Les coins perdus qui ont une histoire insolite aiguisent ma curiosité. C’est ainsi que j’ai traîné ma famille dans le village de Pella. Ce nom évoque les ruines de l’ancienne capitale macédonienne ou un refuge de chrétiens en bordure du Jourdain, appelé aujourd’hui Tabaqat Fahil. Mais ce Pella-là se situe dans le Namakwaland sud-africain, région désertique où la pluie ne tombe pas tous les ans. Certains missionnaires français s’y sont pourtant fixés dès le XIXe siècle, dans l’idée d’évangéliser les Sans, peuple aborigène d’Afrique australe. Un curé particulièrement dynamique a même construit une cathédrale, avec des pierres calcaires truffées de coquillages. Entouré de palmiers dattiers, l’édifice est surprenant.
C’est dans un centre commercial du Cap que je suis tombé sur plus fou que moi : un livre qui égraine des sites oubliés*.
Commençons par les villes fantômes.
En Australie, la ville de Wittenoom s’est construite autour d’une mine d’amiante. Aujourd’hui vidé de sa population, le site est carrément rayé des cartes.
Pripyat, en Ukraine, a connu jusqu’à 49 000 habitants. Construite en 1970 pour les employés de la centrale nucléaire de Tchernobyl, elle n’est peuplée aujourd’hui que de rongeurs. Les autorités permettent quelques visites accompagnées. Elles s’inquiètent des incursions de pillards : les objets qu’ils dérobent sont contaminés, donc dangereux.
En Corée du Nord, Kijong-dong près de la ligne de démarcation, est un village Potemkine. Il compte officiellement 200 fermiers, mais en observant les lumières qui s’allument tous les jours à heure fixe, les autorités de Corée du Sud ont vite compris que les seules personnes que l’on voit se mouvoir sont les ouvriers de maintenance. Avec 160 m de haut, la hampe de drapeau a détenu quelques temps le record du monde dans sa catégorie.
Dans le même ordre d’idée, le village en bois d’Arne, dans l’Essex anglais, a servi de leurre pendant la seconde guerre mondiale. L’aviation allemande l’a bombardé 730 fois pendant le conflit.
Viennent ensuite des lieux qui ont carrément disparu, telle l’île Sandy dans le Pacifique sud. Découverte en 1876, sa submersion a été constatée autour de 2010. Menacée également, la mer d’Aral a fait l’objet de nombreux reportages. Grand comme deux Belgiques, le lac couvre actuellement la superficie de la Lozère, suite au détournement par l’URSS des deux fleuves qui l’alimentaient. Le Kazakhstan a fait construire une digue pour enrayer une mort programmée pour 2025. Sur une ancienne île, le pays décontamine à présent dix sites d’anthrax enfouis.
L’auteur signale la présence de villes très discrètes. Ce fut le cas de Jeleznogorst, ville militaire secrète de 1950 à 1992, située dans l’est de la Russie. Elle fut construite par 65 000 prisonniers du Goulag. Elle fabrique désormais des satellites et retraite des déchets nucléaires.
Hobyo, à quatre cents kilomètres au nord de Mogadiscio, détient le triste privilège d’être la capitale des pirates somaliens. La ville est disputée entre le micro-état de Galmudug et L’Union des Tribunaux Islamiques.
L’Ile Sentinelle du Nord, dans l’archipel des Andaman, refuse tout contact avec l’étranger. L’Inde, qui en a nominalement la souveraineté, ne tient pas à affronter la communauté autochtone, évaluée à 250 personnes. Les quelques braconniers qui s’y risquent sont accueillis à coup de flèches. Il est probable que les habitants, présents depuis 60 000 ans, dit-on, ne soient pas immunisés contre les maladies contemporaines.
L’ouvrage fait un clin d’œil aux collines de Hog’s Back, près de Puttenham en Angleterre, courues par les amateurs d’ébats dans la nature.
Choix discutable, il mentionne aussi la Gagaouzie. Ce territoire existe bel et bien. Il s’agit d’un bantoustan à l’intérieur de la Moldavie, soutenu à bout de bras par la Russie. Découpé en quatre morceaux, il regroupe tout de même 134 000 habitants qui parlent le gagaouze, langue de la famille turque. Sa capitale, Comrat, compte 20 00 habitants.
Enfin l’auteur cite pêle-mêle quelques curiosités politiques. L’Inde possède 102 enclaves en territoire bengladais, et le Bengladesh 71 enclaves dans le périmètre indien. Le Dahala Khagrabari est un territoire minuscule de 7 000 m² qui présente un cas unique au monde d’enclave de troisième niveau : il appartenait à l’Inde, mais enclavé dans une zone bengladaise, elle-même enclavée en territoire indien. Cette bizarrerie a été supprimée en août 2015, après la parution du livre.
LeCamp Zeist est une ancienne base militaire au Pays-Bas. Elle est devenue officiellement territoire écossais pendant trois ans. En effet, au terme de longues négociations, le colonel Kadhafi avait accepté qu’y soient jugés deux Libyens soupçonnés d’avoir préparé un attentat contre un avion de la Pan Am en 1988. L’explosion s’était produite au-dessus du village écossais Lockerbie.
De la même façon, il n’est pas question qu’une princesse des Pays-Bas voit le jour hors du territoire national. Mais que faire, en 1940, quand la famille royale a fui le pays, occupé par l’armée nazie ? On a conféré le statut d’extraterritorialité à un hôpital d’Ottawa pendant quelques semaines, afin qu’il ne soit pas dit qu’une princesse soit née à l’étranger.
L’auteur se délecte des aventures guignolesques de la Principauté de Sealand au large des côtes anglaises. Récupérant une plate-forme militaire en dehors des eaux territoriales, un original a créé un état indépendant qu’aucun pays du monde n’a reconnu. Impliquée dans un trafic de faux-passeports, le site a été ravagé par un incendie en 2006. Il est à vendre.
Entre les lieux qui disparaissent et ceux qui changent au gré des caprices des hommes, la géographie demeure plus que jamais une science en mouvement.
RFI