Depuis qu’il a été nommé sélectionneur du Sénégal en février 2015, Aliou Cissé (40 ans) a qualifié les Lions de la Teranga pour la CAN 2017 tout en visant la Coupe du Monde 2018, appelé de nouveaux joueurs, en a écarté d’autres et a imprimé sa marque. L’ancien milieu de terrain du Paris-SG et du Sénégal s’est longuement confié à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Cela fait un an et demi que vous entraînez le Sénégal. Le temps est peut-être venu de faire un premier bilan…
Aliou Cissé : Battons la Namibie [le 3 septembre à Dakar, NDLR], ce qui nous permettrait de faire un sans-faute lors des qualifications pour la CAN et de nous projeter à début octobre, quand nous recevrons le Cap-Vert en éliminatoires pour la Coupe du monde. Mais j’ai envie de dire que le bilan est globalement positif. Sportivement, le premier objectif a été atteint, et au Gabon, je pense que nous serons un outsider. On va tout faire pour aller en Russie dans deux ans. Mais je suis également très satisfait de l’implication des joueurs.
Justement, avant le match au Burundi en juin (2-0), vous aviez déclaré vouloir instaurer « cette mentalité de la gagne. » Cela signifie que ce n’était pas le cas avant ?
Cette phrase a été interprétée de différentes façons. Bien sûr, je n’ai jamais voulu dire que ce n’était pas le cas avant moi. Il y avait également cette volonté de gagner, et les résultats de 2002, par exemple, le prouvent [finale de la CAN et quart de finale de la Coupe du Monde, NDLR]. Je voulais juste dire qu’au Sénégal, nous avons du mal à gagner les rendez-vous décisifs. Était-ce une question de mentalité ? D’organisation ? La question a été posée. J’ai un groupe qui peut y arriver. Il y a de très bons joueurs, mais en Afrique, rien n’est facile. Et parfois, les qualités intrinsèques ne suffisent pas. C’est parce que mes joueurs ont beaucoup travaillé mentalement qu’ils ont gagné en altitude en Namibie (2-0), par 40 degrés au Niger (2-1) et dans un contexte difficile au Burundi (2-0).
Pourtant, malgré les résultats, vous n’êtes pas épargné par les critiques de la presse, du public et même d’anciens joueurs. Comment avez-vous l’impression d’être perçu au Sénégal ?
J’entends les critiques. Chacun a le droit de s’exprimer, de donner son avis. C’est légitime. Mais je ne vais pas m’arrêter à cela. Il ne faut pas leur accorder une importance démesurée. Il y a une exigence de résultat au Sénégal. Souvent, les gens font référence à 2002, et c’est normal, puisque cette équipe, à laquelle j’ai eu la chance d’appartenir, a marqué l’histoire du football national. Mais nous sommes en 2016, les joueurs ont changé, il y a une équipe jeune. Et quand cette équipe parviendra à écrire sa propre histoire, les comparaisons avec le passé s’arrêteront. Moi, j’ai la chance de vivre au Sénégal. Je me déplace beaucoup dans le pays, et à chaque fois, les gens me parlent de la sélection. Ils me disent qu’ils aiment cette équipe, qu’ils aiment les joueurs. Et je fais passer ce message à mes joueurs. C’est une source de motivation. Je pense que je suis perçu comme quelqu’un de travailleur, rigoureux, passionné, patriote. Mes joueurs attendent que je sois comme leur entraîneur en club : professionnel. Et je pense qu’ils me perçoivent ainsi…
La compétence n’est ni noire, ni blanche… Mais ce que j’aimerais, c’est un peu plus d’entraîneurs africains en France
Avez-vous un vestiaire facile à gérer ?
Un vestiaire, ce n’est jamais complètement facile. Vous avez 23 joueurs, des personnalités différentes. Mais le groupe avec qui je travaille, honnêtement, est très intéressant, sain. Les joueurs ne se plaignent pas, même quand on fait quatorze heures d’avion, personne ne se plaint. C’est peut-être l’environnement qui pose parfois problème…
Cela signifie-t-il que les joueurs qui n’ont plus été sélectionnés depuis plusieurs, dont Papiss Cissé, Demba Ba, Moussa Sow ou encore Cheikh Mbengue, pouvaient poser problème ? Certains ont d’ailleurs tenu des propos assez virulents à votre encontre…
La porte de l’équipe nationale n’est fermée à personne. Mais pour y venir, ou y revenir, il faut tout simplement adhérer au projet. Il y a un cadre de travail, comme dans toutes les sélections. À partir du moment où les règles sont respectées et qu’on s’inscrit dans le projet que j’ai défini, tout le monde a sa chance.
Stephen Keshi, le regretté ancien sélectionneur du Nigeria, avait critiqué il y a quelques années le nombre trop élevé d’entraîneurs étrangers en Afrique. Selon lui, les techniciens locaux sont aussi compétents que quelques européens…
Je ne veux pas entrer dans ce type de débat. La compétence n’est ni noire, ni blanche… Il y a des entraîneurs étrangers qui ont beaucoup apporté au football africain. Je veux juste dire que pour entraîner en Afrique, il faut aimer l’Afrique. Y vivre, la découvrir. Des gens comme Hervé Renard, Bruno Metsu, Claude Le Roy et d’autres vivaient sur place. Ils aiment ce continent. Ce que j’aimerais en revanche, c’est un peu plus d’entraîneurs africains en France, en Ligue 1, en Ligue 2, en National et même en CFA. Car je crois que les Africains ont eux aussi apporté à la France…