« Le processus électoral a été endommagé par les leaders politiques, qui ont attaqué des institutions indépendantes », précise le rapport publié mercredi par les observateurs internationaux, qui ont subi plusieurs critiques lors du scrutin.
Le 28 novembre dernier, Uhuru Kenyatta a été réinvesti président du Kenya pour un second mandat, refermant ainsi une interminable séquence électorale marquée par l’annulation historique, par la Cour suprême, d’un premier scrutin jugé frauduleux par l’opposition.
Réélu avec 98 % des voix à l’issue d’un second vote, boycotté par son principal adversaire, l’opposant Raila Odinga, crédité de 45 % des voix lors du premier scrutin, Kenyatta a pris le pouvoir dans un pays profondément divisé.
Manque de dialogue
Deux mois et demi après le vote, les observateurs électoraux de l’Union européenne ont publié mercredi 10 janvier un rapport final très critique sur le scrutin présidentiel kényan de 2017. La présentation de celui-ci, qui accuse notamment les responsables politiques d’avoir « nui » au processus électoral, a provoqué l’ire de Nairobi.
Très critique, le rapport a été présenté à Bruxelles et non, comme prévu, dans le pays concerné, fait rare pour une mission d’observation de l’UE. Marietje Schaake, députée européenne dirigeant la mission d’observation de l’UE lors de l’élection, a indiqué dans un courriel adressé à l’AFP avoir initialement « prévu de voyager cette semaine, mais le gouvernement [kényan, ndlr] n’était pas prêt à nous recevoir. Je ne peux pas m’exprimer en leur nom quant à leurs motivations ».
Un comportement dédaigneux et condescendant, selon l’ambassade kényane
« Les élections générales de 2017 ont été caractérisées par une course à la présidentielle longue et dommageable, qui a coûté des vies et affaibli le fonctionnement démocratique du Kenya », affirme le rapport de la mission de l’UE. « Le processus électoral a été endommagé par les leaders politiques, qui ont attaqué des institutions indépendantes, et par un manque de dialogue entre les deux camps », ajoute-t-il.
L’ambassade du Kenya a répliqué en accusant la députée d’avoir publié le rapport en dépit de « consultations » sur la date de sa publication et en dénonçant un « comportement dédaigneux et condescendant ».
Critiques lors du scrutin
La polémique sur la mission des observateurs internationaux n’est pas nouvelle. Deux jours après la présidentielle, les chefs des missions d’observation, l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry et l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki en tête, se succédaient en direct sur les télévisions kényanes pour présenter leurs rapports préliminaires.
S’appuyant sur le déploiement de centaines d’observateurs, ils avaient alors salué la bonne tenue des opérations de vote et loué le travail de la controversée Commission électorale (IEBC). Mais ils avaient également rappelé que les opérations de transmission des résultats – plus tard critiquées par la Cour suprême – et de comptage des voix, étaient toujours en cours.
Certains avaient relevé quelques irrégularités, d’autres s’étaient inquiété du manque de transparence du système électronique.
Nous sommes critiqués pour presque tout ce que nous disons, par un camp ou par l’autre
Accusés d’avoir trop rapidement donné leur bénédiction à une présidentielle entachée d’irrégularités, les observateurs électoraux internationaux déployés au Kenya ont subi de nombreuses critiques après l’invalidation en justice le 1er septembre, pour irrégularités dans la transmission des résultats.
Les intéressés se défendent toutefois d’avoir avalisé l’ensemble du processus électoral et tentent, appuyés par certains analystes, de décrypter cette controverse. Ils admettent ainsi une communication ambiguë, tout en regrettant une simplification de leur message par les médias, par un public kényan très polarisé et par une opposition combative. « Nous sommes critiqués pour presque tout ce que nous disons, par un camp ou par l’autre » avait réagi Marietje Schaake après le scrutin.
Plein d’espoir pour ces élections, les Kényans ont finalement connu de multiples déceptions
« La technologie ne peut pas remplacer la confiance »
La séquence électorale, longue de quatre mois, a également été entachée de plusieurs violences. Au moins 90 personnes ont été tuées, en grande majorité dans la répression de manifestations de l’opposition par la police, selon des organisations de défense des droits de l’homme.
« Plein d’espoir pour ces élections, les Kényans ont finalement connu de multiples déceptions », admet la chef de la mission d’observation de l’UE.
Des tests insuffisants en terme de capacité et de sécurité
Le camp Kenyatta s’était fendu de menaces contre la justice kényane après l’invalidation de sa réélection, tandis que le camp de l’opposant Raila Odinga n’a cessé de critiquer la commission électorale. Les deux camps ont par ailleurs échangé de multiples invectives.
Le système électronique mis en place pour limiter les possibilités de fraude aura finalement alimenté les accusations de fraude, a-t-elle souligné, évoquant notamment des « tests insuffisants en terme de capacité et de sécurité ». « La technologie ne peut pas remplacer la confiance », selon la députée.
Marietje Schaake a cependant noté des améliorations dans la conduite de l’élection d’octobre, par rapport à celle d’août, avec notamment un processus de transmission et de comptage des résultats « plus transparent ».
La mission d’observation a conclu en présentant 29 recommandations pour améliorer le prochain scrutin présidentiel, prévu en 2022.