Ousmane Tanor Dieng prend ses marques à la tête du Haut conseil des collectivités territoriales. C’est en même temps l’officialisation de son choix pour Macky Sall, mais aussi de sa guerre contre Khalifa Sall. Ça va saigner chez les Socialistes. Surtout avec un «tueur» politique qui, froidement, élimine les adversaires.
Ousmane Tanor Dieng sera installé aujourd’hui à la tête du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), en même temps que les membres de cette institution. Mais qui est cet homme ? Il est connu. Il est reconnu. Mais cette cérémonie est un moment historique parce que décisif pour l’avenir du Parti socialiste. Le lieu, le Centre international de Conférence Abdou Diouf, est aussi symbolique. C’est le joyau qui porte le nom de son ancien mentor et parrain politique. Simple coïncidence ? Certains n’hésitent pas à comparer la proximité entre «Ndiol» (Diouf) et OTD à celle entre Senghor et Tanor. «Ousmane Tanor Dieng est un garçon remarquable, un jeune homme plein de vertus, de talent, de courage, de compétence, d’une loyauté et d’un engagement sans pareil. Vous m’avez comblé en m’élisant président du parti et votre prochain candidat, vous m’avez davantage comblé en me donnant les moyens d’y parvenir en élisant Ousmane Tanor Dieng, Premier secrétaire», disait le Président Abdou Diouf au sujet de son plus proche collaborateur. Il rendait la monnaie à celui-là même qui lui aurait donné les clefs pour se séparer d’un Jean Collin encombrant, tout puissant ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République. Un ami du couple Collin sous couvert de l’anonymat revient sur la stratégie adoptée en son temps dans les murs discrets du Palais. Et c’est cet homme de 69 ans, décrit naïvement comme un «cancre» de la haute politique, qui a pourtant passé à Diouf l’arme qui va «tuer» l’hyper ministre Collin. «Pour se débarrasser de feu Jean Collin, il faut démissionner le gouvernement», aurait conseillé Tanor à son chef. Voilà ce qui balaya l’homme fort du régime socialiste. Diouf en a profité pour le limoger et le remplacer par André Sonko comme secrétaire général de la présidence de la République. Alors, OTD, qui a semé cette graine, récoltera la haute confiance du patron du parti au pouvoir qui le promeut au poste de Premier secrétaire au 13ème congrès du Parti socialiste le 30 mars 1996 et de ministre d’Etat, ministre des Services et affaires présidentielles. Ce «congrès sans débat», aux dégâts qui ont ravagé le Parti socialiste avec les départs de Djibo Kâ et Moustapha Niasse, lui colle encore à la peau. Ce ne sera pas la dernière rébellion au Ps.
«Tueur froid»
La défaite de Diouf en 2000 lui est aussi attribuée. Trois mois seulement après cette bérézina mémorable, consacrant la première alternance politique, l’ancien ministre de la Culture Moustapha Kâ parlait, dans Le Matin du 26 juin 2000, de «la nécessité de la restructuration du Parti socialiste et de l’urgence d’un changement de leadership». Justement, le parachutage de Tanor a toujours mis à rude épreuve sa légitimité. Le 22 mars, trois jours après le départ du régime socialiste, une partie du bureau politique avait même tenté de débarquer le Premier secrétaire. En vain. Une seconde offensive avait été déclenchée, sans plus de succès, au lendemain des élections législatives d’avril 2001. Le nombre de députés socialistes, passé de 93 à… 10, n’a pas facilité les choses. Mais il faut avoir la carapace de Tanor pour résister aux assauts. Membre du bureau politique du Ps depuis 1988, le président du Hcct est depuis 1996 vice-président de l’Internationale socialiste. C’est ce maroquin que Diouf lui a servi comme du couscous qui le motiverait dans sa détermination de rester à la tête du parti. Il préférerait lâcher la candidature à la Présidentielle plutôt que la direction du Ps. C’est d’ailleurs ce qu’il avait soutenu dans Jeune Afrique en 2012. Il l’a fait. Ou il a y été poussé, selon certains de ses camarades qui l’expliquent par ses défaites aux élections de 2007 et 2012 contre Wade. En 2004, Robert Sagna, Souty Touré ou encore Mamadou Diop «le maire» rompent les amarres avec le Ps. En dépit de ses échecs et d’une forte contestation interne, le secrétaire général du Parti socialiste reste solide. Ousmane Tanor Dieng a encore une emprise sur le parti qu’il dirige, «sans partage», soutiennent ses adversaires. Mais la dose de diplomatie (conseiller diplomatique de Senghor puis de Diouf) qu’il met dans son management l’éloigne des querelles médiatiques et du bruit. «Froid», c’est le seul mot qu’un membre du bureau politique résume l’homme Tanor. Il poursuit au bout du fil : «Il est froid au sens de timide. Il est froid au sens figuré du terme. Quand il veut te tuer, il le fait sans état d’âme. C’est peut-être la fibre de l’homme d’Etat.» Tanor veut toujours marcher droit dans ses bottes et sans obstacles.
