Au cœur d’une polémique sur l’importation de déchets italiens, la ministre de l’Environnement Hakima El Haité a expliqué à Jeune Afrique que la cargaison qui déchaîne les passions au Maroc doit faire l’objet d’autres tests.
Depuis quelques semaines le Maroc, en pleine préparation de la Cop 22, n’en finit pas de polémiquer sur un contrat d’importation de 2 500 tonnes de déchets en provenance d’Italie et destinés à être incinérés sur son sol. La société civile craint que cette marchandise, provenant d’un pays qui a été déjà condamné par l’Union Européenne pour la gestion défaillante de ses déchets, ne soit nocive pour la santé des Marocains. Appelée à s’expliquer, la ministre de l’Environnement, Hakima El Haité, assure dans cet entretien à Jeune Afrique qu’elle n’a pas encore donné son feu vert pour l’incinération, dans l’attente d’une contre-expertise.
Jeune Afrique : Avez-vous soumis les déchets en provenance d’Italie à des analyses ?
Hakima El Haité : Oui. Nous avons prélevé des échantillons de la marchandise et les avons envoyés à un laboratoire accrédité en France, SOCOR, qui rendra son verdict entre le 20 et le 21 juillet. Une fois ces analyses reçues, nous allons les comparer aux déclarations du pays d’origine, en l’occurrence l’Italie. Si aucune faille n’est relevée, nous passerons ensuite au test d’incinération pour nous assurer que les équipements de l’industriel marocain chargé de l’incinération sont bien conformes aux normes nationales et européennes : nature des installations, quantité de rejets polluants… Si ce test est positif, la mission d’incinération pourra alors démarrer. Autrement, le rapatriement de la marchandise vers son pays d’origine sera ordonné. J’ai fait ma carrière dans une entreprise spécialisée dans l’environnement et je sais que ces déchets, de type RDF (Refuse Derived Fuel), ne sont pas des déchets banals. Lorsque j’avais négocié une expérience pilote avec les industriels marocains, je leur avais dit qu’ils devaient d’abord investir dans un équipement conforme aux standards internationaux. Ils l’ont fait. En plus, conformément à la convention de Bâle sur le transfert des déchets transfrontaliers, j’ai imposé 19 pièces justificatives à toute marchandise importée, afin de garantir sa qualité avant son incinération.
J’ai même un document attestant que ces déchets ne proviennent pas d’un réseau mafieux en Italie
Que disent ces pièces justificatives ?
Il y a de tout. Entre autres, que les déchets doivent être emballés dans une usine accréditée par l’Union européenne (UE), qu’ils doivent être soumis à un laboratoire agréé par le fournisseur, que le ministère de l’Environnement italien doit attester la non-dangerosité de la marchandise. J’ai même un document attestant qu’ils ne proviennent pas d’un réseau mafieux en Italie.
Êtes-vous sûre de la véracité des données contenues dans ces documents italiens ?
Je demande ce genre de documents quel que soit le pays d’origine. Lorsque la marchandise arrive au port, la Douane donne l’autorisation de son déchargement. Mais, en tant que ministre de l’Environnement, je n’autorise son incinération qu’après avoir effectué des analyses complémentaires qui me permettent de garantir sa non-dangerosité. Analyses que je vais donc recevoir la semaine prochaine de la part du laboratoire français.
Concrètement, que va vérifier ce laboratoire ?
Il vérifie la composition des déchets en fonction d’une liste établie par l’UE, pour déterminer s’ils ne contiennent pas de matières nocives comme du chlore. J’ai pris toutes les mesures pour protéger la santé des citoyens, c’est pourquoi mon département n’a pas encore accordé l’autorisation d’incinérer la marchandise qui est actuellement stockée à Bouskoura.
Votre premier communiqué, publié le 1er juillet, laissait cependant entendre que ces déchets étaient conformes aux normes et qu’ils ont subi tous les contrôles nécessaires…
Non. Le communiqué parlait des tests préalablement faits par les Italiens. C’est par mesure de sécurité que j’ai demandé une contre-expertise dans un laboratoire domicilié dans un pays autre que celui d’où la marchandise est originaire, à savoir la France.
Le chef du gouvernement doit ouvrir une enquête. On a menti au peuple !
Pourquoi n’avez- vous pas commencé par incinérer des déchets nationaux au lieu de les importer ?
