Etats-Unis: le bilan mitigé des taxes sur l’acier à l’épreuve des midterms

La Pennsylvanie est le berceau historique de l’acier aux États-Unis. Mais au cours de la dernière décennie, les usines de cet État, souvent vieillissantes, ont été confrontées au choc de la concurrence de l’acier chinois, beaucoup moins cher. C’est notamment pour conserver le soutien de cet électorat que le président américain a mis en place des taxes de 25% sur les importations. Mais quatre mois après leur entrée en vigueur, le bilan est mitigé et rien ne garantit une victoire du Parti républicain dans cet État de la ceinture de rouille, qui a contribué à porter Donald Trump à la Maison Blanche. Reportage à Coatesville.

Le Polish Bar est un club privé, situé au cœur de la petite ville de Coatesville. Depuis son ouverture en 1922, il pioche sa clientèle parmi les ouvriers sidérurgistes de l’usine toute proche. « Autrefois, il y avait des bars partout dans cette rue, soupire Kenny Sheene, délégué du personnel à Arcelor Mittal USA. Mais maintenant, nous n’avons plus que le Polish : tous les autres établissements ont fermé. »

L’usine de Coatesville a changé de propriétaire à plusieurs reprises, mais elle produit de l’acier sans interruption depuis le début du XIXe siècle. C’est ici qu’ont été produits les fleurons de la marine américaine, les sonars des sous-marins d’après-guerre, quantité de rails pour les voies ferrées qui sillonnent le pays, et plus récemment les piliers des tours du World Trade Center, seuls à être restés debout après les attentats du 11 septembre 2001. Ces vestiges des tours jumelles de New York ont d’ailleurs été rapatriés dans la petite ville et figureront dans un musée qui devrait ouvrir bientôt. « Nous pensions nous aussi finir au musée, s’amuse Kenny en poussant la porte du Polish Bar, mais grâce aux taxes instaurées par Donald Trump, nous avons repris confiance en l’avenir. »

Un carnet de commandes bien rempli, mais pas d’embauche

Accoudé au comptoir, Robert Barrage sirote une bière en surveillant du regard la retransmission d’un match de baseball à la télévision. « Quand j’ai commencé à l’usine, il y a 40 ans, nous étions 4 500 employés. Maintenant, nous ne sommes plus que 500. Il y a eu des licenciements, mais surtout beaucoup de départs à la retraite qui n’ont pas été remplacés », relate-t-il.

Comme tous les ouvriers de l’usine de Coatesville, Robert fait des heures supplémentaires depuis l’instauration des taxes sur les importations d’acier : « Les commandes sont reparties à la hausse, constate-t-il, mais ils refusent d’embaucher. » Selon le syndicat US Steel Workers (USW), certains ouvriers alignent jusqu’à 80 heures de travail hebdomadaire pour faire face à la hausse de la demande. Kenny s’inquiète pour ses collègues : « Nous ne pourrons pas continuer longtemps comme cela. Tous ces gens sont fatigués, ils vont finir par craquer. »

Les taxes sur l’acier imposées par Donald Trump ont été reçues comme une bénédiction par les employés de la sidérurgie. Dans le local syndical situé un peu à l’écart de la ville, Fred Grumbai, le président de la section locale, se félicite : « La production est repartie, les commandes augmentent et cela va continuer. Nous sommes au-delà de la convalescence, je crois que nous allons renouer avec la croissance. »

« Nous demandons juste notre part du gâteau »

Mais à Coatesville, il n’y a pas eu d’embauche, et si les ouvriers ont vu leurs revenus augmenter du fait de leurs heures supplémentaires, leur salaire fixe, lui, n’a pas été augmenté. Les accords d’entreprise sont en cours de négociation, et l’USW a déposé un préavis de grève qui couvre les employés d’Arcelor Mittal USA et d’US Steel, poids lourd de l’industrie sidérurgique américaine, au cas où les discussions tournent court. « L’entreprise fait d’énormes profits, grâce aux taxes sur les importations d’acier qui ont annihilé la concurrence chinoise. Nous demandons juste notre part du gâteau. Personne ne veut se mettre en grève, mais s’il le faut, nous le ferons », lâche Fred.

