Génocide Rwandais :100 jours de massacres

L’assassinat du président Habyarimana est l’étincelle nécessaire pour lancer la série de massacres planifiée longuement d’avance. Le 6 avril 1994, l’avion qui transporte les présidents du Rwanda et du Burundi est abattu par deux roquettes près de l’aéroport de Kigali. Dans la nuit qui suit, plusieurs politiciens tutsis et hutus modérés devant former le prochain gouvernement de coalition sont éliminés.

Dès le lendemain, l’armée rwandaise et les miliciens interahamwe bloquent les rues de la capitale. Le génocide des Tutsis est lancé. La Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), instrument des extrémistes hutus proches de l’ancien président Habyarimana, motive la population à se joindre aux milices. La population est encouragée à se débarrasser de tous les Tutsis sans distinction, qu’ils soient femmes, enfants ou vieillards.

Lorsque 10 soldats belges des forces de paix sont tués, l’ONU décide de rapatrier ses troupes. Les radicaux hutus comprennent le message : le champ est libre pour mettre en action le plan d’« épuration ». Deux semaines après le début du carnage, le général Dallaire et les 250 Casques bleus laissés symboliquement en poste sont condamnés à n’être que les témoins impuissants de l’horreur.

En 13 semaines, près de 75 % de la population tutsie au Rwanda a été tuée. Au plus fort des massacres, chaque minute, cinq personnes étaient éliminées à coup de machette ou de massue. L’on rapporte que certains pouvaient négocier une mort moins douloureuse par balle, moyennant un peu d’argent. Environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont perdu la vie, et 4 millions d’autres ont fui vers les pays voisins.

L’inaction de la communauté internationale

Tout au long du génocide, Roméo Dallaire a continué à demander des renforts, que le Conseil de sécurité ne lui a jamais envoyés. Lorsque les massacres systématiques de la population sont évoqués lors de rencontres au siège new-yorkais des Nations unies, on prend soin d’éviter de parler de génocide. Une loi interne obligerait la communauté internationale à intervenir dès le moment où une situation de génocide est reconnue.

La France, qui était la meilleure alliée du gouvernement hutu, n’a pas usé de son influence pour prévenir ou arrêter le massacre. Les États-Unis, souffrant d’un « syndrome Somalie », se montrent hésitants à envoyer d’autres troupes en Afrique pour stabiliser la situation.

Ainsi, rien n’a été fait pour stopper l’élan meurtrier des radicaux hutus. Sur le terrain, les forces du FPR, menées par un expert formé dans les écoles militaires américaines, Paul Kagame, ont elles aussi le champ libre pour mener à terme leur lutte.

En juillet 1994, le FPR marche sur Kigali. Le gouvernement hutu est chassé du pouvoir. Leaders et exécutants fuient au Zaïre. Paul Kagame, qui sera plus tard élu chef de l’État, installe un gouvernement d’unité nationale. C’était la fin du génocide.

Dans les années qui ont suivi, le Rwanda a connu une paix relative. Les violences se sont pourtant poursuivies au Zaïre (République démocratique du Congo depuis 1997), où des centaines de milliers de Hutus et Tutsis se sont réfugiés.

Justice et pardon

Comment rescapés, proches des victimes et bourreaux peuvent-ils parvenir à vivre sur un même sol? Pour fermer les plaies ouvertes laissées par le génocide, les coupables doivent être jugés.

Au début, les tribunaux conventionnels rwandais ont expédié les procès, et plusieurs inculpés qui se présentaient seuls devant les juges étaient souvent condamnés à mort. La situation a par la suite été corrigée afin que les suspects reçoivent l’aide d’avocats européens et africains et qu’ils aient un procès juste et équitable. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé par les Nations unies, est quant à lui désigné pour poursuivre les grands responsables du génocide.

Dix ans après le génocide, plus de 100 000 suspects entassés dans des prisons surpeuplées attendent toujours de passer en justice. Des observateurs font remarquer qu’au rythme où vont les choses, témoins et accusés seront morts avant que justice soit faite.

Jugements sur pelouse

Pour sortir de l’impasse, le gouvernement Kagame a décidé depuis 2002 de recourir au système de justice coutumier. La gacaca (du nom de la pelouse où s’asseyait jadis les chefs de clan) servait traditionnellement à juger les voleurs de bétails et d’autres affaires de droit commun. Aujourd’hui, les juges élus par la population sont chargés de la difficile tâche d’amener bourreaux et victimes à vivre ensemble à nouveau.

