Depuis six mois, l’Instance Vérité et Dignité donne la parole aux victimes de la dictature tunisienne lors d’auditions publiques retransmises à la télévision.
Pour de nombreuses femmes, c’est l’occasion de faire connaître les souffrances endurées.
Depuis novembre 2016 et le début des auditions publiques mises sur pied par l’Instance Vérité et Dignité, retransmises en direct à la télévision, la société tunisienne se penche sur ses décennies de dictature. Créée pour faire la lumière sur les exactions de l’État pendant plus d’un demi-siècle, cette instance recueille les témoignages de celles et ceux qui ont subi les pires abus.
À travers ces prises de parole, les Tunisiens découvrent en particulier à quel point les femmes ont été prises pour cibles. Indirectement, en tant que mères ou épouses de militants arrêtés ou de manifestants abattus. Mais aussi, surtout, directement, en qualité de femmes engagées : syndicalistes étudiantes, militantes d’extrême gauche, membres du parti islamiste Ennahdha.
Certains témoignages ont bouleversé l’opinion. « Lors de ma deuxième arrestation en 1996, je venais d’accoucher et les points de suture de l’épisiotomie ont craqué sous les coups des policiers », confiait, lors de son audition publique, Najwa Rezgui, militante syndicaliste.
De graves violences policières
« La violence pratiquée lors des interrogatoires ou de la détention en prison utilisait précisément les vulnérabilités féminines. Et le fait d’être enceinte ou mère d’un enfant en bas âge ne les protégeait pas de la brutalité, au contraire »,confirme Ibtihel Abdelatif, directrice de la commission Femmes de l’instance chargée de mener à bien le processus de justice transitionnelle. « Des femmes ont été empêchées d’allaiter pour provoquer des douleurs, séparées de leur enfant en détention pour briser les liens familiaux », ajoute-t-elle.
« Non seulement les policiers n’éprouvaient aucune gêne pour s’en prendre à une femme, mais on sentait qu’ils étaient entraînés pour cela, a pu constater Mehrziya Ben Abed, une militante islamiste arrêtée et torturée à deux reprises au début des années 1990. D’abord ce sont des insultes très dégradantes, même de la part de jeunes policiers. Puis ils déshabillent les femmes en continuant à les humilier. Ils me disaient des choses du genre ’’Si tu étais une fille bien, tu ne serais pas nue comme ça’’ ».
Parler ou protéger sa vie privée
L’ombre du viol, potentiel ou accompli, plane dans tous les témoignages. « C’est une méthode destinée à effrayer les familles. Quand circule l’information selon laquelle une femme a été arrêtée, les gens se disent qu’ils ont abusé d’elle », explique Mehrziya Ben Abed.
« Pour une femme, être déshabillée devant des hommes, c’est déjà l’extrême, confie Hamida Ajangui, militante islamiste passée plusieurs fois par l’épreuve de la torture. Je ne l’avais dit à personne, même pas à ma mère, avant d’en parler publiquement. » Partagée entre deux volontés – témoigner et protéger leur vie privée –, elle fait partie de celles qui tentent de faire reculer les frontières de l’indicible.
« Quelques heures avant mon audition, mon frère m’a appelée pour me demander de ne pas tout raconter, poursuit Hamida Ajangui. ’’Pense à tes filles’’, m’a-t-il dit. Mais je voulais qu’on sache ce que vivaient réellement les femmes en Tunisie, ce pays que tout le monde donne en exemple comme celui où les droits des femmes sont respectés. »
Le courage de témoigner
Lors de son audition, essuyant régulièrement ses larmes et reprenant avec le sourire, elle a donc raconté. « Ils menaçaient de me violer avec un bâton. Un homme complètement saoul m’a obligée à me tenir contre le mur, à me déshabiller. J’ai crié : Ça suffit, ne me fais pas ça ! » Pour ne s’arrêter de parler qu’au bout de son calvaire.
Le lendemain de son passage à la télévision, des voisins l’ont appelée pour lui dire qu’ils étaient fiers d’elle. « Ce témoignage nous a aussi rapprochés aussi avec mon mari », explique-t-elle. Au lendemain de son audition, Mehrziya Ben Abed, elle aussi, a senti le respect dans le regard de ses voisins : « Je préfère garder certaines choses pour moi. Mais un jour je les écrirai ».
Auteur: seneweb news – Webnews