La France prépare une loi anti-fessée pour « faire bouger la société »

Une proposition de loi interdisant les « violences éducatives ordinaires » en France, de la fessée aux humiliations, sera débattue fin novembre à l’Assemblée. Gilles Lazimi, médecin spécialiste des droits de l’enfant, explique la portée du texte.

La fessée pourrait définitivement être hors la loi en France, et, avec elle, les « violences éducatives ordinaires » exercées sur les enfants. Une proposition de loi en ce sens a été acceptée, mercredi 21 novembre, en Commission des lois et sera examinée à l’Assemblée nationale le 29 novembre.

Portée par la députée MoDem Maud Petit, elle est soutenue par le groupe LREM. Le texte a également reçu des appuis de poids au sein du gouvernement : celui de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et de la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Le défenseur des droits Jacques Toubon lui est également favorable.

La proposition de loi est, en revanche, très critiquée par certains députés LR, tel Éric Ciotti, qui a dénoncé « une législation de communication » avec « une pseudo morale officielle ».

« Pratiques d’un ancien monde »

Ce texte entend inscrire dans le Code civil, à l’article lu lors des mariages, que « les titulaires de l’autorité parentale l’exercent sans violence ».

Il prévoit qu' »ils ne doivent pas user à l’encontre de l’enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l’humiliation ». C’est un texte à visée pédagogique, qui n’implique pas de sanction pénale. « Il s’agit de faire bouger la société, de faire cesser la tolérance envers ces violences et d’abandonner ces pratiques d’un ancien monde », explique Gilles Lazimi, médecin spécialiste des droits de l’enfant, contacté par France 24.

« L’idée est de condamner tout geste porté sur un enfant qui a pour objectif de faire souffrir », explique celui qui a été auditionné en Commission des lois.

L’objectif est aussi de « mettre un terme définitif à la possibilité pour les juges de reconnaître un droit de correction hérité du XIXe siècle qui n’a pourtant aucune existence en droit pénal », a détaillé la rapporteure Maud Petit.

À partir de quand exerce-t-on une violence sur un enfant ? « On se pose systématiquement la question pour un enfant, alors que la limite est très claire entre adultes, s’agace Gilles Lazimi : une ‘petite’ claque, c’est considéré comme un geste violent entre majeurs, il faudrait qu’il en soit de même pour un enfant, cela ne devrait pas être toléré ».

Selon lui, il y a urgence à légiférer, pour faire prendre conscience aux parents « dont 90 % sont bienveillants et souhaitent bien faire », insiste-t-il, de la nocivité de gestes souvent perçus comme anodins. Et qui peuvent se produire très tôt : « 50 % des parents qui frappent leur enfant le font dès les 2 ans, ce qui n’a aucun sens car si petit, celui-ci ne comprend rien à cette attitude et se retrouve paralysé », explique-il.

« Répercussions sur l’estime de soi »

Mais il n’y a pas que les violences physiques qui atteignent. Le praticien, qui exerce à Romainville (Seine-Saint-Denis), où il  œuvre contre les violences faites aux femmes et aux mineurs, l’a constaté en plus de trente ans de carrière. Les violences verbales peuvent également abîmer, parfois tout autant. « Une phrase comme ’t’es bon à  rien’ répétée à longueur de temps, a une incidence terrible, c’est une humiliation, et elle a des répercussions importantes sur l’estime de soi arrivé à l’âge adulte ».

Outre leur nocivité, les violences éducatives semblent par ailleurs vaines au plan pédagogique, estime le médecin. « Bien sûr qu’il faut un cadre, bien sûr qu’il faut savoir dire non, mais les méthodes coercitives sont  potentiellement dangereuses et, en plus, inefficaces. elles entraînent peur, stress, et au bout du compte une sidération qui empêche de penser et de se développer harmonieusement ». L’enfant peut aussi par la suite développer des stratégies d’évitement ou de mensonge, prévient-il.

« Les sociétés qui proscrivent les châtiments corporels sont moins violentes »

Si cette disposition était adoptée, la France deviendrait le 55e État dans le monde à interdire totalement les châtiments corporels sur les enfants, y compris au sein de la famille. Cette interdiction formelle lui permettra surtout d’être en conformité avec les traités internationaux. Car Paris viole la Charte sociale européenne en n’interdisant pas de manière « suffisamment claire » les châtiments corporels infligés aux enfants, comme l’avait souligné un organe du Conseil de l’Europe dans une décision publiée en mars 2015.

Dans les pays où l’interdiction est appliquée, les effets sont bénéfiques sur le long terme, d’après une étude citée par le Quotidien du médecin. Les auteurs de cette enquête estiment que « les sociétés qui proscrivent les châtiments corporels sont moins violentes, et se gardent de nourrir un cycle de violence à travers les générations », relève la publication.

En Suède, pays précurseur, où la loi aura bientôt 40 ans, les violences éducatives sont rares aujourd’hui. « Les effets sur le long terme sont importants et se répercutent sur l’ensemble de la société : on a diminué le nombre de morts par maltraitance et  il y a également moins de délinquance juvénile,  moins d’addictions », décrit Gilles Lazimi.

La précédente tentative a échoué en janvier 2017

Pourquoi cette réticence en France ?  « Certainement par manque de courage politique, mais il  ne faut pas non plus négliger la prégnance des religions monothéistes qui banalisent les châtiments corporels ; enfin, nous avons aussi été à la traîne pour tout ce qui concerne les droits des femmes », répond Gilles Lazimi. Celui-ci fait  le pari que « tout comme l’interdiction de voter des femmes nous paraît aujourd’hui aberrante, les châtiments corporels nous sembleront, dans le futur, inacceptables ».

La précédente tentative d’inscrire dans la loi française l’interdiction de la fessée avait échoué en janvier 2017. Le Conseil constitutionnel avait censuré cette disposition sur la forme, estimant que cette interdiction n’aurait pas dû être intégrée à la loi « Égalité et citoyenneté », avec laquelle elle n’avait aucun lien évident.

France 24

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