Madické Niang, à l’origine, ne devait être qu’un « plan B » qui pallierait une éventuelle invalidation de la candidature de Karim Wade à la présidentielle du 24 février. Les circonstances lui donnent désormais la chance de forcer le destin pour se faire élire à la tête du Sénégal.
« De l’éminence grise au soupirant du fauteuil présidentiel », un titre à même de résumer le parcours de cet avocat dont la détermination à briguer la présidence de la République a décuplé avec l’opposition de sa famille politique, surtout de son mentor, l’ancien président Abdoulaye Wade.
La validation par le Conseil constitutionnel de la candidature de l’avocat de 66 ans, précédée de son passage à l’étape des parrainages, a surpris bon nombre d’observateurs et d’acteurs, tellement rares étaient jusque-là ceux qui miseraient sur une candidature finale de Madické Niang à la présidentielle du 24 février.
Beaucoup de ceux qui pourraient avoir ri sous cape ont dû se raviser, les appréhensions également devraient s’être naturellement dissipées depuis, rien qu’en tenant compte de son parcours, professionnel et politique, de la solidité de ses réseaux, maraboutiques, confrériques, de ses positions d’influence acquises de sa position d’avocat renommé.
L’ancien président du groupe parlementaire « Liberté et Démocratie » (opposition) a fini de convaincre les sceptiques sur ses capacités à s’émanciper d’une « tutelle pesante » incarnée par l’ancien président Abdoulaye Wade, avec lequel le natif de Saint-Louis du Sénégal a cheminé 34 ans durant.
Madické Niang n’était pas seulement l’avocat de son confrère. Il était devenu aussi bien du temps de l’opposition que dans la pratique du pouvoir (2000-2012), un des plus proches collaborateurs du « Pape du Sopi », jouant un rôle de « conseiller quasi attitré » du fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS).
Il est au secret de la plupart des affaires touchant la famille de l’ancien chef de l’Etat, notamment les circonstances du départ vers le Qatar de Karim Wade, en 2016, après une grâce présidentielle faisant suite à sa condamnation à 6 ans de prison par la Cour de répression de l’enrichissement illicite, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « traque des biens mal acquis », peine assortie d’une amende de 138 milliards de francs CFA.
L’AVOCAT DE SON CONFRÈRE
Personne n’a donc été surpris véritablement par l’agitation médiatique de ces derniers jours, autour de la séparation politique entre Madické Niang et son mentor, née de la volonté de l’ancien garde des sceaux de se présenter à la prochaine présidentielle, l’ancien président persistant pour sa part dans sa volonté de faire passer à tout prix la candidature de son fils Karim Wade.
Une candidature que les observateurs jugeaient incertaine sinon condamnée à être invalidée.
Il y en a qui y ont vu et qui se sont émus d’une fin d’un compagnonnage que rien ne semblait pouvoir altérer.
Le dernier ministre des Affaires étrangères du régime de l’ancien président semble avoir gardé le beau rôle dans ce bras de fer politique, lui qui disait à qui voulait l’entendre, qu’il se retirerait de la course si la candidature de Karim Wade était validée.
Une posture qui est tout à son honneur, qui a ajouté du crédit à une candidature que l’intéressé n’a jamais cessé de présenter comme de substitution, jusqu’à ce que le cheval du destin, qui passe une seule fois dans la vie, l’incite à l’enfourcher.
C’est que l’ancien ministre de l’Habitat, connu pour sa mesure, sa mise impeccable en public, a toujours été à l’ombre d’un homme qu’il a commencé à défendre à partir de 1985.
Cette année-là, Abdoulaye Wade, arrêté en même temps que beaucoup de ses partisans pour participation à une manifestation interdite, a été en partie tiré d’affaire par Me Niang.
L’opposant d’alors tomba aussitôt sous le charme de son confrère, lequel finira par occuper une place de choix dans son premier cercle.
Celui qui va briguer la présidence de février sous la bannière « coalition Madické 2019 », a également défendu l’ancien président de la République dans toutes les affaires judiciaires dans lesquelles il avait été cité.
