Que prévoit le projet de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle de 2017 ? Next INpact vous propose une synthèse de ses propositions phares dans le domaine du numérique, notamment au travers du prisme de la culture, de la sécurité, ou encore du logiciel libre.
Le candidat du Front de gauche a dévoilé plusieurs livrets chapitrant ses propositions pour la campagne présidentielle. Fustigeant « une culture livrée à la loi du profit », Jean-Luc Mélenchon dénonce en vrac « l’emprise du marché, la loi de la rentabilité et le règne de la finance » dans ce secteur. « De grandes entreprises mondiales – comme Vivendi, Sony, Apple, Pinault, LVMH… – s’approprient notre culture. Ces multinationales traitent l’art comme un banal bien de consommation en s’abritant derrière un discours trompeur de partage. En réalité, pour elles, la culture doit être rentable, peu importe si certain·e·s en sont exclu·e·s ».
« Démocratiser la culture »
Du règne du « marketing intensif et ciblé sur les outils numériques », est craint un formatage des comportements où l’Europe n’est pas en reste, accusée « de la privatisation des politiques culturelles ». Avec une paupérisation du secteur, les artistes sont conduits tendre la main aux « sponsors et mécènes, c’est-à-dire la loi des grands partons ».
Le décor planté, Mélenchon compte réinjecter la culture du partage en s’émancipant d’une logique financière. Pour « démocratiser la culture », il voudrait non seulement étendre la gratuité dans les musées subventionnés, mais aussi « intégrer les droits d’auteur dans le domaine public après le décès des auteur.e.s pour financer la création et les retraites des créateurs ».
Un domaine public payant pour financer les cotisations sociales des créateurs
Derrière l’expression se cache les signes d’un domaine public payant. « Quand une œuvre est arrivée à un certain nombre d’années de diffusion, elle tombe dans le domaine public, (…) il n’y a plus de droits dessus, au profit des héritiers, car souvent, l’auteur n’est plus là » avait-il exposé lors d’un meeting à Lyon.
Plutôt que s’élever dans le domaine public, l’œuvre se verrait du coup attribuer des droits patrimoniaux, dont les fruits seraient « versés à une caisse qui alimentaire la cotisation sociale des créateurs ». Pour le candidat, cela « s’appelle socialiser le domaine public de la création ». Cette idée d’un domaine public payant n’est pas neuve, mais les propositions antérieures, défendues notamment par la SACD, visait surtout à réinjecter de l’argent frais dans la numérisation des contenus. Cette fois son orientation serait davantage sociale, fléchée à destination de la protection des auteurs.
Une médiathèque publique en ligne, un domaine commun informationnel
Au fil de ses livres, Jean-Luc Mélenchon propose aussi de « développer une filière de la création numérique dans l’enseignement professionnel ». Sans détailler, il envisage de « garantir la liberté de création et de diffusion des oeuvres d’art contre toute tentative de censure ».
Ses idées, pour le moins denses, cheminent également dans le domaine de la communication puisqu’il voudrait « interdire les écrans publicitaires numériques et connectés », considérés comme un « vrai scandale écologique et déontologique, dans les lieux et transports publics ».
Il propose aussi de créer « une médiathèque publique en ligne, avec une plate-forme d’offre légale en ligne de musique, de films et de contenus culturels ». Une médiathèque qui serait ainsi à l’image de celles accessibles dans les villes équipées. Par ce chantier, il veut reconnaître un « domaine commun » informationnel, « composé du domaine public et de l’ensemble des données, informations et savoirs qui ne sont pas protégés par la propriété intellectuelle ». Par ce biais, ces contenus seraient protégés « contre les appropriations marchandes (copyfraud) » afin « de garantir l’accès durable (…) à la connaissance ».
Le prix unique du livre étendu au jeu vidéo, à la musique, au cinéma
On remarquera aussi sa proposition de défendre bec et ongles la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Pour cela, il envisage de « sanctionner les abus (frais de transport offerts…) et supprimer toutes les aides fiscales ou indirectes aux mastodontes du commerce en ligne tels Amazon, Fnac.com, etc. ».
Cette logique du prix unique serait en outre étendue à d’autres supports comme la musique, le jeu vidéo et le film. Enfin, il suggère de « créer un centre national du jeu vidéo, sur le modèle du centre national du cinéma, pour financer les créations françaises ».
La redevance TV augmentée, harmonisée avec nos voisins européens
Dans son livret relatif aux médias, le candidat compte notamment « renforcer et pérenniser le financement de l’audiovisuel public, y compris l’audiovisuel extérieur pour atteindre un niveau comparable à celui de nos grands voisins européens ».
