6 Km rejetés, 6 mois de travail perdus
Six mois de travail perdus. C’est le triste constat fait sur le chantier de l’autoroute Ilaa Touba où une partie des travaux sera reprise. Le Quotidien s’est rendu sur les lieux et a constaté la galère d’ouvriers sénégalais qui étaient prêts à affronter les Chinois, parce que refusant de se faire remplacer par d’autres compatriotes. Au niveau de ce chantier, les accusations fusent de partout et des autorités administratives sont pointées du doigt et taxées de corrompus par les Sénégalais. A Diourbel, le préfet qui se dit quitte avec sa conscience va briser le silence ce lundi.
Le projet de l’autoroute à péage Ilaa Touba connaît des difficultés réelles. Sur le terrain, les Chinois ont été obligés de reprendre une partie des travaux. En effet, 6 km de route ont été rejetés par les techniciens de l’Ageroute et le bureau de contrôle. La sécurité et la qualité, slogan qu’ils brandissent et qu’ils ont affiché à l’entrée de la base vie de Touré Mbonde, est loin de la réalité. Les matériaux qu’ils utilisent ne répondent pas aux normes, selon les explications d’un ingénieur en génie civil, qui a capitalisé une trentaine d’années d’expérience, sous le couvert de l’anonymat. A keur Bambou Dia où Le Quotidien s’est rendu samedi après-midi, il a constaté la reprise d’une partie des travaux par les Chinois. C’est ainsi que souffle toujours notre interlocuteur, «six mois de travaux sont ainsi perdus. Ils seront repris». Sur le terrain, il est loisible de constater que la partie en question est dégradée. Car comme l’atteste le spécialiste en génie civil, «les latérites de Ndiambour Sine, de Yéradi et de Kadam qui ont été utilisées pour ce genre de travaux sont des latérites qui n’ont jamais été exploitées par le passé, même pour les pistes de production du fait de leur plasticité élevée. Les Chinois ont taillé les spécifications techniques du projet sur mesure pour éviter les contraintes liées au contrôle. Voulant bâcler le travail et laisser au Sénégal, un travail certes fini, mais qui se dégradera avant la garantie décennale, ils ont fait cela». En ciblant ces carrières de Ndiambour Sine, indique toujours le spécialiste, «les Chinois voulaient éviter la distance de transport entre Ngoudiane et Diourbel ou Keur Samba Kane et Diourbel. Itou pour les carrières de Yéradi, Kadam et Thiakhar. C’est pour éviter aussi de dépenser beaucoup d’argent par rapport à l’exploitation des carrières qu’ils ont laissé les propriétaires en rade, en leur donnant des miettes bien alors que le projet a prévu des dédommagements pour les paysans. Ce qui aujourd’hui représente une injustice et personne ne verra l’Etat s’en occuper. De nos jours, les paysans ont des problèmes, parce qu’ils ont perdu leurs terres au profit certes, du projet et l’exploitation des carrières sur leurs champs et ils n’ont pas été dédommagés à juste valeur. Ce qui fait que le projet aujourd’hui avance mais a créé des frustrations sur l’emprise totale du projet de Thiès à Touba».
Une soixantaine de chauffeurs mis au chômage
Non contents de ce rejet, les Chinois de l’entreprise China road and bridge corporation (Crbc) ont déversé leur colère sur les chauffeurs. Ils ont ainsi mis au chômage une soixantaine d’entre eux qu’ils accusent d’avoir transporté ces latérites, alors que l’ordre venait d’eux. La plupart des conducteurs de grue sont remplacés par des Chinois. Et samedi dernier, n’eût été l’intervention du préfet du département de Diourbel qui avait à ses côtés des éléments de la Gendarmerie déployés sur les lieux, le pire allait se produire. Les chauffeurs des camions bennes étaient décidés à en découdre avec les Chinois et avaient refusé de céder leurs places à d’autres venus de Touba et Bambey. Faly Ndao leur porte-parole explique : «Nous sommes environ 400 personnes à travailler ici. Nous pensions que l’autoroute allait nous procurer comme son nom l’indique l’émergence, mais malheureusement, c’est la précarité qu’elle a installé chez nous. Lorsque tu tombes malade, tu n’es pas pris en charge. Depuis le début, c’est nous-mêmes qui étions employés pour aller chercher les latérites. Nous sommes très fatigués. Nous sommes exploités. Nous sommes là depuis le 24 décembre 2015. Nous transportions de la latérite que l’Ageroute a jugée non spécifique pour les travaux. Nos conditions de travail sont précaires et exécrables. Des chauffeurs sont payés 413 francs l’heure. De 40.000 francs la semaine à nos débuts, on nous paie maintenant 20.000 francs. Le préfet nous a dit que nous ne pouvions plus travailler que huit heures de temps.» Très courroucé comme ses autres collègues, Faly Ndao poursuit : «Nous interpellons le chef de l’Etat et l’invitons à venir constater ce qui se passe. Le secrétaire général de la Cnts, l’Ofnac doivent venir enquêter au niveau de ce chantier, parce que ce qui se passe ici, dépasse de loin l’entendement. Les Chinois ont dit avoir corrompu toutes les autorités de la région de Diourbel. Des véhicules AD se ravitaillent souvent en carburant et sont filmés par les Chinois. Seule l’inspectrice du travail fait exception à la règle. Elle est clean. Si toutes les autres autorités étaient comme elle, nous n’allions pas connaître tous ces déboires.»
Rentabilité du projet
Sur la rentabilité du projet, contrairement à Mansour Elimane Kane, ministre des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement, qui estimait que le taux de rentabilité est de 35 % et que les recettes générées par le péage peuvent rembourser le prêt, les Chinois disent le contraire. Ils ont dit que l’autoroute n’est pas rentable. Ainsi, ils ne vont pas prendre la concession. Pour quoi, on construit un projet à hauteur de 500 milliards et qui n’est pas rentable ? C’est ce que les Sénégalais ne peuvent pas comprendre. Selon le ministre sénégalais des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement, Mansour Elimane Kane, les travaux, prévus sur 45 mois, vont générer 7 000 à 8 000 emplois temporaires. 500 à 600 emplois permanents sont attendus de l’autoroute Ila-Touba. Pour rappel, la République populaire de Chine a accordé au Sénégal un prêt étalé sur 25 ans, avec un taux d’intérêt de 2 % et un délai de grâce de cinq ans pour le financement de l’autoroute devant relier Thiès à Touba. La 1ère pierre de l’autoroute à péage Ilaa-Touba, longue de 113 km et reliant Touba à la ville de Thiès d’un montant de 416 milliards de francs Cfa (634 millions d’euros), a été posée le 10 janvier 2015, par le chef de l’Etat en présence du khalife général des mourides. Du côté de l’Ageroute, Bocar Malick Mbow, le directeur des Autoroutes et des partenariats publics privés (Ppp) joint au téléphone dit ne pas être pas au courant. «C’est vous qui me l’apprenez. Je ne suis pas au courant de cela», rétorque-t-il. Quant aux responsables de l’entreprise Crbc, ils ont aussi préféré garder le silence.
Source:lequotidien.sn