Le juge Renaud Van Ruymbeke vient de boucler son enquête sur les affaires de l’humoriste controversé mis en examen pour fraude fiscale. Voici ce qu’il a appris.
« J’ai traversé une période très difficile, tant médiatique que financière .» Interrogé le 6 juin dernier par le juge Renaud Van Ruymbeke, l’humoriste controversé Dieudonné Mbala Mbala a accepté pour la première fois de s’expliquer sur ses « petits arrangements financiers » présumés qui lui ont valu d’être mis en examen pour « fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale, abus de bien sociaux et organisation frauduleuse d’insolvabilité ».
Le 27 juin dernier, le juge a clôturé (article 175) son enquête, et a désormais quatre mois pour adresser son ordonnance de règlement au parquet afin que ce dernier prenne des réquisitions. Le parquet de Paris avait ouvert une enquête afin de se pencher sur le patrimoine de Dieudonné alors que celui-ci, condamné à plusieurs reprises, notamment pour des propos antisémites dans ses spectacles, ne s’était pas acquitté de ses amendes et dommages et intérêts durant des années.
L’humoriste et sa compagne Noémie Montagne, gérante des « Productions de la plume », la société qui produit les spectacles de Dieudonné, sont soupçonnés d’avoir détournés à leur profit une partie des recettes non comptabilisées des spectacles. Il est aussi reproché à l’humoriste d’avoir cherché à échapper au paiement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui s’applique aux patrimoines supérieurs à 1,3 million d’€.
Des piles d’enveloppes remplies de billets
Début 2014, lors d’une perquisition à la propriété du couple, au Mesnil-Simon (Eure-et-Loir), les policiers de l’office anticorruption avaient saisi des piles d’enveloppes remplies de billets de 5 à 500 € dans des coffres forts. 657.220 € au total. Le produit de la billetterie ? Pour le juge qui se base sur les fiches de recettes saisies dans la propriété du couple, ces montants en espèces sont « hors de proportion » avec ceux des recettes déclarés les mois précédents, compris entre 1500 et 2800 € en liquide. Or en octobre 2013 le montant atteint 95.055€, en novembre 101.386€ et en décembre, 132.942€.
« On organisait les séances en fonction de la demande qui était intarissable », a expliqué, le 6 juin, Dieudonné au juge. « Les gens faisaient la queue. Il y avait beaucoup de groupes de province (…) Il y avait aussi des spectateurs nouveaux qui ne me connaissaient pas, qui étaient attirés par les gesticulations des médias et de l’ex premier ministre Manuel Valls. (…) Les rares privilégiés qui pouvaient assister au spectacle devaient être rapides et volontaires. Si j’avais été à leur place, j’aurais tiré de l’argent au distributeur qui se trouve à côté du théâtre et payé en espèces pour rentrer plus rapidement. C’est certainement ce qu’ils ont fait ».
Pourquoi ne pas avoir déposé ces espèces à la banque ? «On en avait changé quelques mois auparavant compte tenu de notre image exposée politiquement et médiatiquement. » Et pourquoi ne pas avoir utilisé le compte de cette nouvelle banque ? «Nous voulions savoir comment ces derniers banquiers allaient se comporter, répond du tac au tac l’humoriste. « Nous avons donc opté pour l’achat de coffres à domicile. C’était plus sûr. Entre temps, le premier ministre [Manuel Valls] a dit qu’il allait tout faire sur le plan fiscal, judiciaire, et plus encore pour me ruiner et me tuer socialement ».
Un compte bancaire en Suisse
Les policiers se sont aussi intéressés à un compte bancaire en Suisse, qui a permis au couple de s’offrir un bateau de plaisance en partie financé par un virement de 26.625 € alimenté par les recettes des Productions Plume résultant des spectacles de Dieudonné en Suisse. « Une pénichette (…), achetée « pour anticiper la perte du Théâtre de la Main d’Or [la salle de spectacle où se produit le comédien] ». Un bateau de 50m2 qui aurait pris l’eau et n’aurait jamais servi, selon Dieudonné qui se défend d’avoir un compte en Suisse, et d’avoir produit le moindre spectacle dans ce pays, rejetant la responsabilité sur son producteur helvétique, titulaire du compte.
Interrogé, ce dernier a expliqué aux enquêteurs qu’il reversait de 40 à 50% des recettes à la société des Productions de la Plume, et ce de 2006 à 2013. Il a ajouté que depuis 2013, il devait verser l’argent à Merlin, l’un des fils de Dieudonné, sur un compte ouvert dans une banque à Singapour dont il a refusé de donner les coordonnées. « Le vrai visage de Dieudonné apparaît au grand jour, fustige David-Olivier Kaminski, l’avocat de la La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui avait porté plainte. Et le conseil d’enfoncer le clou : «L’homme qui se présentait comme le chantre de l’antisystème semble au contraire en avoir usé et abusé. Il est grand temps que la justice lui décerne un carton rouge. »
565.000 euros envoyés à l’étranger
Les enquêteurs ont aussi découvert un ancien compte en Belgique, utilisé pour financer partiellement l’achat d’une maison grâce à un virement crédité quelques jours avant l’opération immobilière. A l’origine de ce versement, un autre compte, ouvert cette fois au Luxembourg par Dieudonné sous le pseudonyme Merlin. « Je pense que c’était en partie l’argent de mon père » s’est défendu l’humoriste. Entre avril 2009 et le 8 janvier 2014, l’humoriste et ses proches ont envoyé 670.000€ dont 565.000 à l’étranger, dixit le juge. La quasi-totalité de ces transferts ont été opérés depuis des bureaux de poste ou des agences de la Société financière de paiements basées à Houdan (juste à côté du domicile de Dieudonné) ou à proximité du Théâtre de la Main d’Or.
Mais ces espèces n’apparaissent nulle part sous forme de retraits du compte de l’humoriste ou de sa compagne. « J’ai reçu deux dons de mon père, l’un en 2002, l’autre en 2009/2010 » a justifié lors de son interrogatoire Dieudonné. Cependant, selon le juge, seul le deuxième a été déclaré par l’avocat de l’humoriste,. « Parce que ma sœur, qui était là au moment de ce don, m’avait dit que le premier avait été déclaré au Cameroun » se défend Dieudonné. Un don de 2002, alors que les envois d’argent ont eu lieu entre avril 2009 et le 8 janvier 2014. Contactés, David de Stefano et Sanjay Mirabeau, les avocats de Dieudonné n’ont pas répondu à nos sollicitations. Ni le père, ni la sœur de Dieudonné n’ont pu être interrogés, ils sont décédés.