Mélenchon n’y détaille pas sa mesure, mais un tableau décrit le niveau de redevance télé entre la France (137 €), le Royaume-Uni (175 €) et l’Allemagne (216 €). On ne sait à cet instant s’il compte étendre la contribution à l’audiovisuel public aux autres écrans ou étendre la pression sur les foyers qui y sont aujourd’hui.
Un super CSA
Dans l’univers des contenus audiovisuels, il prône la création d’un Conseil national des médias. Un super organe fusionnant en une seule enceinte le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission paritaire des publications et agences de presse, l’autorité de régulation de la distribution de la presse et du bureau de vérification de la publicité.
Composé de représentants du gouvernement et de parlementaires, de professionnels du secteur, mais également d’usagers, « il sera en charge de missions renforcées, notamment dans le contrôle du respect de la loi anticoncentration et des cahiers des charges de l’audiovisuel avec un pouvoir d’intervention accru ». Les citoyens pourront saisir ce CNM « pour signaler un abus et obtenir réparation ».
Il demande également la définition d’un nouveau cadre réglementaire pour encadrer « les nouveaux usages de la télévision et la convergence des médias, sur de nouveaux supports, comme les box, les tablettes, les smartphones ». L’enjeu ? « Résister à l’émergence de quelques monopoles, tant anglo-saxons que français, dans la production et la circulation de programmes ». Des sanctions seront renforcées (suspension, retrait d’autorisation d’émettre) « lorsque les médias audiovisuels diffuseront des programmes sexistes, racistes, xénophobes, LGBTIphobes ou portant atteinte à la dignité des personnes en situation de handicap ».
Un droit à l’indexation des contenus édités en France
Pour soutenir l’exception culturelle française, Mélenchon voudrait « instaurer des droits sur l’indexation des contenus édités par des médias français et qui s’appliqueront à toutes les plateformes et moteurs de recherche ». On a un peu de mal à savoir ce qui se cache derrière puisque les médias ont déjà la liberté d’être indexés dans les moteurs, sauf à jouer avec le fichier Robots.txt afin d’interdire tout référencement. S’il s’agit de questions concurrentielles, ces problématiques peuvent déjà être traitées par l’Autorité de la Concurrence, ou des autorités européennes.
Une autre alternative nous replongerait tout droit sur la tentative du projet de loi Hadopi où, en 2009, certains députés avaient voulu surférencer des offres légales dans les moteurs.
Un droit d’accès à Internet dans la Constitution
Dans le livret sur le numérique, il voudrait que le droit d’accès à Internet soit inscrit dans la Constitution. C’est un pas supplémentaire dans la consécration qu’avait opérée le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi Hadopi. Celui-ci avait relégué cet accès comme une composante essentielle à la liberté d’information et de communication, deux principes déjà inscrits au plus haut de la hiérarchie des normes.
Promouvoir l’autohébergement, défendre la neutralité du Net
Mélenchon vaut, sans grand détail, défendre « l’émergence des échanges décentralisés, en favorisant l’autohébergement, le développement des modes d’échanges pair-à-pair, l’utilisation de formats de données et de protocoles d’interconnexion ouverts ».
Il est aussi favorable à la neutralité du Net « notamment en investissant dans des infrastructures physiques détenues par le public ». Un principe qui passera par la garantie d’accéder « à un internet neutre et ouvert depuis les points d’accès public à Internet ».
Toutes les plateformes soumises à agrément
Pour lutter contre les fraudes fiscales, il propose d’instituer une procédure d’agrément en créant une structure administrative. « Les plateformes numériques devront donc se soumettre à une procédure d’agrément qui permettra de vérifier qu’elles satisfont aux obligations sociales, fiscales et réglementaires en vigueur ».
Sur la même veine, toutes les institutions publiques devront « se doter de plateformes numériques d’intérêt général » afin de « fluidifier et de simplifier la mise en relation » avec les usagers : transports collectifs, réseaux de distribution de produits locaux, accès au droit, transparence des données, etc.). « Construire des plates-formes publiques, affirme-t-il, c’est garantir que la valeur créée par un écosystème est reversée à la société, et non pas capturée sous forme financière ». Là encore, l’accent sera mis sur le logiciel libre où l’égalité d’accès et de traitement sera garantie.
Encadrer les cas de censure privée
Sur la suppression des contenus en ligne, il veut renforcer le rôle de l’autorité judiciaire « chargée de contrôler les retraits de contenus illégaux par des plateformes privées et améliorer l’efficacité du traitement des signalements », et ce afin d’encadrer les cas de censure privée. D’ailleurs, il promet des sanctions pour les plateformes du web qui porteraient atteinte à la liberté d’expression.
