Au cours d’une récente interview au quotidien gouvernemental Izvestia , Pavel Aksakov, ombudsman chargé des droits des enfants auprès du président russe Vladimir Poutine, a fait part de son inquiétude : « Le risque d’être enrôlé dans les rangs de l’État islamique (EI) constitue une nouvelle et très grave menace pour nos enfants », a-t-il averti avant de confier qu’il préparait un rapport sur le sujet et avait l’intention de rencontrer le ministre de l’Éducation nationale pour lui demander de prendre des mesures afin d’informer parents et enfants des risques encourus.
Il a souligné par ailleurs que la menace ne concernait pas seulement le Caucase mais l’ensemble du pays. Et de rappeler deux cas qui avaient été largement couverts par l’ensemble de la presse. L’histoire de Barbara, à peine majeure, brillante étudiante en philosophie dans une grande université de Moscou, une fille apparemment sans histoires qui, un jour, sous l’influence d’une amitié amoureuse sur les réseaux sociaux, se convertit à l’islam et s’enfuit en Turquie pour rejoindre l’élu de son cœur qui combat en Syrie dans les rangs de l’EI. Retrouvée à la frontière grâce aux relations de son père dans les services, elle est maintenant en résidence surveillée à Moscou.
Emir, lui, n’est pas revenu et ne reviendra pas, confie en larmes sa mère Lida. Il avait deux ans quand son père Roustan Tovsoultanov, un bijoutier ingouche résidant dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, l’a enlevé en pleine nuit à l’insu de sa mère. Cette dernière a tenté pendant deux ans, en vain, de joindre son mari pour avoir des nouvelles de l’enfant. Finalement, elle est parvenue à lui dire deux mots avant d’apprendre un peu plus tard qu’ils étaient partis combattre en Syrie et qu’ils ne reviendraient pas … Quant à sa belle-mère, elle lui a conseillé de ne pas porter plainte et de ne rien raconter à personne, « sinon ils te tueront », a-t-elle ajouté. On ne saurait être plus clair !
L’utilisation des enfants
Les enfants sont « plus purs que nous car ils n’ont pas été pollués par la société de consommation, ils constituent la base d’un véritable État islamique débarrassé des influences néfastes de l’Occident corrompu », clament les islamistes.
Gregori Schedov, rédacteur en chef du journal en ligne « Le nœud caucasien », rappelle que l’EI n’a rien inventé. « Souvenez-vous des jeunesses hitlériennes et l’armée d’enfants de Charles Taylor (Liberia, 1990), relève-t-il. Seulement, maintenant, il y a Internet et YouTube, et le monde entier a tout le loisir de s’indigner. Ce qui est un atout de plus pour l’EI qui utilise les enfants comme une arme psychologique susceptible de déstabiliser les opinions publiques des pays occidentaux », a-t-il ainsi déclaré dans une interview à L’Orient-Le Jour.
Par ailleurs, l’intérêt pour les enfants est beaucoup plus terre à terre que voudraient le faire croire les responsables de l’EI. Les enfants sont taillables et corvéables à merci. Ils sont bons pour toutes les tâches. Ils servent à tout : soldats, boucliers humains, espions, gardiens, tueurs et, de surcroît, ils sont plus dociles que les adultes, moins exigeants, veulent moins d’argent, mangent moins.
Selon un spécialiste du Proche-Orient qui désire garder l’anonymat, la recrudescence des embrigadements de mineur dans des pays non contrôlés par l’EI, et en particulier en Russie, que l’on observe depuis un an, s’explique par plusieurs raisons.
L’EI a subi des pertes très importantes à la suite des opérations menées par la coalition d’une part, et par la Russie d’autre part. Ses troupes sont en partie décimées, et ce sont surtout des enfants qui ont péri dans la mesure où ils sont en première ligne. D’un autre côté, ils ont largement écumé les territoires qu’ils contrôlent et il n’y a plus beaucoup de possibilités. Dans ce contexte, une seule solution : ils s’attaquent maintenant aux musulmans de la diaspora en réactivant les cellules dormantes dans des pays où les salafistes brimés par les autorités civiles passent à la clandestinité.
Ce phénomène est connu depuis longtemps, mais on distingue une nouvelle tendance : l’augmentation de départs de femmes veuves ou abandonnées qui partent avec leurs enfants. « Les femmes seules sont une proie facile. On leur promet de retrouver leur époux ou d’en trouver un autre et elles font le pas emmenant leurs enfants sans penser à la suite », ajoute le spécialiste. Anna, daghestanaise, couturière à Moscou, raconte que dans son village « de nombreux adultes et enfants ont disparu sans laisser de traces, et les familles qui restent se taisent par crainte des représailles ». Les responsables des droits de l’homme qui ont pu se rendre ces derniers temps dans les républiques du Caucase confirment ces faits. « Je connais plusieurs cas, dont celui d’une veuve qui est partie il y a plusieurs mois avec ses trois enfants. Certains villages du Daghestan sont désertés, d’abord les hommes sont partis, maintenant ce sont les femmes et les enfants », raconte Elena.
Anton Svetov, membre de la chambre civile, non seulement confirme ces témoignages, mais tente de trouver une explication et, au-delà, de conseiller une nouvelle approche : « Il faudrait peut-être se demander pourquoi tant de personnes sont séduites par les idées de l’EI et chercher les raisons profondes de cet exode. Il ne suffit pas de fermer les mosquées salafistes et de déplacer les imams, il faut que la population se sente en sécurité et non victime d’injustice. » « La force, si elle est parfois nécessaire, ne résout pas tous les problèmes, il faut également des programmes sociaux et une lutte sans merci contre la corruption », a-t-il déclaré au site « Islam today ».