La meilleure défense, c’est l’attaque, et l’on ne peut contester à Emmanuel Macron sa pugnacité. Il est donc en campagne, tous azimuts. Dans les cordes sur le ring national durant tout l’automne 2018, il a retrouvé son jeu de jambes depuis janvier, en engageant vigoureusement le grand débat national. Isolé dans l’arène continentale depuis des mois, il retrouve son souffle à l’approche du scrutin européen de mai : son adresse par voie de presse, mardi 5 mars, aux citoyens européens en préempte les thèmes et le tempo.
Hormis dans son camp et à Bruxelles, le plaidoyer du président de la République a été accueilli dans une indifférence plus ou moins bienveillante dans les capitales européennes et par des critiques convenues en France. Dans la forme comme sur le fond, il mérite pourtant davantage d’attention.
S’adresser de façon inédite à l’ensemble des Européens par-delà leurs gouvernements serait, paraît-il, d’une coupable prétention. Etrange grief. Durant sa campagne présidentielle et en maintes occasions depuis, Emmanuel Macron a fait de la défense et de la réforme de l’Union l’un de ses engagements majeurs. Il aurait été surprenant qu’il ne le réaffirme pas à l’occasion du scrutin du 26 mai et ne cherche pas à en convaincre les premiers intéressés : les électeurs. Qu’il soit pour l’instant le seul à le faire témoigne moins d’une quelconque arrogance que des silences, voire des résignations de ses homologues.
Deux défis
Sur le fond, ses raisons ne sont pas moins fortes. L’Europe – son modèle, sa construction, sa puissance collective – est en grand danger, prévient-il. Qui peut le contester ? Qu’il s’agisse des « stratégies agressives des grandes puissances », des défis planétaires ou des fractures qui se multiplient en son sein, tout démontre que l’Union est menacée d’affaiblissement, de délitement, voire de dispersion.
Qui peut contester, également, que face à ces défis l’union fait la force ? A cet égard, le chef de l’Etat n’a pas renoncé à dénoncer les « exploiteurs de colère », partisans d’un « repli nationaliste » qui est « un rejet sans projet ». Mais il ne le fait pas, ou plus, au nom d’un « europtimisme » béat ou d’un fédéralisme implicite. L’essentiel, désormais, est de consolider la capacité protectrice de l’Union contre les menaces qui la guettent et contre les peurs qui taraudent ses peuples. D’où l’accent mis sur la protection des frontières de l’Europe (avec la « remise à plat » de l’espace Schengen), de ses entreprises (avec l’instauration d’une « préférence européenne »pour les industries stratégiques et les marchés publics), de ses travailleurs (avec un « bouclier social ») et de ses démocraties contre les interférences de puissances étrangères.
Emmanuel Macron prend donc des risques. Sur la scène nationale, c’est la conclusion du grand débat, si elle n’est pas à la hauteur des attentes suscitées par cet exercice démocratique inédit. Sur la scène européenne, c’est le verdict du scrutin du 26 mai : s’il lui est favorable, il sera ensuite en mesure de peser au Parlement européen et sur ses partenaires ; sinon, il sera condamné à la marginalité pour le reste de son mandat.
Les deux défis s’emboîtent l’un dans l’autre. Affaibli et contesté, le chef de l’Etat aurait pu se mettre prudemment à l’abri en attendant des jours meilleurs. Il a choisi de s’exposer. Il a raison. Gouverner, c’est choisir, définir un projet et chercher à convaincre de sa pertinence.