Fiac 2018: le trouble et le feu

Ce jeudi 18 octobre, la Fiac, rendez-vous incontournable du marché de l’art international, ouvre ses portes au Grand Palais à Paris. La grande Foire internationale d’art contemporain a réussi son pari de rester à la fois une foire élitiste et de devenir en même temps un événement populaire, grâce aux sculptures et installations monumentales aux allures pop qui peuplent les places et les parcs parisiens. Le cœur de l’événement bat toujours sous la vaste nef du Grand Palais abritant la sélection des 195 galeries de 27 pays, attendues par des collectionneurs du monde entier.

Avec la Rampe cycloïdale, une piste de skate conçue par Raphaël Zarka aux abords du Grand Palais et les rayons colorés de peinture, couchés sur l’asphalte par le duo d’artiste Lang & Baumann pour relier visuellement le Petit et le Grand Palais, la Fiac 2018 tire son chapeau devant la street art. À l’intérieur de la foire, les propositions restent plutôt classiques dans la forme. Mais autour ces peintures, sculptures, installations ou photographies surgissent les préoccupations de notre époque. À la Fiac, on cherche être troublé et de se retrouver avec ses certitudes suspendues.

Comment prendre la température du marché de l’art ?

Commençons avec ce cœur en bronze qui bat, intitulé Éventail des caresses, réalisé par l’artiste suisse Mai-Thu Perretexposé à la David Kordansky Gallery. Une parmi trois œuvres-organes suspendues vendues pour 90 000 dollars. À la fois sculptures et cloches, elles rendent visible ces organes vitaux normalement cachés, et se montrent capable de procurer des sensations visuelles et sonores au spectateur.

Le directeur de la galerie, Kurt Mueller, est venu de Los Angeles pour prendre la température du marché de l’art à Paris. En revanche, le thermomètre qui intervient d’une manière déconcertante dans la photographie Fever (Fièvre) (2009-2018) de Torbjorn Rodland, artiste norvégien résidant à Los Angeles, n’a rien à avoir avec la question, affirme-t-il : « L’image montre le derrière d’une femme avec un thermomètre entre les cuisses. En fait, on ne peut pas lire la température [rires], mais c’est d’un côté une situation comique, de l’autre côté déroutant. C’est une histoire sans fin qui reste suspendue et où vous devez faire votre propre conclusion… »

L’art, un piège visuel

Qui peut résister au regard ingénu d’un chien assorti d’une belle fleur ? French Bulldog(2018), un simple panneau en bois transformé par la peinture de l’huile en icône animale à la taille humaine, frappe par sa simplicité et son efficacité. Exposée à la Galerie Max Hetzler de Berlin, ce piège visuel d’Ida Tursic & Wilfried Mille (né respectivement à Belgrade et à Boulogne-sur-Mer, ils résident en France) fait un peut penser aux Tulipes de Jeff Koons, mais à 20 000 euros (hors taxes), leur sculpture est certainement plus abordable et plus facilement à caser que l’œuvre de la star américaine.

Une expérience étrange et séduisante promet l’œuvre (déjà vendue) de l’artiste sud-coréen Park Seo-Bo, l’un des fondateurs de Dansaekhwa, mouvement majeur de l’art contemporain en Asie. Son titre ÉcritureNo. 180118 (2018) rajoute encore à la confusion créée par l’effet vibrant et troublant du tableau de deux mètres de large dont la couleur rouge se manifeste à la fois comme une peinture monochrome aux couleurs multiples, comme une œuvre plastique à part entière et comme l’expression écrite d’un artiste : « Pour lui, ses motifs, ses lignes, sont une forme d’écriture, explique Vanessa Clairet de la Galerie Perrotin. Il n’y a pas de contradiction entre l’écriture et la peinture. C’est une forme d’expression abstraite qui lui est propre. »

Des femmes suspendues à une corde

Des histoires littéralement suspendues se retrouvent chez Pilar Albarracin. L’artiste espagnole a accroché sur six mètres des cimaises de la galerie Vallois un triptyque de portraits photographiques de femmes suspendues comme des pièces de viande : À pointBleueSaignante. « Les femmes sont suspendues à une corde, nous détaille l’artiste, avec des robes de flamenco et d’autres signes de la tradition espagnole. Elles sont suspendues, parce que leur vie aussi est un peu suspendue. Je voulais que les femmes ne touchent pas le sol. Tout vole. »

Très troublante s’avère la rencontre avec les installations de l’artiste américain Matthew Angelo Harrison, exposées à la Jessica Silverman Gallery. Il y a cette tête de sculpture étripée et à moitié ouverte d’une tribu de Mozambique et Tanzanie, Dark Silhouette : Synthetic ipiko n. 4, de 2018. L’intérieur moulé en résine polyuréthane et rempli de pièces en aluminium fait à la fois penser aux expérimentations médicales et aux ouvriers afro-américains dans l’industrie automobile de Detroit, la ville natale de l’artiste et où il a travaillé dans le département de design chez Ford. À côté, un couple de sculptures en bois de l’Afrique de l’Ouest, immergé dans deux caissons rappelant les liquides de conservation de cabinets macabres…

Être Afro-Américain, est-ce être entre deux mondes ?

L’artiste explore à sa façon le rapport entre l’histoire coloniale, la technologie, la culture et l’identité des Afro-Américains : « En tant qu’Afro-Américain, on ressent une distance entre une identité africaine et un combat permanent pour avoir un sentiment relié à l’endroit où l’on vit. Mon travail explore cet entre-deux. Je ne veux pas choquer des gens. Je souhaite juste exprimer ces états difficiles de se sentir en permanence entre deux mondes. »

L’installation s’appelle César (2018), même si chez l’artiste français d’origine algérienne Mohamed Bourouissa, on ne trouve pas de lien direct avec le célèbre sculpteur Césarrécemment célébré au Centre Pompidou. Quoi que… les prix montent déjà à quelques dizaines de milliers, il existe aussi un goût commun pour le matériau de récupération et surtout une grande volonté de réinventer la sculpture. Les grands tirages photographiques argentiques montés sur des éléments de carrosseries et des plaques de métal, donnent au portrait-sculpture de plus de deux mètres de haut une certaine nonchalance chic : « C’est une sorte de bas-relief sur pied, affirme le galeriste Kamel Mennour au micro de RFI, composé de tôles de voitures sur lesquelles il a sublimé des images d’une certaine jeunesse déshéritée et dévalorisée de Philadelphie qu’il a côtoyée pendant sept mois. »

Mettre le feu à la Fiac

Que dire du stand en rouge feu de la Galerie Gmurzynska transformé en caserne de pompiers hébergeant à la fois des centaines d’extincteurs gravés et des peintures d’Yves Klein, d’Otto Piene, de Joan Miro et de Karl Lagerfeld ? Une œuvre totale réalisée par le designer et scénographe Alexandre de Betak : « Nous avons fait un choix dans la collection d’art moderne de la galerie Gmurzynska pour trouver des œuvres faites avec le feu ou inspirées par le feu. Je voulais faire un environnement à la fois inspiré par les pompiers et des casernes, de rêves de petit garçon pour mettre en valeur ces œuvres. Et en même temps une installation très pop pour mettre le feu à la Fiac… [rires] »

RFI

commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Translate »
RSS
Follow by Email
YouTube
Telegram
WhatsApp