Peine de mort pour Israa al-Ghomgham : l’Arabie Saoudite « pourrait vouloir en faire un exemple »

Israa al-Ghomgham pourrait devenir la première femme décapitée pour avoir défendu les droits de l’Homme en Arabie saoudite. Car malgré l’apparente volonté de réforme du prince héritier, le royaume reste toujours très verrouillé.

On l’a annoncée morte, décapitée par les autorités saoudiennes, vidéo à l’appui. Israa al-Ghomgham, militante des droits de l’Homme et figure de proue de la minorité chiite en Arabie saoudite est bel et bien vivante. Pour l’instant. Cette jeune femme de 29 ans, arrêtée en décembre 2015 avec son mari pour avoir participé à des manifestations anti-gouvernementales dans la province de Qatif, pourrait bien devenir la première Saoudienne à être condamnée à mort pour avoir défendu les droits de l’Homme. Si 58 Saoudiens croupissent actuellement dans le couloir de la mort du royaume, le cas de cette activiste est loin d’être anodin. D’aucuns redoutent que sa décapitation, si elle est confirmée le 28 octobre, ne soit que le prélude à une véritable chasse aux sorcières.

Israa al-Ghomgham a commencé à faire parler d’elle en 2011. Le printemps arabe, qui secoue de nombreux pays du Maghreb jusqu’au Moyen-Orient, gagne le royaume des Saoud. Des manifestations éclatent notamment à Riyad pour réclamer des emplois, plus de droits mais aussi d’égalité. « Elle est devenue activiste lorsque le printemps arabe a débuté en Arabie saoudite, explique à France 24 Ali Adubisi, président de l’organisation européenne pour les droits de l’Homme en Arabie saoudite (ESOHR) basée à Berlin. Elle a participé à de nombreuses manifestations entre 2011 et 2015. Elle était à la tête d’un mouvement de femmes et s’est beaucoup exprimée sur les réseaux sociaux mais aussi dans les médias ».

L’Iran, bête noire des Saoud

Craignant de voir cette contestation se transformer en révolution, les autorités n’hésitent pas à réprimer férocement les rassemblements notamment dans la région de Qatif, majoritairement chiite. De mars 2011 à janvier 2012, des dizaines de personnes sont arrêtées, une dizaine blessée par les tirs à balles réelles des forces de l’ordre, et au moins cinq personnes tuées. Si le roi Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud parvient à étouffer la contestation en annonçant des réformes pour lutter contre le chômage et des programmes sociaux, il pointe du doigt le voisin et ennemi de toujours : l’Iran.

« Cette jeune femme est une militante chiite des droits de l’Homme, insiste Clarence Rodriguez, spécialiste de l’Arabie saoudite. Ce n’est pas anodin. Il est important de ne pas mélanger son cas avec celui des autres activistes incarcérées depuis mai ». L’auteure de « Arabie saoudite 3.0 : Paroles de la jeunesse Saoudienne » rappelle ainsi qu’elle est jugée par le même tribunal qui a condamné l’une des figures emblématiques de la contestation chiite dans le royaume : le cheikh Nimr Baqer al-Nimr. Arrêté en 2012, le leader, reconnu coupable de « terrorisme », « sédition », « désobéissance au souverain » et « port d’armes », a été exécuté en 2016.

« L’Arabie saoudite a peur de l’ingérence de l’Iran. Tout ce qui évoque sa bête noire lui donne littéralement de l’urticaire, poursuit Clarence Rodriguez. Nimr Baqer al-Nimr aurait pu purger une peine de prison mais ils ont voulu en faire un exemple. Le prince héritier Mohamed ben Salman, MBS, est intervenu pour qu’il soit exécuté et que cela refroidisse toute velléité de troubler l’ordre public. Cette femme est jugée pour trouble à l’ordre public dans un contexte fragilisé par les actions des militantes des droits de l’Homme ».

Pour Ali Adubisi de ESOHR, la confession religieuse d’Israa al-Ghomgham n’est pas forcément un facteur aggravant. « Elle est chiite mais elle réclame des droits pour tous les Saoudiens, insiste-t-il. La révolte des chiites est ancienne en Arabie saoudite. Ils sont victimes de violations des droits de l’Homme spécifiques mais aussi communes à l’ensemble de la population ». Le caractère politique de la décision de la condamner à mort ne fait néanmoins aucun doute pour lui. « Le mouvement de protestation en Arabie saoudite est porté par les femmes car les autorités ont muselé les hommes. Avant le gouvernement n’arrêtait pas les femmes. Le roi Ben Salmane et MBS ont aujourd’hui changé de politique et pourraient vouloir faire d’Israa un exemple ».

Les femmes, fer de lance de la contestation

Une analyse partagée par Clarence Rodriguez. « Les femmes ont toujours été un enjeu politique. On parle des droits des femmes, notamment de l’interdiction de conduire qui a été levée le 24 juin, mais ce qu’elles veulent avant tout c’est abolir le tutorat ! Les Saoudiennes sont mineures à vie, elles ne peuvent rien faire seules. Elles veulent leur émancipation. Ce n’est pas pour rien que nombre d’entre elles ont été interpellées. On veut en faire des exemples ».

Loujain al-Hathloul, Aziza al-Yousef et Eman al-Nafjan ont été arrêtées en mai 2018, soit un mois avant le décret d’application permettant aux Saoudiennes de prendre le volant. Elles « sont accusées de former une ‘cellule’, constituant une menace pour la sécurité de l’État en raison de leurs liens avec des entités étrangères dans le but de saper la stabilité et le tissu social du pays » selon le communiqué de la Sécurité du territoire publié par Amnesty International. Elles risquent jusqu’à 20 ans de prison.

Dès lors, comment interpréter les récents efforts du prince héritier pour redorer l’image déjà bien écornée du royaume ? « Il n’y a pas de liberté de parole. Les gens ne peuvent participer à des organisations civiques ou politiques. Les femmes ne peuvent pas voyager, elles sont sous tutelle. On torture et on tue des gens dans les prisons. Je me demande comment les médias peuvent encore parler de réformes ! L’Arabie saoudite n’a pas de réformes, s’indigne le président de l’ONG ESOHR. En France, Israa ne serait pas poursuivie pour avoir manifesté, pour s’être exprimée sur les réseaux sociaux ou dans des médias. En Arabie saoudite, on la poursuit pour terrorisme ».

Autoriser les femmes à conduire, un simple mirage ? Clarence Rodriguez estime que les enjeux de ces réformes sont avant tout motivés par des enjeux économiques. « Depuis la crise pétrolière, le royaume doit se diversifier. MBS veut montrer au monde l’image d’un islam modéré, de plus de souplesse mais les vraies réformes sont à chercher du côté des droits de l’Homme ».

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