Promouvoir le logiciel libre, interdire la vente liée
Le bras de fer entre logiciels libres et logiciels propriétaires se résout au profit des premiers : généralisation des logiciels libres dans l’ensemble des administrations. Cet univers sera également promu au sein de la commande publique.
Ce champ passe aussi par « l’application de l’interdiction de la vente liée qui consiste à vendre un logiciel préinstallé pour tout achat de matériel. Une alternative libre et ouverte doit être proposée, notamment via les services publics du numérique ». Un régime aujourd’hui où les marges de manœuvre sont serrées puisqu’encadrées par le droit européen et l’interprétation de la Cour de justice de Luxembourg.
THD et 4G partout
Pour lutter contre la fracture du numérique, il anticipe « un plan d’investissement des infrastructures pour atteindre un objectif d’accès au Très haut débit sur tout le territoire sous 5 ans et une couverture totale 4G sous 10 ans ». Casser la mainmise des grands acteurs en place passera par « le développement d’infrastructures publiques et des fournisseurs d’accès à Internet associatifs ». Le sujet passera aussi par « la reconquête de la maîtrise publique des technologies liées au numérique et aux télécommunications tels que les câbles sous-marins ».
Fablabs, répare-cafés
Jean-Luc Melechon compte aussi « redynamiser les espaces publics numériques et en faire de véritables maisons du numérique, en développant les répare-cafés, fablabs, projets collaboratifs, pour offrir des formations à l’usage et à la citoyenneté numérique ». Des écoles aux universités, des programmes d’enseignement et de formation à la « culture numérique » seront revus pour être plus « ambitieux et pérennes », sans grandes précisions là encore.
L’enterrement de la Hadopi, le retour de la licence globale
Hadopi sera mise à mort si le candidat remporte la présidentielle. L’institution est considérée comme coûteuse et inefficace. Il veut la remplacer par un « système de rémunération globale de la création ». En fait, une cotisation prélevée sur l’abonnement pour autoriser le téléchargement non marchand. C’est ici le retour de la licence globale qui fut promue en France voilà une dizaine d’années, avant de tomber en désuétude. Le montant de ce prélèvement n’est pas fixé dans son programme.
Les DRM « restreignant abusivement l’usage des œuvres numériques » seront interdites, sans que la jauge entre usage normal et abusif ne soit précisée. Pour les créateurs, il est promis l’instauration d’« un système de répartition pour rémunérer les auteurs et créateurs, y compris pour les oeuvres sous licences libres et pour financer de nouvelles productions ».
Interdire la surveillance de masse, revenir sur le fichier TES
S’agissant du respect de la vie privée, il veut lancer une évaluation des solutions utilisées par les services du renseignement. « Les mesures inefficaces, disproportionnées ou contre-productives seront abrogées ». Certaines sont déjà mises à l’index lorsqu’elles impliqueront des cas de surveillance de masse, « inefficaces et liberticides ». Mélenchon promet de supprimer le fichier TES mis en place par le gouvernement de Manuel Valls et déployé par Bernard Cazeneuve.
Sur les flux de données vers les États-Unis, il annonce une renégociation du Privacy SHield, actuellement d’ailleurs remis en cause par les parlementaires européens, mais également par le groupe des autorités de contrôle des données personnelles réunies au sein du G29.
Les dispositifs de sécurité, de renseignement et de lutte contre le terrorisme votés depuis 2002 (Loi Renseignement, Loi sur l’état d’urgence, Loi LOPPSI2, etc.) seront tous évalués par une commission d’enquête. « Elle préparera l’abrogation des mesures inefficaces, disproportionnées ou contreproductives. Elle dressera objectivement le bilan des suppressions de moyens et d’effectifs des dernières années. Et elle fera un diagnostic concret des conditions de travail des agents de la police et la gendarmerie ».
Considérant que « l’État doit d’abord retrouver son sang-froid », il envisage de « sortir des stratégies d’ »exception » érigées au rang de norme par l’inflation sécuritaire des lois « renseignement » et « antiterroristes » ». Avec Mélenchon, la France sortira de l’état d’urgence.
Promouvoir le chiffrement
Contrairement à Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon veut promouvoir le chiffrement des données et des correspondances. Toujours dans son programme sur le numérique, il défend l’idée d’une « amélioration de la transparence des plateformes pour lutter contre le trafic des données personnelles » par la création de « standards clairs et lisibles de description des conditions générales d’utilisation ». Il compte aussi « obliger les acteurs du web à informer l’utilisateur s’il fait l’objet d’un profilage et lui permettre de le refuser ».
Un dernier livret doit être consacré à la « révolution numérique », mais celui-ci n’a toujours pas été mis en ligne à quelques jours de l’élection présidentielle.