Un an après sa libération des griffes du groupe EI, Raqqa (nord-est de la Syrie) peine à se relever. Les services de santé restent limités et les mines abandonnées par les jihadistes plombent le quotidien des habitants.
Elle était la « capitale » autoproclamée de l’organisation État islamique (EI). Un an après la libération de Raqqa par une coalition arabo-kurde soutenue par la coalition internationale dirigée par les États-Unis, la ville, située dans le nord de la Syrie, tente toujours de refaire surface.
Défigurée par plusieurs mois de combats acharnés et une campagne intense de bombardements (30 000 tirs d’artillerie et des dizaines de milliers de raids aériens selon les ONG), Raqqa a été détruite à 80 %. Si la reconstruction était l’une des principales priorités après la chute des jihadistes de l’EI, mi-octobre 2017, celle-ci peine à avancer. Les opérations de déblaiement ont bien libéré les principaux axes de circulation, mais certaines artères restent obstruées par des amas de ruines qui témoignent de l’ampleur des dégâts.
30 000 logements complètement détruits
Le conseil civil de Raqqa, chargé d’administrer et de reconstruire la ville – qui échappe au contrôle du régime syrien –, ne manque pas de bras, mais de fonds et de matériels pour accélérer le processus. L’aide internationale, contrairement à l’aide humanitaire, n’est pas encore au rendez-vous. « Il est tout à fait choquant de voir que si peu a été fait au cours de l’année écoulée pour ramener Raqqa à la vie », a déclaré le 12 octobre, Anya Neistat, la directrice pour la recherche internationale de l’ONG Amnesty International. Ajoutant lors d’une conférence de presse organisée au Liban, au retour d’une visite dans la localité : « Vu les montants dépensés pour mener cette campagne [militaire] très, très coûteuse, la coalition [internationale] devrait avoir assez d’argent pour en assumer les conséquences. » Selon elle, près de 30 000 logements ont été complètement détruits et 25 000 l’ont été partiellement.
De son côté, la coalition se défend, disant avoir pour priorité la stabilisation de la ville plutôt que sa reconstruction, en rappelant que les pays coalisés ne peuvent travailler avec le régime de Damas qui s’oppose à leur présence sur le territoire syrien.
Toutefois, malgré cette situation, la vie a repris son cours. De nombreux habitants de Raqqa, qui comptait jusqu’à 300 000 âmes, continuent de rentrer après avoir fui en masse la ville après l’arrivée des jihadistes en 2014. Selon des chiffres de l’ONU, 138 000 déplacés sont retournés dans la localité depuis la fin des hostilités, sans compter ceux qui ont rallié leurs villages situés dans le gouvernorat du même nom, divisé en deux zones, l’une contrôlée par les Kurdes syriens, et l’autre, au sud de Raqqa, par Damas.
Insécurité alimentaire et services limités
Mais près de 95 % des ménages qui sont revenus à Raqqa, où ils vivent dans des logements précaires, souffrent d’insécurité alimentaire. L’accès à certains services de base s’est amélioré, comme l’accès à l’eau grâce à la réparation de certaines canalisations détruites, mais reste insuffisant. Selon un rapport onusien daté de mi-juillet, seuls 50 % des habitants profitent du réseau de distribution d’eau (non-potable), le reste de la population ayant recours à de l’eau non-traitée de l’Euphrate, acheminée par des camions-citernes. L’alimentation en électricité reste également très problématique et partielle dans la majorité des quartiers de la ville, à cause des destructions et des pillages de matériels.
Les infrastructures ont également été durement touchées, notamment les écoles, certaines ont été rasées et les autres manquent de matériel scolaire et autres fournitures. Les services de santé, le plus souvent fournis par des cliniques privées, restent eux très limités, malgré les efforts des ONG humanitaires (campagne de vaccination, lutte contre les contaminations et les épidémies). Comme un symbole, le principal hôpital de Raqqa, qui pouvait accueillir des centaines de personnes par jour, est toujours à l’abandon et en ruine, faute de « sponsors ». La réhabilitation de l’hôpital, transformé en fortin par les jihadistes, coûtera 5,1 millions d’euros (hors matériel médical), selon le conseil civil de Raqqa.
Des « milliers de corps qui n’ont pas été récupérés »
L’insécurité est une autre source d’inquiétude pour la population. Une insécurité incarnée par les milliers de mines disséminées dans la ville par l’EI. Des engins explosifs – plus de 8 000 selon les autorités locales – qui angoissent les habitants, et qui ralentissent l’avancée de certains travaux. Selon l’ONU, depuis janvier 2018, entre 20 et 25 incidents par semaine, parfois mortels, surviennent à Raqqa. Les enfants sont majoritaires parmi les victimes – morts ou blessés –, du fait qu’ils jouent à l’extérieur à cause de la chaleur, dans des ruines ou dans des zones à risques non-déminées.
Enfin, la ville, témoin de scènes de violence inouïe et de la barbarie des jihadistes, reste hantée par son passé récent. Des corps ensevelis sous les décombres des bâtiments bombardés, où découverts dans des fosses communes de l’EI, ressurgissent fréquemment, un an après la fin des combats. Des secouristes équipés d’un matériel rudimentaire ont déterré jusqu’à présent 2 500 corps, selon Amnesty International.
La directrice pour la recherche internationale de l’ONG, Anya Neistat, avait récemment évoqué des « milliers de corps qui n’ont pas été récupérés ». Cette dernière a appelé les pays coalisés à participer aux recherches des cadavres, estimant que « la majorité des corps sont ceux de civils tués dans les raids de la coalition ». Cette dernière est accusée par Amnesty international de refuser de reconnaître son implication dans la mort de centaines de civils lors de l’offensive qui a délogé les jihadistes.
« L’incapacité persistante de la coalition emmenée par les États-Unis à admettre – sans parler d’enquêter sur – le nombre choquant de civils tués et la destruction qu’elle a causée à Raqqa, est un affront aux survivants », a dénoncé l’ONG, lundi, dans un communiqué.