Le président turc Recep Tayyip Erdogan menace d’expulser les ambassadeurs de dix pays dont la France, l’Allemagne et les Etats-Unis après un appel lancé cette semaine en faveur de la libération de l’opposant et mécène Osman Kavala.
« J’ai dit à notre ministre des Affaires étrangères que nous ne pouvons plus nous permettre de les accueillir dans notre pays », a déclaré M. Erdogan, selon des propos rapportés jeudi par plusieurs médias turcs.
Dans un communiqué publié lundi soir, le Canada, la France, la Finlande, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède et les Etats-Unis ont réclamé un « règlement juste et rapide de l’affaire » Osman Kavala, éditeur et mécène turc devenu une bête noire du régime, emprisonné depuis quatre ans sans jugement.
« Est-ce à vous de donner une leçon à la Turquie ? Qui êtes-vous ? », a réagi le président turc, soulignant que la justice turque est « indépendante », selon ces médias locaux.
Dès le lendemain de leur communiqué commun, mardi matin, les ambassadeurs de ces dix pays avaient été convoqués par le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, qui jugeait « inacceptable » leur appel en faveur d’Osman Kavala.
Les diplomates estimaient notamment que « le retard persistant [pris par] son procès (…) jette une ombre sur le respect de la démocratie, de l’Etat de droit et de la transparence du système judiciaire turc ».
Figure majeure de la société civile, Osman Kavala est accusé depuis 2013 par le régime du président Erdogan de chercher à déstabiliser la Turquie. En décembre 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait ordonné sa « libération immédiate » – en vain.
Accusation d’espionnage
A 64 ans, Osman Kavala, homme d’affaires richissime et philanthrope né à Paris, a été maintenu en détention début octobre par un tribunal d’Istanbul qui a argué « manquer d’éléments nouveaux pour le remettre en liberté ».
Kavala fut à l’origine arrêté pour sa participation au mouvement de Gezi en 2013 – du nom d’un parc proche de la place Taksim à Istanbul. M. Erdogan était alors Premier ministre. Il a ensuite été accusé de tentative de coup d’Etat et d’espionnage.
Osman Kavala, qui a toujours nié les charges pesant contre lui, risque la prison à vie. Il comparaîtra de nouveau le 26 novembre. Dans un entretien à l’AFP, Osman Kavala a estimé la semaine dernière que sa détention permet au régime de Recep Tayyip Erdogan de justifier ses « thèses complotistes ».
Menaces de sanction
« Pour moi, la vraie raison de ma détention prolongée répond au besoin du gouvernement d’entretenir la fiction d’un complot », a-t-il déclaré depuis sa cellule, via son avocat. « Puisque je suis accusé d’avoir pris part à un complot organisé par des puissances étrangères, me libérer affaiblirait cette fiction et ce n’est certainement pas ce que le gouvernement souhaite », relevait-il
Le Conseil de l’Europe a menacé Ankara de sanctions, qui pourront être adoptées lors de sa prochaine session (30 novembre au 2 décembre) si l’opposant n’est pas libéré d’ici là. La question des droits et des libertés individuelles a souvent opposé les dirigeants européens et américains au président Erdogan, en particulier après la tentative de coup d’Etat de 2016 et la vague d’arrestations et d’emprisonnements qui se sont ensuivies.
En escale à Istanbul samedi dernier, dans le cadre de sa tournée d’adieu avant de quitter la chancellerie allemande, Angela Merkel n’avait pas manqué de le rappeler au président turc. « La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’il en ira de même avec le prochain gouvernement allemand », l’a-t-elle prévenu.