« Mon cher enfant » : l’amour parental à l’épreuve du djihad

La justesse de Mon cher enfant,sélectionné à la dernière Quinzaine des réalisateurs, en mai, et deuxième long-métrage de Mohamed Ben Attia, tient d’abord à ce qu’il parvient à ne pas tomber dans le piège du film à sujet. Et pourtant, il y a bien un sujet fort et d’actualité, mais il ne prend pas toute la place, il n’engloutit pas la liberté des personnages ni cette famille tunisienne qui est au centre du film. Riadh est cariste au port de Tunis, et sa retraite est imminente. Avec sa femme, Nazli, ils ont un fils, Sami, qui prépare le bac. Mais l’adolescent souffre d’un mal mystérieux : des migraines à répétition dont on peine à déceler l’origine l’empêchent de travailler. La première partie de Mon cher enfant s’attarde sur l’inquiétude de Nazli et Riadh : ils accompagnent leur fils à l’hôpital, prennent soin de lui, tandis que le jeune garçon se replie dans son mal et dans un mutisme souvent remarqué à l’adolescence.

Sans jamais trop forcer sur la métaphore, Mohamed Ben Attia filme ces accès de migraine comme un signe avant-coureur de la catastrophe qui va s’abattre sur cette famille. Ce mal dont il souffre, cette inexplicable somatisation, est aussi un moyen pour le cinéaste de filmer ce qu’est être parent, s’inquiéter, s’occuper, d’une manière presque animale, de sa progéniture : nourrir, soigner, acheter des vêtements.

Un couple qui ne demanderait qu’à cheminer tranquillement vers la retraite auprès de leur fils, mais qui va devoir traverser un cataclysme

Dans une courte scène, Riadh offre à son fils une chemise qu’il a achetée sur le marché ; dans la scène suivante, Sami porte ce vêtement. C’est trois fois rien, mais la succession de telles scènes suffit à faire comprendre l’amour déchirant d’un père pour son fils. Tout le film est à l’avenant : Ben Attia ne choisit jamais l’éclat, il l’évite. Il préfère aller vite, filmer des gestes, de brefs dialogues, la vie quotidienne, et laisser l’émotion croître sans que l’on s’en rende compte.

Dès les premières minutes, Sami est déjà loin. A cause de ses migraines, mais aussi pour une autre raison qui reste longtemps secrète – le film est rivé au père plutôt qu’au fils qui est la grande énigme de Mon cher enfant. Cette irrémédiable coupure entre père et fils est amplifiée par le fait que Ben Attia choisit judicieusement de filmer un couple âgé, incarné par Mohamed Dhrif et Mouna Mejri, tous deux très émouvants dans leur manière de tout retenir et d’avancer coûte que coûte. Un couple qui ne demanderait qu’à cheminer tranquillement vers la retraite auprès de leur fils, mais qui va devoir traverser un cataclysme.

L’absence comme un trou béant

Tandis que les migraines s’estompent, Sami disparaît mystérieusement, englouti dans les plis du montage. Nazli et Riadh comprennent peu à peu qu’il lui est arrivé ce qu’il arrive à bon nombre de jeunes Tunisiens : il a rejoint la Syrie pour combattre auprès de l’organisation Etat islamique. Et son absence est comme un trou béant. Plutôt que de s’attarder sur les raisons à la fois intimes et sociétales de l’endoctrinement de Sami, Ben Attia préfère maintenir cela hors champ, laissant ce basculement inexpliqué aux yeux du couple comme du spectateur. La puissance émotionnelle du film tient justement à ces vides laissés là où trop souvent certains cinéastes se chargent de recoller tous les morceaux d’un acte.

Si Ben Attia fait montre d’un travail très documenté, son sujet n’est pas la radicalisation, mais l’attachement viscéral d’un père à son enfant

Ben Attia explique d’ailleurs que les raisons des départs pour la Syrie sont tellement diverses qu’il est impossible d’en tirer une règle. Et pourquoi en tirer ? Un film est le contraire d’une étude sociologique. Il part de la généralité d’un phénomène (la jeunesse radicalisée) pour s’engouffrer dans le particulier d’une situation : un père et une mère meurtris. Un père qui, dès lors, n’a qu’une idée en tête : retrouver son fils et le ramener sain et sauf, alors que sa femme s’oppose à son projet de peur de tout perdre. Riadh rejoint la Turquie et, sur place, cherche un moyen de gagner la Syrie. Là encore, si Ben Attia fait montre d’un travail très documenté, son sujet n’est pas la radicalisation, mais l’attachement viscéral d’un père à son enfant.

Parti pour la Turquie, l’homme bascule peu à peu dans un nouvel espace mental. Une séquence déchirante, dont on comprendra qu’elle est un rêve, se glisse dans le montage et cristallise à elle seule les rapports du père et du fils : Riadh court à travers le désert et tente de rattraper Sami. De Riadh, on comprend que sa plus grande souffrance est de ne plus savoir à qui adresser ses gestes de père, ces gestes qui semblaient le définir. D’un fait social, Mohamed Ben Attia réalise un mélodrame minimaliste, presque éteint, d’autant plus émouvant que le pathos est savamment absent du film. Reste dans la mémoire le souvenir de quelques gestes d’amour, de quelques larmes et d’une déchirure qui détruit tout.

Le monde.fr

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