter cette année, au conseil pour l’éducation de la capitale fédérale américaine : « Je pense que le président américain a déclenché un mouvement de femmes qui disent : ’Ça suffit, et peut-être qu’il est l’heure pour quelque chose de différent, peut-être qu’il est l’heure pour quelqu’un de différent et peut-être que ce quelqu’un, c’est moi !’ »

Les médias américains appellent ce phénomène la « pink wave », la « vague rose » : cette année, un nombre record de femmes sont candidates aux élections de mi-mandat du 6 novembre. Au Congrès, 529 femmes ont présenté leur candidature et 262 sont toujours en lice après les primaires. Le nombre de femmes candidates à un poste de gouverneur, lui aussi, n’a jamais été aussi élevé, avec 61 tentatives. 16 d’entre elles ont remporté les primaires. Avec les plus de 3 000 candidatures féminines aux scrutins locaux, c’est l’année de tous les records.

L’élection de Donald Trump a sa part de responsabilité dans cette « vague rose ». « C’est le moment où de nombreuses femmes ont vu une autre femme, qui était probablement l’une des plus qualifiées pour la Maison Blanche, se présenter contre un homme qui, peut importe ce qu’on en pense, n’était pas vu comme ayant le CV pour être président. Et pourtant, il a gagné », analyse Debbie Walsh, directrice du Center for American Women in Politics (CAWP), un centre de recherche sur la présence féminine dans les institutions politiques américaines. Selon elle, « les femmes ont alors compris que si elles voulaient des candidats qui leur ressemblent et qui se préoccupent des mêmes sujets qu’elles, elle devaient être ces candidates ».

#MeToo et l’affaire Kavanaugh

Quelques mois plus tard, c’est le mouvement #MeToo dénonçant les violences sexuelles qui a renforcé cette conviction. « Il y a eu un effet boule de neige, pense Debbie Walsh. La victoire de nombreuses femmes aux primaires a nourri cette énergie. » Une énergie et une « colère », selon elle, redoublées par la récente affaire Kavanaugh, du nom de ce juge confirmé à la Cour suprême malgré des accusations d’agression sexuelle.

En 1991, une affaire similaire avait secoué Washington avant les élections de mi-mandat. La professeure Anita Hill avait accusé le juge Clarence Thomas, nommé par George Bush, de harcèlement sexuel. Lui aussi avait été confirmé à la Cour suprême. La réaction fut historique : en novembre, 47 femmes avaient été élues au Congrès, soit quasiment deux fois plus qu’auparavant. Si bien qu’on parle de 1992 comme de « l’année des femmes » aux États-Unis.

 

Erika Stotts Pearson, candidate démocrate du Tennessee à la Chambre des représentants, espère bien rééditer l’exploit collectif. « Je me présente car ça n’est pas en restant sur le bas côté que l’on progresse mais en se lançant dans l’arène », affirme-t-elle à l’issue de la course à pied de Washington. La prétendante au Congrès, en survêtement et baskets pour l’occasion, pense savoir d’où lui vient cette envie : « Je me souviens, quand j’étais collégienne et la seule fille de ma classe, avoir participé à un concours avec une grosse récompense à la clé. J’avais le meilleur projet, mais c’est un garçon qui a gagné. À partir de ce moment, j’ai su que je ne pourrais plus rester en retrait. Je savais aussi que je devrais travailler davantage que les hommes pour y arriver. »

Erika Stotts Pearson après la course « Courage to Run » à Washington, le 16 septembre 2018. © Yona Helaoua, France 24

« Double standard »

Un constat partagé par la candidate de Washington, Jessica Sutter : « C’est difficile d’être une femme en politique. Lorsque vous partagez vos idées et que certaines personnes vous rentrent dedans et que vous tentez de vous défendre, vous pouvez parfois être vue comme agressive ou non féminine. »

« Nous sommes toujours dans une structure dominée par les hommes blancs, et ils ne vont pas abandonner si facilement », estime Debbie Walsh, du CAWP, selon qui il existe encore « un double standard en matière d’apparence » : « Quand Hillary Clinton était candidate, les médias disaient qu’elle devrait sourire plus et arrêter de ‘crier’ lors des meetings. Pendant ce temps-là, on ne peut pas dire que Bernie Sanders était un type souriant et j’avais l’impression qu’il nous faisait la leçon en permanence. Or personne n’avait de problème avec ça. »

Avant même d’être candidates, les difficultés commencent pour les femmes : par sentiment de manque de légitimité, d’expérience ou de connaissance des dossiers, certaines d’entre elles s’autocensurent. L’angoisse se fait sentir : comment annoncer à ses proches que l’on voudrait être élue ?