Pas d’avocats, ni pour la poursuite ni pour la défense. La communauté est appelée à témoigner devant des assemblées publiques pour tenter de reconstituer les faits. Les objectifs sont clairs : accélérer les jugements et unir les Rwandais en forçant la réconciliation.

Après la punition, la réconciliation

Les planificateurs du génocide échappent aux compétences des tribunaux gacaca et seront jugés par le TPIR. Mais pour les exécutants, la gacaca prévoit des réductions de peine considérables. Un meurtrier passible de 25 ans de prison peut s’en sortir avec 7 ans, s’il reconnaît sa culpabilité. La moitié de la peine peut être purgée hors de prison, dans le cadre de travaux communautaires. C’est ainsi que plusieurs suspects emprisonnés depuis 1994 ou 1995 pourront être réintégrés dans la société s’ils avouent leur crime.

Certains problèmes se posent toutefois. Ceux qui sont innocents et refusent d’avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis pourraient rester en prison plus longtemps que des meurtriers. Les juges de la gacaca, qui ont reçu une formation express, sont souvent aussi très peu scolarisés, et la menace de collusion lors de ces jugements en plein air n’est pas à négliger. De plus, le fait que les Tutsis qui se sont livrés à des actes de représailles massifs à la suite du génocide ne sont pas admissibles à la gacaca alimente une certaine rancœur chez les Hutus.

Sans être la solution idéale, le recours à la justice gacaca est fortement appuyé par la population rwandaise. La gacaca a le mérite de confronter bourreaux, rescapés et proches de victimes et de révéler la vérité au grand jour. La plupart des meurtriers blâment l’État de les avoir trompés en les enjoignant à tuer les Tutsis. Ceux qui avouent leur crime publiquement reçoivent parfois le pardon des familles des victimes.

L’humanité meurtrière

Les théoriciens ne s’entendent pas sur ce qu’on doit nommer meurtre collectif, massacre génocidaire, crime contre l’humanité ou génocide proprement dit. À différentes époques, et un peu partout sur la planète, des nations ou groupes ethniques ont été ciblés pour être détruits. Le recours à cette solution extrême est plus fréquent qu’on pourrait l’imaginer.

Au 20e siècle, l’humanité a connu le génocide des Arméniens, puis des Juifs et tziganes. Vinrent ensuite les massacres systématiques au Cambodge, en Yougoslavie et au Rwanda. Ce ne sont que quelques-uns des génocides de la modernité. Et il serait difficile de passer sous silence le massacre des Indiens d’Amérique centrale et du Sud, qui reste le plus grand massacre de l’histoire de l’humanité. En moins de 2 siècles, on estime que de 70 à 80 millions de personnes sont mortes sous les armes des conquistadores, ravagées par les maladies importées d’Europe ou tuées au travail alors qu’elles étaient réduites à l’esclavage.

Prévenir de nouveaux génocides

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la communauté internationale a pris certains engagements pour empêcher que de telles tragédies se reproduisent. En 1948, l’ONU s’est dotée d’un texte de loi qui oblige les États à intervenir dès lors qu’un génocide est identifié. Mais depuis que les Nations unis ont admis que le génocide concernait l’humanité entière, le génocide tutsi est le premier à avoir été reconnu… après les faits.

Au Rwanda, la communauté internationale a failli. Les dirigeants de l’ONU, les États-Unis et la Belgique ont présenté leurs excuses, mais les faits demeurent. Que des massacres ethniques se préparaient était connu bien avant le 7 avril 1994, date qui a marqué ce qu’on a fini par appeler un génocide. Alors que l’« épuration » battait son plein, les principaux acteurs au Conseil de sécurité n’ont pas voulu réagir.

Lors d’une conférence commémorative marquant le dixième anniversaire du génocide, l’ancien responsable des forces de paix en 1994 et actuel secrétaire général de l’ONU a tenu à rappeler que « la communauté internationale n’avait pas été à la hauteur au Rwanda ».

Kofi Annan a demandé à la population du monde entier d’observer une minute de silence, à midi, le 7 avril.

Source:radio-canada.ca

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