«Ce qui s’est passé aurait pu être un drame. Et si les détenus s’étaient évadés, cela aurait été un danger pour tout le quartier.» Ainsi réagissait le ministre de la Justice en visite à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss, après la mutinerie. Un danger, oui et oui, car nous étions tous exposés. Mais M. le ministre Sidiki Kaba, le véritable danger, c’est que nous avons une justice à double vitesse dans ce pays. Autrement dit, une justice dédiée aux pauvres voleurs de poulets, aux «petits» fumeurs de drogue, aux voleurs de guerté thiaff et autres qui passent des années en détention préventive.
Et la justice réservée à ceux appelés Vip qui ne doivent pas passer beaucoup de temps en taule. Vous avez rassuré les Sénégalais que d’ici la fin de l’année, toutes les personnalités ayant maille à partir avec dame justice seront jugées. Nous attendons de voir. Mais mon Dieu, pourquoi notre justice accorde la liberté provisoire à une catégorie de Sénégalais et au même moment la refuse systématiquement à d’autres ? La question mérite d’être posée. Ce constat, les habitués de la salle des flagrants délits du Tribunal hors classe de Dakar le font au quotidien.
Chaque jour ou presque, les demandes de mise en liberté provisoire des avocats pour leur client sont rejetées. C’est pourquoi Rebeuss ne peut plus contenir son monde. D’ailleurs, ce surpeuplement est l’une des causes du soulèvement intervenu à la plus grande prison du Sénégal, il y a quelques jours. Quand j’ai entendu parler des longues détentions préventives décriées par les détenus, j’ai pensé à ce jeune de Colobane qui a eu à passer des années en prison. Tenez-vous bien ! C’était pour une histoire d’un ou deux cornets de chanvre indien. A la barre de la Chambre criminelle, ex-Cour d’assises, il avait expliqué qu’il a été arrêté juste après avoir pris congé de son fournisseur. Avec les policiers, il sera conduit chez le dealer où il a été retrouvé des kilogrammes de drogue. Résultat, le dealer écopera par la suite de dix ans de prison. Le jeune a été libéré, car ayant déjà purgé la peine qui lui a été infligée. L’exemple de ce jeune, il en existe beaucoup en prison. Les Sénégalais qu’on oublie ou qu’on fait semblant d’oublier sont nombreux. Les alertes lancées par les médias n’ont pas été prises au sérieux par les autorités. A ces longues détentions préventives s’ajoutent les mauvaises conditions de vie dans nos prisons. Je ne suis pas amnésique pour oublier le privilège accordé à des détenus comme Thione Seck, pris avec des faux billets de banque. D’après le Pv établi par le commandant Issa Diack, patron de la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane, il a été retrouvé chez lui 50 millions d’euros de faux billets (plus de 32 milliards F Cfa). Quelques mois après son placement sous mandat de dépôt, ses avocats manipulent une certaine presse, faisant croire que leur client est dans un état critique à cause de sa maladie. Logé dans la catégorie des Vip, une liberté provisoire lui sera accordée. Celle-ci lui donne aujourd’hui la liberté de reprendre son micro. Thieyi Sunugaal ! L’autre cas, c’est celui de Cheikh Béthio Thioune, le guide des thiantacounes. Placé sous mandat de dépôt dans le cadre du double meurtre de Médinatoul Salam, il va être mis en liberté provisoire pour des raisons de santé aussi. Karim Wade, condamné pour enrichissement illicite, a été gracié par Macky Sall pour des «raisons humanitaires». Combien de pauvres Sénégalais, de surcroît soutiens de famille, croupissent en prison avec leurs maladies ? Dieu est le meilleur des juges. Demain, nous rendrons tous compte devant l’Eternel.
Mamadou SAKINE
Source :Le Quotdien