« Vous êtes déjà qualifiée »

« Nous entendons souvent des femmes nous dire qu’elles aimeraient être candidates mais qu’elles ne se sentent pas encore qualifiées – pas assez d’expérience professionnelle, pas assez de bénévolat dans leurs communautés, ou pas assez diplômées, rapporte Emily Liner, membre de l’association She Should Run, qui aide les femmes à se présenter en politique. Le message que nous leur envoyons, c’est : vous êtes déjà qualifiée pour servir votre communauté. Nous essayons d’aider les femmes à apprendre comment elles peuvent traduire ce qu’elles ont déjà fait – que ce soit au travail, à la maison – en une campagne politique. »

Pour y arriver, She Should Run a développé une technique : « La recherche scientifique montre que les femmes sont moins enclines à s’auto-désigner candidates et que leurs amis doivent le leur demander plusieurs fois avant qu’elles prennent la chose au sérieux. Nous avons donc créé des ‘forums de désignations’. Si vous connaissez une femme dans votre communauté qui, selon vous, devrait se présenter en politique, alors le forum lui envoie un email disant : ‘Une personne qui vous connait pense que vous feriez une super candidate !’ Et nous ajoutons des conseils pour qu’elle puisse s’entraîner. »

Comme She Should Run, de nombreuses associations américaines proposent d’aider les candidates en herbe. Elles reposent sur le principe très en vogue de « sororité », une forme de solidarité et d’entraide féminine. Par où commencer quand on se lance en politique ? Comment se constituer un réseau ? Comment lever des fonds pour sa campagne ? Comment s’exprimer en public ? Autant de questions auxquelles ces clubs se proposent de répondre. L’association Vote Run Lead a ainsi aidé environ 12 000 femmes, tous partis confondus, à se lancer en politique depuis 2015. « Nous faisons des sessions en personne où l’on rassemble un groupe de femmes qui partagent leur expérience. Nous avons aussi des entraînements en ligne : des conférences, des vidéos… », explique Heather Barmore, directrice de la communication de l’association.

« Faites campagne comme vous êtes »

La candidate de Washington Jessica Sutter, elle, a acheté un livre sur la question et s’est inscrite à l’association Emily’s List « pour apprendre à trouver des bénévoles, à faire du porte-à-porte et à rédiger des communiqués de presse ». Emily’s List, qui ne s’adresse qu’aux femmes pro-avortement, a été contactée par 36 000 prétendantes depuis 2016. Face à l’afflux de demandes, elle a dû recruter du personnel supplémentaire et agrandir ses locaux. Quasiment tous les jours, le groupe envoie des emails d’encouragement et propose des webinaires pour partager ses recettes électorales.

Pour apprendre aux candidates à lever des fonds, un exercice est proposé : « Trouvez combien a récolté la dernière personne qui a gagné le siège que vous convoitez. Réfléchissez au nombre de ceux qui seraient enthousiastes à l’idée de votre candidature… Littéralement tous ceux que vous connaissez : amis, famille, collègues, membres de votre communauté, tout le monde. Écrivez tous leurs noms. Divisez le montant que vous avez trouvé par le nombre de noms. Est-ce que lever des fonds est toujours si intimidant ? »