Il en a été ainsi durant les périodes de contestation électorale de 1988, 1993 et même 1994 suite à l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel de l’époque, Me Babacar Sèye.
UN MILITANTISME JUVÉNILE MÉCONNU
« Ma rencontre avec Wade a constitué un tournant dans ma vie. Il me vouait une confiance aveugle. Tout passait par moi. Quand il est arrivé au pouvoir en 2000 nous sommes allés ensemble à Touba dans la même voiture », déclarait-il dans une vidéo récemment diffusée sur le site d’information Seneweb.
C’est sans doute là la traduction d’une générosité et d’une volonté sans cesse manifestée de rendre service, quelque chose que l’ancien activiste des droits de l’homme a expérimenté très tôt sur le terrain de l’engagement militant. Au collège et au lycée déjà, il a toujours été choisi comme délégué.
Il sera plus tard exclu de l’université pour fait de grève après avoir été à la tête de la première Amicale légalement constituée à la Faculté de droit de l’Université Chikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.
L’homme retourne dans sa ville natale et y exerce le métier d’enseignant dans des écoles privées, sans avoir peur de se présenter comme « un mercenaire de l’enseignement ».
« L’HOMME DES BANANES ET DES ORANGES »
Une activité qui lui permet de gagner de l’argent pour financer son projet de poursuivre ses études à l’étranger, notamment à l’Université d’Abidjan.
Dans la capitale ivoirienne également, il s’investit plus que jamais dans le préceptorat pour financer ses études.
Après avoir obtenu une maîtrise en droit et un Certificat d’aptitude à la profession d’avocat, « l’homme des bananes et des oranges », comme le surnommaient ses coreligionnaires mourides d’Abidjan, rentre au Sénégal et intègre le renommé cabinet de Me Mame Bassine Niang.
L’avocat stagiaire se fait connaître en sauvant de la peine de mort un homme qui était poursuivi pour assassinat.
« Ma vie a été mouvementée et a été rythmée par les épreuves. C’est pourquoi personne ne peut me démoraliser. Personne ne peut vaincre ma détermination. Quand je me décide je suis prêt à tout affronter pour imposer ma position », aime-t-il à dire à ses proches.
Un état d’esprit dont a certainement besoin ce fils d’un commerçant saint-louisien, quand il s’est agi de subir les contrecoups professionnels de l’interdiction de sortie du territoire qui l’a visé dans le cadre de la « traque des biens mal acquis » engagée par le nouveau régime, en même temps qu’une vingtaine de membres du Parti démocratique sénégalais (PDS), au pouvoir avant l’élection de Macky Sall en mars 2012.
Il n’est pas nécessaire de rappeler à Madické Niang la persévérante foi politique dont il aura besoin dans sa quête du fauteuil présidentiel, pour un homme au parcours si peu fataliste.
AVOCAT D’UNE JUSTICE INDÉPENDANTE
« Il incarne les valeurs qui sont en perdition dans notre société. C’est un homme de parole, un homme digne doté d’une expérience et d’une compétence avérée », témoigne à son sujet Habib Sy, un des ex-caciques du PDS ayant choisi de soutenir l’homme également réputée pour sa proximité avec les familles religieuses, particulièrement ceux de Touba, la capitale du mouridisme, confrérie dont il se réclame.
Des valeurs que le candidat compte mettre en avant pour s’attirer la sympathie des électeurs. « Si j’étais élu, promet-il, je ferais en sorte que tous les Sénégalais se sentent concernés en ayant conscience de la part qui leur reviendrait dans le pays. La chose la plus importante réside dans la promotion des valeurs du travail bien fait ».
Il entend également, une fois élu à la magistrature suprême, mettre en place une nouvelle manière de gouverner à travers un rétablissement de la confiance entre la justice et les justiciables.
« Mon premier chantier sera de tout faire pour assurer l’indépendance de la justice », a-t-il souligné, en espérant sans doute que ces engagements ne soient pas interprétés comme des esquives d’avocat.