RDC : la rumba, 30 ans après la mort du « Grand maître » Franco

Disparition de ses ténors, concurrence de genres musicaux étrangers,….Trente ans après la mort de son « grand-maître », Franco Luambo, la rumba congolaise semble peiner à recouvrer la renommée internationale qui était la sienne depuis les indépendances. Autopsie.

Excepté le spectacle que donne demain le musicien Éric Nice dans un bar de Kinshasa, selon toute vraisemblance aucun événement grandeur nature n’est prévu. Toutefois, de nombreux mélomanes en RDC, dans toute l’Afrique, et même hors du continent vont tout de même être visités par un souvenir d’il y a 30 ans jour pour jour.

Ce jeudi 12 octobre 1989, une annonce à couper le souffle est donnée par des médias aussi bien africains qu’occidentaux : le « Grand maître de la rumba », Franco Luambo est mort. Né le 6 juillet 1938 à Nsona-Mbata (actuel Sona-Bata) dans la province du Bas-Congo, à l’extrême sud-ouest de RDC, c’est ce jeune qui, après une formation en guitare auprès d’un compatriote, entre dans le monde de la musique en 1956 en fondant avec Jean Serge Essous de Brazzaville, l’orchestre Tout-puissant Ok Jazz (T. P. Ok  Jazz).

En 33 ans de carrière, Franco va s’affirmer et s’imposer sur l‘échiquier musical de son pays et de son continent. Grâce notamment à une œuvre consacrée à la peinture (un peu à la Molière) d’une société kinoise et donc africaine ayant des traits de caractère comme le commérage, l’arrogance et la corruption de l‘élite.

Au point que des analystes finiront par l’appeler « Grand maître » de la rumba. Danse du nombril née dans l’ancien royaume Kongo (Congo, RDC, Angola), la rumba avait été transportée dans les Amériques par des esclaves kongolais avant de la « rapatrier » en Afrique centrale à partir des années 1950.

Mais si les apôtres avaient continué de propager l‘évangile du Christ après sa mort, le T.P. Ok Jazz va commencer à battre de l’aile. À cause en grande partie des luttes pour le leadership. Si bien que malgré un certain forcing, des héritiers de Franco vont beaucoup plus évoluer en solo.

Série noire

C’est le cas de Jean De Dieu Bialu Makiese dit Madilu System qui claqua la porte du T.P. Ok Jazz pour fonder le T.P. Multi System. En 1994, Simaro Masiya l’imite et crée l’orchestre Bana Ok. Comme si le grand-maître avait entrepris d’emporter son œuvre dans son linceul !

À partir de 1989, bien de grandes figures zaïroises de la rumba vont commencer à tirer leur révérence. Monza 1er et M’Pongo Love meurent en 1990. Ils seront suivis d’autres comme Strevos Niarcos en 1995. Et trois ans plus tard, c’est un autre baobab qui tombe en décembre 1998. « Les mélomanes se souviennent que les années 80 et 90 furent les années noires pour les artistes congolais dont les décès s‘étaient succédés à un rythme effrayant », écrira en mars 2014, le site congolais mbokamosika.com.

Et la série noire se poursuivra avec la mort en 2007 de Madilu Système, de Tabu Ley Rochereau en 2013, de Papa Wemba en 2016 et de Lutumba Simaro en 2019.

Mais que reste-t-il de la rumba, 30 ans après la mort de son « grand maître » Franco et de plusieurs de ses pionniers ? Si elle peut encore compter sur des cadors encore en vie dont Koffi Olomidé, JB Mpiana et Werrason, c’est une rumba visiblement dépassée par la concurrence que lui imposent des genres musicaux venus de l’extérieur.

À l’instar du coupé-décalé ivoirien qui dicte désormais sa loi sur le continent depuis le début des années 2000 sous l’impulsion Douk Saga et de son roi DJ Arafat décédé en août dernier.

Avenir en danger

Et mis à part cette invasion, la rumba telle que pratiquée actuellement de part et d’autre du fleuve Congo semble comporter des poisons de son autodestruction. Le cas des obscénités contenues dans les paroles et des scènes lascives montrées dans les clips. Ce qui tranche avec des compositions éducatrices servies par les pionniers de la rumba.

Il y a également les dédicaces. S’ils reconnaissent l’existence des chants à la gloire de personnalités de l‘époque, des observateurs reprochent l’abus des dédicaces dans les compositions d’aujourd’hui.

« Franco, Tabu Ley, Lutumba, Brazzos nous ont éduqués par leurs œuvres. Koffi aussi à l‘époque par son romantisme nous proposait des œuvres d’une forte pertinence artistique. Mais aujourd’hui, comment voulez-vous que j’achète un CD dans lequel on ne fait que chanter une personne qui, à plus forte raison est controversée ? », déplore Alain Ivouvou, un enseignant de lettres basé à Pointe-Noire.

Trente ans après la mort, de Franco, c’est donc une rumba très affaiblie, voire menacée de disparition qui essaye de se débattre face à la rigueur de l‘évolution. Heureusement que les nouvelles technologies sont désormais là pour aider la postérité à revisiter telle qu’elle fut jadis et naguère.

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