Cette année, on n’attend plus des femmes qu’elles gomment leurs particularités. « Faites campagne comme vous êtes », tel est par exemple le slogan de Vote Run Lead. « Nous voulons des femmes qui sont parentes, éducatrices, infirmières », détaille Heather Barmore. « Peu importe votre expérience politique, nous pensons que les femmes ont l’expérience de la vie », ajoute-t-elle. Le genre n’est plus effacé, il devient un atout. Dana Nessel, candidate dans le Michigan, a ainsi fait fureur avec une publicité de campagne tournée à l’iPhone : « Quand vous choisirez le prochain attorney general [l’équivalent du ministre de la Justice local], posez vous la question : à qui pouvez vous faire le plus confiance pour ne pas exhiber son pénis au travail ? Au candidat qui n’a pas de pénis ? C’est bien ce que je dirais. »

Candidate et mère de famille

Debbie Walsh, du CAWP, estime que les campagnes du passé sont révolues, le cycle électoral 2018 étant le début d’une « nouvelle normalité » : « Les femmes font campagne de manière plus authentique, en exposant tous les aspects de leur vie, contrairement aux années précédentes où on leur disait : ‘ne parle pas de tes enfants en bas âge à la maison’, ‘essaye de porter un costume le plus masculin possible’. »

Les candidates de 2018 soutiennent que le fait d’être mères ne les disqualifie pas, bien au contraire : elles sont mieux placées pour comprendre la vie quotidienne des électrices. En mai, la candidate de Long Island au Congrès Liuba Grechen Shirley a ainsi insisté auprès de la Commission fédérale électorale pour que ses fonds de campagne puissent être utilisés pour payer la garde de ses enfants. Succès. Dans les clips de campagne des candidates, il n’est plus rare de voir des femmes allaiter ou coller des affiches avec leurs enfants.

KELDA ROYS, CANDIDATE AU POSTE DE GOUVERNEUR DU WINSONSIN, ALLAITE DANS UN CLIP DE CAMPAGNE

Le clip le plus marquant est peut-être celui de la démocrate Zephyr Teachout, candidate aux primaires pour le poste d’attorney general de New York. La vidéo démarre avec l’image de l’échographie de son bébé. La caméra remonte lentement vers elle, enceinte de huit mois et allongée sur la table d’examen. « Vous n’avez jamais vu un attorney general comme moi », lance-t-elle.

Qu’en pensent les électrices ?

Ces candidatures peuvent-elles capter l’électorat féminin ? Un sondage du Public Religion Research Institute et MTV, réalisé auprès de 2 000 Américains de 15 à 24 ans, montre que les filles sont plus intéressées par la politique que les garçons. Mais pour Debbie Walsh, du CAWP, on ne vote pas automatiquement pour une femme car on est soi-même une femme. En revanche, « nous savons depuis les années 1980 que les femmes sont plus enclines à soutenir les démocrates que les hommes ». Dans ce cas de figure, le fait d’avoir des candidates démocrates peut être vu comme « une valeur ajoutée » pour les électrices de ce parti.

D’autant plus qu’un sondage de Politico/Morning Consult montre que les femmes démocrates sont le groupe le plus motivé pour voter en novembre. Or dans le scrutin 2018, beaucoup espèrent voir dans la « vague rose » une future « vague bleue », comme la couleur du Parti démocrate. Les femmes candidates sont en effet quatre fois plus représentées chez les démocrates (42,9 %) que chez les républicains (13,3 %).

Si les électrices démocrates sont gonflées à bloc, un autre sondage vient assombrir le tableau. Selon le Pew Research Center, les Américaines doutent de plus en plus que les électeurs soient prêts à élire des femmes. Certains vont même jusqu’à penser que le parti de Donald Trump – celui qui présente le moins de femmes aux élections – pourrait profiter d’un retournement de l’opinion après l’affaire Kavanaugh.

Selon un stratège démocrate cité par le Washington Post, les électeurs des États républicains ont fini par associer le destin de Brett Kavanaugh à celui du président. Le juge, qui se dit victime d’une accusation infondée, serait ainsi vu par les femmes blanches de ces États « rouges » (républicains) comme une figure sympathique, cible d’un sabotage. Ces femmes « associent cette bataille à leurs propres maris, fils et frères, se demandant : ‘Pourquoi des accusations vieilles de 35 ans, qui ne sont pas corroborées, devraient faire vriller sa carrière entière ? » À la « vague rose » suivie d’une « vague bleue », les pro-Trump prédisent ainsi une « vague rouge » le 6 novembre.

France 24

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