Pour l’instant, le patron de l’usine Coatesville ne prévoit qu’une augmentation limitée des salaires, et une prime à la signature de l’accord. Mais il souhaiterait réduire le plan de couverture santé des ouvriers, dont le coût pèse de plus en plus lourd sur les comptes de l’entreprise, ce qui suscite l’inquiétude de Kenny. « Nous faisons des métiers dangereux, exposés, et nous tenons à notre assurance maladie. L’entreprise dit que les tarifs ont explosé, mais si on rogne sur notre couverture maladie, plus personne ne voudra travailler ici. »

« L’usine tourne à plein régime, les poches de nos patrons se sont remplies, mais les ouvriers de l’acier n’en ont pas profité »

Sur le parking devant le local syndical, Arnold Runner, lui aussi employé depuis plusieurs décennies dans la sidérurgie, laisse exploser sa colère : « L’administration Trump a baissé les taxes sur les sociétés et a pris des mesures pour soutenir le secteur. Résultat, l’usine tourne à plein régime, les poches de nos patrons se sont remplies, mais les ouvriers de l’acier n’en ont pas profité. Bientôt, les employés des chaines de restauration rapide gagneront plus que nous ! Pourquoi devrais-je continuer à risquer ma vie dans la métallurgie ? »

Fred, le patron de la section syndicale, votera pour le candidat républicain aux prochaines élections, il espère ainsi soutenir le maintien des taxes qui ont permis à l’usine de se rester à flot. Kenny est encore hésitant. Mais pas Arnold, qui votera démocrate : « Je fais crédit à Donald Trump d’avoir aidé notre industrie, mais avec tout ce qu’il dit sur les races, sur les femmes, non, je ne peux pas voter pour lui. Il divise le pays. Dès que je vois le président apparaitre à la télévision, je quitte la pièce », lâche-t-il. Lorsqu’on lui fait remarquer que le scrutin ne porte pas sur l’hôte de la Maison Blanche, mais sur les élus du Congrès, il rétorque : « Trump lui-même dit qu’il s’agit d’un référendum sur sa personne. Et même si je bénéficie de sa politique, je ne peux pas cautionner un tel président. »

Les prix de l’acier ont augmenté

À une centaine de kilomètres plus au nord, Allentown, troisième ville de Pennsylvanie, aligne ses banlieues bordées d’enseignes commerciales. Pennsylvania Steel, une entreprise spécialisée dans la découpe et la revente d’acier, y dispose d’un vaste entrepôt, en contrebas d’une voie ferrée. Et même si l’entreprise se fournit sur le marché local, les coûts de production ont augmenté. « À cause des taxes, l’acier importé a augmenté, mais les producteurs américains en profitent et leurs prix aussi ont grimpé », relève Tyler Reinhard, chargé de vente. Ils se disent « oh les taxes augmentent les prix à l’import de 25%, on peut faire grimper nos tarifs de 20%, on restera quand même moins cher« . Donc on achète plus cher, on revend plus cher et les clients n’aiment pas cela. C’est plus difficile de faire rentrer les commandes, cela affecte notre commerce. »

Un peu plus loin, sur la porte d’un magasin de matériaux de construction, une affichette prévient le client : du fait des incertitudes du marché, les prix des produits en acier sont susceptibles de changer sans préavis. Dans son petit atelier situé sur une ruelle coquette plus haut sur la colline, Georges Altiyeh se frotte les mains. Lui aussi subit pourtant de plein fouet la hausse des prix : son entreprise, American Architectural Metal, débite de l’acier pour construire des toitures. Mais les affaires vont si bien que le propriétaire n’en a cure. « Pour être honnête, on fait absorber les coûts supplémentaires par nos clients. Personne n’aime voir les prix augmenter, mais les affaires marchent très bien, mieux que jamais, même. »

