LAGOS (AFP) –
Après quinze années de carrière dans les banques et le marketing, le Nigérian Mike Dada cherchait une reconversion professionnelle pour « communiquer la force de l’Afrique au reste du monde ».
Il a donc décidé de fonder les Afrima (All Africa Music Awards), l’équivalent des Victoires de la musique française pour le continent africain, dont la 4e édition se déroule ce weekend à Accra au Ghana.
En 2014, fauché mais passionné de musique, il se rapproche de sponsors privés nigérians et d’un partenaire vivant au Kenya. Ensemble, ils organisent cette cérémonie de récompenses pour « créer de l’emploi » et « rendre les Africains fiers », confie-t-il dans la presse locale, et reçoivent le soutien de l’Union africaine.
En quatre ans, les Afrima ont réussi à se faire une place de premier rang dans une industrie musicale africaine bouillonnante, innovante et extrêmement prolifique depuis les dix dernières années.
A Accra, ce n’est pas la World Music que le continent s’apprête à célébrer mais l’afropop, ce genre né au Nigeria, mêlant soukous congolais, coupé-décalé ivoirien, highlife ghanéen et dancehall jamaïcain, qui fait danser des centaines de millions de jeunes Africains.
« La musique joue un rôle de passerelle », note Olivier Laouchez, PDG de Trace TV, chaîne de clips française ultra populaire sur le continent.
« Au Sénégal, on écoute les tubes nigérians en boîte de nuit, le kwaito (afro-house) sud-africain s’exporte sur toutes les radios du continent », se réjouit M. Laouchez.
« Aujourd’hui, les facteurs d’unification de l’Afrique, inter-continentaux ou avec la diaspora, c’est le sport et la musique. »
– diaspora –
Une catégorie de récompense est d’ailleurs consacrée aux artistes de la diaspora avec notamment la Franco-malienne Aya Nakamura ou le surprenant Afrotronix, artiste d’origine tchadienne, qui mixe costume à la Daft Punk, beat house, paroles en espagnol et rythmes sahéliens.
Maître Gims, qui passe en boucles sur les radios françaises et a enregistré plus de 200 millions de vues sur Youtube avec « J’me Tire », est l’artiste le plus nominé cette année aux Afrima où il représentera son pays la République démocratique du Congo.
Le Congolais est aussi inconnu en Afrique anglophone que Davido, star absolue en Afrique et au sein de la diaspora (100 millions de vues Youtube avec Fall) ne l’est au sein de l’audience française.
« Les Afrima ont le mérite de nous faire découvrir plein d’artistes du continent », explique à l’AFP Oris Aigbokhaevbolo, journaliste musical pour le site de référence Music in Africa.
Le Tanzanien Diamond Platnumz (Sikomi, 26 millions de vues Youtube) s’est notamment fait connaître après avoir remporté trois Afrima Awards il y a deux ans. Son duo avec le Nigérian Patoranking l’a ensuite fait exploser sur la scène continentale (Love you Die, 31 millions de vues).
« Le Ghana a toujours été aussi très bon musicalement et aujourd’hui on commence à voir des choses vraiment intéressantes de Sierra Leone ou de Gambie », poursuit Oris Aigbokhaevbolo, lui-même élu « meilleur journaliste musical » en 2015.
« Ca nous rappelle que le Nigeria n’est pas le seul pays à produire des tubes sur le continent », note-t-il, avec une once de fierté toute nigériane.
– Afrique du Sud vs. Nigeria –
Car, malgré les efforts pour créer des catégories régionales (Meilleur artiste d’Afrique de l’Est, Centrale, Australe,…) et de donner une chance à des régions moins prolifiques sur les ondes, le Nigeria et l’Afrique du Sud marqueront clairement la soirée.
On retrouve les mêmes noms d’année en année, avec les Nigérians Davido, Wizkid, Tiwa Savage ou Patoranking, ou les Sud-africains (particulièrement présents cette année dans la catégorie hip-hop) Nasty-C ou Cassper Nyovest.
Les deux pays, les deux plus grosses économies d’Afrique sub-sahariennes, rivalisent depuis des années en termes de musique.
Et aujourd’hui, ce sont quasiment les seuls pays du continent qui disposent de structures professionnelles de production, d’agents, d’avocats pour défendre les droits d’auteur…
Même si le Nigeria reste très en retard sur ce point par rapport à son rival sud-africain, les artistes profitent aussi d’un marché local de 190 millions d’habitants, qui booste automatiquement les audiences.
« Nous avons dû limiter les titres nigérians pour notre nouvelle émission de classement des hits africains Djouba », raconte le PDG de Trace TV. « Sinon, ils auraient fagocité tout le continent! »
Le Nigeria mène clairement la révolution de l’afropop depuis dix ans. Reste à voir si samedi soir, lors de cette cérémonie, ils maintiendront toujours leur avance face à un continent qui veut de plus en plus se faire entendre et être écouté.