Tout simplement parce que nous n’avons pas d’usines qui fabriquent du RDF au Maroc. C’est un déchet dont la composition a été étudiée pour augmenter le taux calorifique et permettre de dégager une énergie qui est beaucoup moins polluante que le pétrole. Un mélange savamment étudié qui suppose une expertise que nous n’avons pas encore.
Bien avant ces usines, il faut une filière de tri sélectif, qui n’existe pas non plus…
Tout à fait.
L’importation de déchets en vue de leur recyclage n’est pas une première au Maroc. Dans quelles conditions se faisait-elle avant ?
C’est pour cela que je ne comprends pas cette polémique. Avant, le Maroc incinérait ces déchets sans respect des procédures. Maintenant qu’il les respecte, on en veut aux responsables. Je dis à tous les Marocains que cette affaire n’implique pas uniquement mon ministère. La Convention de Bâle a été signée par le ministère des Affaires étrangères et validée par les ministères de l’Industrie et de l’Énergie.
Pourquoi le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, ne s’est-il pas exprimé sur le sujet, alors ?
Je lui ai posé la même question. Il m’a dit qu’il allait répondre au moment opportun.
Quel est ce moment opportun ?
(Rire) Sérieusement, j’ai la liste des associations qui se trouvent derrière cette polémique de déchets italiens. Je vous assure qu’il n’y en a pas une seule qui soit spécialisée dans le domaine de l’environnement.
Dénoncez-vous une instrumentalisation politique ?
Il suffit de regarder cette liste pour s’en apercevoir.
Enjeux politiciens ou pas, le débat citoyen est légitime, vu que ces déchets proviennent de la région de Naples, connue pour ses circuits mafieux…
Ce n’est pas vrai. Ces déchets proviennent de la localité de Pescara en Toscane et l’usine qui les a fabriqués, la société DECO, est accréditée par l’UE.
Pourtant, la pétition appelant à l’interdiction de l’incinération de ces déchets disait que ces derniers provenaient de la décharge Taverne Del Re, où leur toxicité est avérée…
C’est faux. Et nous avons un dossier en béton qui détaille la traçabilité de la marchandise. Il serait bien, comme vous dites, que le chef du gouvernement lance une enquête pour rétablir la vérité. On a menti au peuple. Je comprends parfaitement que ce dernier ait peur. Lorsque le président d’une région (Mustapha Bakkoury, président de la région Casablanca-Settat, ndlr) affirme qu’il ne veut pas de déchets dangereux chez lui, il a raison. Moi non plus, je n’en veux pas pour mon pays ! L’objectif de toutes les analyses que j’ai demandées est d’éviter d’importer un déchet dangereux de n’importe quel pays et pas uniquement d’Italie. Si on arrive à développer des filières nationales de recyclage de RDF, on n’aura pas besoin d’en importer.
Et pourquoi le Maroc ne les développe-t-il pas?
C’est un travail de longue haleine qui ne se fait pas en deux ans. Depuis ma nomination en 2013, j’ai lancé une nouvelle politique qui a besoin de temps pour faire comprendre au citoyen que notre pays est en train de passer du déchet à la ressource. On ne jette plus les ordures pour s’en débarrasser. On peut en faire une industrie rentable.
Le discours gouvernemental sur l’environnement est plein de contradictions. Dans les périphéries des villes, il y a encore des décharges où on brûle les déchets à ciel ouvert…
Les décharges ne relèvent pas de ma responsabilité. Elles sont gérées par les élus locaux. Puisque vous posez la question, je constate que, contrairement au cas qui nous occupe, ils ne sont pas sujets à de grosses polémiques. De toutes les façons, ma feuille de route est claire. Je ne fais que respecter la loi, en occurrence la Convention de Bâle signée par le Maroc, en imposant aux différents acteurs des documents de traçabilité.
Pourquoi ces documents ne sont-ils pas publiés comme le réclame la société civile ?
En tant qu’administration, je ne peux pas publier toutes les pièces techniques d’un dossier. Si la société civile le demande, elle pourra y accéder. Et si elle soupçonne quoi que ce soit, je suis prête à mettre en place une commission de contrôle. Je salue la conscience environnementale des Marocains mais je n’accepte pas qu’on s’en prenne à ma personne ou qu’on instrumentalise cette affaire politiquement.
Source:jeuneafrique