Cinq généraux en état d’arrestation, un président de l’Assemblée nationale interdit d’entrée dans l’hémicycle… La classe politique algérienne est en ébullition ces jours-ci. Que va faire le président Bouteflika à la présidentielle d’avril prochain ? Malgré sa maladie, va t-il se présenter une 5e fois ? Le sociologue algérien Nacer Djabi est, avec le mouvement Mouwatana (Citoyenneté), l’un des signataires d’une lettre ouverte qui demande au président algérien de ne pas s’accrocher au pouvoir. En ligne d’Alger, il répond aux questions de RFI.
RFI : Pourquoi avez-vous signé une lettre ouverte appelant le président à ne pas briguer un cinquième mandat ?
Nacer Djabi : Je crois que c’est l’avis de beaucoup d’Algériens. C’est-à-dire que le cinquième mandat est de trop. Tout le monde le sait, les Algériens, le monde extérieur, que le président est malade et même gravement malade, et qu’il a fait presque vingt ans de règne.
L’Algérie a besoin de changer. Les Algériens veulent un nouveau personnel politique. Ils veulent le changement. On a une société de jeunes qui n’ont plus confiance dans le personnel politique, qui boycottent les élections, qui ne participent à la vie politique, qui n’adhèrent pas aux partis politiques. Donc, c’est un retrait pratiquement global de la société algérienne envers la chose politique. Et je crois que le changement au niveau de la présidence peut faire évoluer les choses dans le bon sens.
Depuis un an, de nombreuses personnalités algériennes demandent au président de ne pas briguer un cinquième mandat, comme l’ancien ministre Ahmed Taleb Ibrahimi, le général Rachid Benyelles, l’avocat Ali-Yahia Abdennour et de nombreux universitaires comme le politologue Mohamed Hennad. Qu’est-ce qui vous distingue, vous, les signataires de cette dernière lettre ouverte ?
C’est dans le cadre d’une initiative de Mouwatana (citoyenneté). Donc, les collègues qui sont dans cette initiative ont proposé une charte dernièrement. Ils ont essayé de faire des marches, des sit-in à Constantine. Cela n’a pas marché. A Alger, la même chose. Parce qu’il ne faut pas oublier, il y a une histoire. Les gens de Mouwatana, les personnalités politiques, étaient dans l’initiative de Zéralda en 2014. J’étais moi-même dans ce cas.
Contre un quatrième mandat ?
Contre un quatrième mandat. Et on dit la même chose pour le cinquième mandat. On se dit que l’Algérie a besoin d’une période de transition, d’ouverture politique, pour une plus grande participation des Algériens à la chose politique. C’est-à-dire amener les Algériens à s’intéresser au sort de leur pays.
Mais les deux principaux partis du pays que sont le FLN et le RND [Rassemblement national démocratique] du Premier ministre Ahmed Ouyahia soutiennent la perspective d’un cinquième mandat pour Abdelaziz Bouteflika.
Ce ne sont pas les seuls. C’est des partis de sérail, de pouvoir, qui ne sont pas représentatifs parce que ces deux partis sont imposés. Le RND a démarré en 1997. Deux mois après son congrès en constitutif, il a eu la majorité parlementaire en Algérie. Chose incroyable, anormale.
Le FLN est depuis 1962 au sommet de l’Etat. Il ne bouge pas. Ce n’est pas normal. Les partis sont majoritaires au niveau du Parlement mais sur la base de quelles élections ? Une des revendications de la transition de Mouwatana, c’est de revoir les formes d’élection, de revoir la même force dans l’organisation des élections, de l’administration publique. Ce sont les walis [à la tête d’une wilaya, équivalent d’un département] qui organisent les élections, c’est le ministère de l’Intérieur.
Donc, pas de transition possible sans élections transparentes ?
Bien sûr.
Beaucoup disent qu’en Algérie, c’est l’armée qui fait et défait les régimes.
Je crois que ce n’est pas l’armée, c’est la sécurité militaire. Ce sont les services de sécurité qui appartiennent à l’armée. Quand on parle d’armée, on parle surtout de la direction du service. C’est une petite élite, une direction au sein de l’armée. Et la décision est prise d’une manière qu’on ne connaît pas entre décideurs de l’armée. Cela a été le cas depuis pratiquement 1962.
Officiellement, le chef de la sécurité militaire, le général Mediène, dit « Toufik », a été limogé il y a trois ans, en 2015. Mais qu’en est-il réellement ?
C’est la personne qui est partie, mais la structure est toujours là. Ce ne sont pas les hommes qui sont importants. La fonction politique, toute cette structure militaire, existe et elle est là encore.
Dimanche dernier [le 14 octobre], cinq généraux algériens qui avaient été limogés, ont été arrêtés. Est-ce un signe que les lignes bougent à l’intérieur de l’armée ?
Je crois que c’est un grand événement. C’est la première fois qu’on voit un nombre aussi important. C’est un nombre important de chefs militaires soupçonnés de malversations, d’enrichissement illicite. C’est important pour les Algériens et pour l’institution militaire.
Est-ce le signe qu’il y a des règlements de comptes au sein de l’armée ?
Je ne sais pas. C’est très opaque. L’armée a l’habitude de ne pas communiquer, de ne pas donner trop d’informations. Il faut attendre leur passage devant la justice, c’est-à-dire le démarrage du procès.
Actuellement, qui gouverne en Algérie ?
C’est sûr que Bouteflika est affaibli. Mais la présidence est encore là. La présidence, comme institution, est encore là. La présidence est gérée par le président d’une manière ou d’une autre, mais il y a le chef du gouvernement, il y a quelques conseillers politiques qui sont autour de Bouteflika. Jusqu’à maintenant, ils arrivent à gouverner, même avec les difficultés de la maladie.
Le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, est-il un homme clé dans le dispositif actuel ?
Oui. Il est chef de gouvernement et il est chef de parti politique, le RND, dans la majorité présidentielle. C’est un vieux routier de la chose politique en Algérie. Il est chef du gouvernement pour la quatrième ou la cinquième fois. Il est là depuis 1993. Donc, il devient un homme clé de la vie politique en Algérie.