Jusqu’ici, les organisations religieuses, toutes confessions confondues, servaient de filets de sécurité pour amortir les chocs politiques. Feu Abdou Aziz Sy Dabakh incarnait cette fonction de manière emblématique. D’autres dignitaires et chefs religieux ont, à des degrés divers, contribué à éradiquer des risques d’affrontements entre des factions politiques qui n’avaient d’autres motivations que la prise du pouvoir et l’accès aux maigres ressources d’un pays classé parmi les plus pauvres du monde.
Pour la prochaine élection présidentielle, la donne a changé du tout au tout. La mise en exploitation de gisements pétroliers et gaziers va métamorphoser l’activité économique. De nouveaux acteurs vont faire leur entrée dont beaucoup vont tenter de contrôler la tête de d’Etat. Ils le font déjà dans des pays africains producteurs de pétrole comme le Congo Brazza et le Gabon, pour citer les plus typiques. Les prédateurs sont déjà là et cela excite davantage ceux qui rêvent de tirer avantage du bradage des richesses nationales. La bataille électorale n’en sera que plus rude.
En cas de contentieux post-électoral, ce qui est probable, il sera difficile de trouver un arbitre ou simplement un médiateur pour ramener les protagonistes à la raison. Les litiges pourraient éclater même assez tôt, dès le comptage des signatures à la fin de la collecte des parrainages des candidats, le mois prochain. Les institutions prévues à cet effet auront du mal à remplir leur mission, tellement leur image s’est détériorée, entraînant une perte de crédibilité constatée par des organisations professionnelles du secteur. Or la médiation religieuse qui intervient en dernière instance est affaiblie voire hypothéquée par les sollicitations des parties prenantes.
Le khalife des mourides a eu la hauteur de vue de recommander la foi au président sortant qui lui demandait de prier pour sa réélection. Les autres candidats se le tiendront pour dit. Mais la neutralité des chefs religieux est loin de faire l’unanimité. Pouvoir et opposition ne reviennent pas toujours bredouilles de leurs chasses dans les cours des marabouts. Certains en reviennent avec des alliés qui proclament très haut leur soutien à un candidat. D’autres sont si fraîchement accueillis qu’ils savent que cette froideur vaut fin de non-recevoir quant à leur demande d’alliance ou, au moins, de neutralité.
Les risques existent aussi que les choix proclamés au sommet de la confrérie ne fassent pas écho dans tous les compartiments de ces vastes rassemblements. C’est manifestement le cas à Tivaouane, cité religieuse qui sert de bassin électoral à des candidats multiples. Le risque est que les confréries passent de leur rôle d’arbitre à celui de belligérants, laissant la République orpheline de ses derniers recours. Or c’est bien là la configuration qui est en train de se mettre en place si l’on s’en tient aux prises de position de plus en plus nombreuses sur le terrain électoral.
En plus d’être de simples soutiens, les chefs religieux sont parfois candidats déclarés. La chose n’est pas nouvelle mais le phénomène n’avait pas jusqu’ici atteint de telles proportions. Il est confiné aux étages inférieurs des confréries musulmanes où l’on compte déjà quelques députés. Les khalifes ne peuvent être atteints par la tentation, pour des raisons tout aussi bien de convenance que de souci de préservation de la cohérence de la communauté. La hiérarchie de l’Eglise, pour d’autres raisons, est également prémunie.
(Source A) Mame Less Camara