 

Avant l’instauration des taxes, Georges Altiyeh se fournissait largement sur le marché international. Il s’est désormais réorienté vers la production locale. « Au début, nous avons eu quelques soucis d’approvisionnement, mais tout est rentré dans l’ordre. Cela nous coûte un peu plus cher, mais j’approuve ce que fait le président Trump pour ce pays. Je n’aime pas son style parfois outrancier, mais regardez la bourse, regardez l’économie : elle n’a jamais mieux tourné, et cela me réjouit. »

La hausse des prix pèse lourd sur certaines industries grandes consommatrices d’acier, comme le secteur automobile. Ford a annoncé que cela lui coûtera environ 1 milliard de dollars. Plus de 39 000 demandes d’exemption de ces taxes sur l’acier ont été déposées auprès du secrétariat américain au Commerce. Mais aucune des nombreuses entreprises de Pennsylvanie concernées et contactées par RFI n’a accepté de communiquer, par crainte d’enrayer un processus administratif déjà compliqué.

Les fermiers paient le prix des mesures de rétorsion

Les fermiers américains sont des victimes collatérales de ces nouveaux droits de douane sur l’acier. Pour riposter contre les tarifs imposés par Donald Trump, la Chine a instauré des taxes sur les produits agricoles et notamment sur le soja, que les Américains produisent massivement, essentiellement pour l’exportation. William Boyd, qui nous accueille dans sa ferme à Mertztown dans le nord de la Pennsylvanie en cultive depuis les années 1990. « Cela rapportait bien à l’époque. Mais depuis les représailles de la Chine, les cours du soja ont plongé. Avec le coût des engrais, de la location des terres et des équipements, on est proche du point de rupture. Je vais essayer de tenir une année supplémentaire, en espérant que les prix remontent. »

Il nous emmène voir ses champs à quelques kilomètres de là. Les récoltes se présentent bien, mais le fermier fait grise mine : le cours du soja a baissé de 2 dollars par boisseau, ce qui revient à une baisse de 20% des revenus de l’agriculteur. William fait cependant, contre mauvaise fortune, bon cœur : « Quand Trump a décidé de mettre ces taxes en place, j’y étais complètement opposé en tant que fermier, mais j’ai réfléchi : il faut avoir une vue d’ensemble, nous devons agir pour que notre économie survive face aux Chinois. Les taxes sont nécessaires pour lutter contre leur domination. »

« Nous sommes en guerre (…) et nous devons nous sacrifier »

Dans une ferme voisine, Keal Henninger fait sécher son maïs, à l’aide d’une énorme machine. Il cultive aussi du soja, et subit également des pertes importantes. « Toute l’agriculture est frappée par les mesures de représailles des Chinois, tout le secteur tourne au ralenti », constate-t-il en surveillant les grains projetés par milliers dans un immense silo. Et comme son voisin, Keal soutient la politique de la Maison Blanche. Dans sa grange, il a conservé une affiche de la campagne présidentielle de Donald Trump. « Le pays avait vraiment besoin de changement et c’est ce qu’il accomplit de belle manière. Il essaye de faire ce qu’il faut », explique-t-il. Et confiant, il ajoute : « La Chine se joue de nous maintenant, mais la partie n’est pas terminée. Peut-être que la Chine fait tout ce qu’elle peut pour nuire à Donald Trump avant les élections et qu’elle viendra négocier ensuite : on finira par trouver un accord. »

Donald Trump a promis de solliciter le contribuable, jusqu’à 12 milliards de dollars, pour compenser les pertes du secteur agricole. William et Keal n’ont encore rien touché, mais comptent bien remplir leurs demandes de dédommagement. Et assument leur soutien sans faille au président : « Trump a raison : il n’y a pas de tirs, mais nous sommes en guerre contre la Chine », conclut William. « Et c’est une guerre dans laquelle nous devons nous sacrifier. »

RFI

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