Nous sommes à quelques encablures de l’élection présidentielle sénégalaise de 2019, une élection marquée par un processus électoral nébuleux. Les acteurs politiques ne s’entendent toujours pas sur les principes basiques d’une élection ; les citoyens pataugent dans le clair-obscur, voire complètement dans les ténèbres.
De potentiels candidats en prison ou en exil, un fichier électoral non encore consensuel, un système de parrainage confus et difficilement applicable dans un pays où l’écrasante majorité de la population ignore la valeur d’une signature, etc. sont autant d’écueils qu’il faut résoudre avant le prochain scrutin.
Les acteurs politiques- ceux qui essaient- s’époumonent pour expliquer aux potentiels électeurs le rôle d’un parrain et la différence de celui-ci avec un électeur.
C’est à se demander si certains ne profitent pas de l’ignorance pour s’adonner à la manipulation des consciences !
Tout l’horizon est assombri par un doute existentiel qui habite ceux qui sont susceptibles d’être candidats.
Aucun prétendant-à part celui de la mouvance présidentielle évidemment- n’est assuré que son dossier de parrainage sera validé, malgré les nombreuses précautions prises dans le respect des modalités d’application de la loi controversée qui régit ce désormais passage obligatoire à la candidature à une élection présidentielle sénégalaise.
Des craintes légitimes sont nourries concernant la neutralité de l’instance chargée de vérifier la validité des dossiers des prétendants à la candidature et des actes de sabotage ont été notés, dans le but d’invalider la collecte de parrains des adversaires politiques, par la corruption, la désinformation ou l’intimidation de la frange la plus vulnérable, économiquement, et parfois même, socialement.
En tout cas le doute persiste et la confiance n’est pas de mise.
En somme, à moins de quatre mois des élections, des candidats à la candidature et des citoyens évoluent dans un monde d’incertitudes et d’hypothèses.
Cependant, l’un des problèmes majeurs demeure le processus de confection et de délivrance des cartes d’électeurs, éléments incontournables pour participer au scrutin.
Des dysfonctionnements remarquables sont perceptibles dans ce processus qui se fait souvent de façon pêle-mêle, selon des critères difficilement compréhensibles.
En effet, comment peut-on comprendre que la CENA soit associée à tout le processus de confection des nouvelles cartes biométriques, sauf dans la distribution ?
Comment peut-on comprendre que la distribution se fasse différemment dans le pays ?
Ici, elle se passe dans un commissariat de police ; là, elle se passe dans une mairie ; ailleurs, elle est confiée à un chef de quartier, comme ce fut le cas lors de la précédente élection législative.
Nous comprenons volontiers que les agents de la police et de la mairie se chargent de ce travail sensible. En revanche, qu’une telle mission soit confiée à des chefs de quartiers, nous laisse dubitatifs. Sans vouloir les accuser à tort, un doute légitime subsiste en ce qui concerne leur formation, leur méthode, voire leur neutralité.
Dans le monde rural, particulièrement, des chefs de villages sont saisis par les sous-préfectures pour annoncer des opérations de distribution de cartes, par l’entremise d’un crieur public, sans que la mairie qui doit abriter ce travail ne soit mise au courant. Pour la CEDA, n’en parlons pas.
A cela, il convient d’ajouter les problèmes de mobilité entre les villages qui composent certaines communes, qui peuvent aller jusqu’à une vingtaine.
Au total, nous constatons avec beaucoup de regret et de déception que la promesse de l’Etat de faire le nécessaire pour que tous les citoyens puissent disposer de leur carte avant le scrutin, tarde à se réaliser.
Nous nous souvenons encore de cet épisode digne d’un interrogatoire dans un film de cowboy, mettant en scène deux élus municipaux qui extorquent des aveux à de pauvres jeunes qui seraient pris avec des cartes d’électeurs dans la rue.
Nous n’avons non plus oublié cette rocambolesque histoire de cartes d’identité biométriques enfouies sous un arbre devant la mairie de Kaolack. Du jamais vu !
Par ailleurs, il est important de signaler que le retard dans la délivrance des pièces d’identité commence à porter préjudice à bon nombre de citoyens. En guise d’exemple, nous pouvons citer le cas de certaines banques de la place qui n’acceptent plus l’ancienne carte d’identité lors des opérations financières.
Le client qui n’a pas encore sa nouvelle pièce est tenu de chercher un répondant qui en dispose. Ce qui pose un sérieux problème, si l’on tient compte de nos réalités qui font que très souvent les gens sont méfiants-à juste raison- quand il s’agit d’argent.
Des citoyens sont privés du droit de disposer d’un passeport pour une faute qu’ils sont loin de commettre.
Compte tenu de tout cela, il n’est pas exagéré de soutenir que nous nous acheminons vers l’élection présidentielle la plus imprévisible de l’histoire politique du Sénégal.
Le gouvernement doit donc jouer franc jeu et corriger le plus rapidement possible ces imperfections afin de restaurer la confiance entre lui et les acteurs politiques et la société civile, en mettant en place un dispositif à même de rendre le processus électoral fiable et consensuel.
Dr. Amadou SOW
Pôle Formation et Débat
FASTEF
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