L’homme qui franchit les obstacles
Cette élection des hauts conseillers avait un goût de revanche entre Tanor et Khalifa Sall. Principalement pour la bataille de Dakar. Une suite des Locales et du référendum du 20 mars. Au Ps, il s’agissait de dire Oui à la poursuite du compagnonnage avec l’Apr et ses alliés. Le choix de Tanor à la tête du Hcct met fin, sauf preuve du contraire, à l’illusion d’une candidature socialiste en 2019, donc contre Macky Sall. Qui plus est, la décision de «la base» du Ps d’aller aux Législatives de 2017 n’a rien de différent avec la déclaration du 10 mars 2014 de Moustapha Niasse et de l’Afp de soutenir le chef de l’Etat et de ne pas présenter un candidat contre lui. Niasse l’a dit. Tanor, lui, l’a fait. Reste à Khalifa Sall d’emprunter le chemin de Malick Gackou. Mais pour Tanor, l’obstacle est levé. Il poursuit son chemin pour ne jamais croiser Macky Sall. Le fauteuil du Hcct est lustré pour cinq ans. A moins qu’un décret contraire ne tombe. Tanor est maître dans cet art de dérouter les ambitieux : Djibo, Niasse, Khalifa et même Aïssata Tall Sall qui a osé lorgner son fauteuil. Et quoi encore ? «Tanor est un peu timide, mais il est toujours en autodéfense parce qu’il est un peu limité politiquement. Il ne peut pas supporter la contradiction», confie un de ses contempteurs. Yamar Ndiaye, son cadet socialiste de Nguéniène, le décrit : «C’est un homme que beaucoup ne connaissent pas. Déjà très jeune, il était très écouté par les vieux. A la mosquée, ses avis étaient partagés.» Pourtant il n’a pas l’éloquence d’un bon prêcheur !
Macky et lui
Tanor sera donc installé par le président de la République lui-même. Macky Sall doit compter sur lui, après Niasse, pour sa réélection. Le raisonnement du président de la République est simple : quand on a la tête, on a presque le reste. Le président de l’Apr a sans doute Tanor et son appareil. Mieux valait l’avoir avec lui que contre lui ! On dirait une «chasse à l’homme» que Macky Sall a lancée depuis 2012. C’est qu’il a toujours rêvé d’avoir l’assurance d’un soutien encore plus soutenu de Tanor et son parti. Et à l’arrivée, avec le Hcct, il peut pousser le ouf : «I got him!» Mais c’est la politique du réel, aussi bien pour Tanor que pour Macky Sall. Le premier ayant épuisé ses cartouches de candidat à la Présidentielle ; le second ne voulant pas risquer un divorce aux conséquences imprévisibles. Autant dire une compatibilité d’humeur. Même si en politique les contextes font les humeurs. Heureux ménage ! Pour le meilleur sûrement. Pas pour le pire certainement ! Et puis, le secrétaire général du Ps a été élu sur la liste de Mbour. Derrière ce grenier électoral partagé entre le Ps et l’Apr, Macky Sall viserait la région de Thiès. Qui mieux que OTD pour provoquer le leader de Rewmi. Secrétaire général de la coordination départementale de Mbour, de l’Union des coordinations de Mbour et de l’Union régionale de Thiès en 1995, l’enfant de Nguéniène serait une carte à jouer pour davantage bousculer Idrissa Seck, confiné à sa ville et dans son département. Sacré «tueur» !