- Le Comité de bioéthique a rendu un avis sur les tests ADN qui peuvent renseigner sur le risque de développer certaines pathologies.
- En France, les tests génétiques pour certains cancers, du sein, de l’ovaire et colorectal, sont très encadrés et réservés à une population à risque.
- Mais pour améliorer le dépistage du cancer du sein, un projet européen, mené par Suzette Delaloge, vise à étudier les conséquences d’un dépistage beaucoup plus poussé et personnalisé.
De simples chiffres aux répercussions immenses. Avec les énormes progrès de la médecine prédictive, certains Français sont tentés de réaliser sur Internet des tests ADN qui les renseignent sur leur risque de développer un jour un cancer. Selon une étude Viavoice pour l’Institut Curie, 81 % des Français seraient disposés à s’adonner à ce genre de tests génétiques de plus en plus abordables… mais illégaux en France (pour le moment). Il n’empêche, le Comité de bioéthique s’est penché sur cette question compliquée. Et dans son avis rendu mi-septembre, le CCNE préconise d’approfondir « les possibilités de l’extension du dépistage génétique à la population générale ». Dans quelles conditions?
Des tests génétiques pour le cancer du sein, de l’ovaire et colorectal
Certains tests génétiques pour prédire un cancer sont pourtant déjà disponibles et légaux en France. Mais ils restent très encadrés et réservés à une population ciblée. En effet, une altération génétique, popularisée par l’histoire d’Angelina Jolie et plus scientifiquement nommée BRCA 1 et BRCA2, est responsable d’environ 2% à 5 % des cancers du sein et de 15% à 20 % des cancers de l’ovaire. Aujourd’hui, certaines femmes peuvent donc réaliser un test génétique, en fonction de leur histoire familiale ou de critères individuels dans plus d’une centaine de consultations d’oncogénétique. Des consultations qui ont vu leur activité croître : entre 2014 et 2016, les tests liés aux cancers héréditaires sont passés de 17.000 à plus de 24.000, selon une étude de l’Institut National du Cancer.
« Ces tests génétiques se font en deux temps : d’abord on cherche à comprendre l’origine d’une histoire familiale ou individuelle évocatrice, puis on propose ces tests aux apparentés», souligne Dominique Stoppa-Lyonnet, chef de service de génétique de l’Institut Curie et enseignante à l’université Paris-Descartes.
Ce test génétique est donc proposé aux femmes atteintes d’un cancer du sein avant 36 ans ou de l’ovaire avant 60 ans ou celles dont la tumeur a certaines caractéristiques d’agressivité. Mais aussi aux femmes dont la mère et la tante, en gros deux personnes de la même branche familiale, ont traversé un cancer du sein ou de l’ovaire. «Mais attention à ne pas confondre transmission et expression de la maladie : ce gène peut passer par la famille du père, insiste Dominique Stoppa-Lyonnet. C’est malheureusement très méconnu… »
Une simple prise de sang permet alors de rechercher environ 13 gènes. Si le test révèle la mutation de ce gène BRCA, cette femme aura un suivi très régulier, car ce fameux BRCA « augmente le risque de 70 % d’avoir un cancer de sein d’ici à vos 80 ans, avec un âge moyen de 45 ans», précise l’oncogénéticienne. Dans le cas contraire, les filles et petites-filles n’auront pas davantage de risque qu’une autre femme de développer ces deux cancers.
Moins connu, d’autres tests génétiques sont proposés pour les cancers colorectaux. « Les femmes sont assez au courant du gène BRCA, l’effet Angelina Jolie a joué, en revanche, pour les cancers colorectaux on note un vrai déficit d’information et de consultations en oncogénétique», regrette Frédérique Nowak, responsable du département biologie, transfert et innovation à l’Institut national du cancer (INCa).
Améliorer le dépistage dans le cancer du sein
Suffisant ? « Aujourd’hui, c’est sûr que toutes les femmes qui devraient être testées ne le sont pas », tranche le Dr Stoppa-Lyonnet. Et le dépistage systématique à partir de 50 ans par mammographie n’a pas prouvé son efficacité…
« Il faudrait à mon avis élargir certains critères, par exemple proposer ce test aux femmes qui ont eu un cancer avant 40 ans et non 36 ans, mais on n’en est pas à élargir à toutes », insiste l’onco-généticienne. Selon elle, l’urgence est plutôt d’affiner les tests BRCA et de mieux cibler les femmes qui présentent un réel risque. Pour cela, il faudrait notamment mieux identifier les facteurs modificateurs de risques, qui peuvent être génétiques et non génétiques, et inclure des facteurs liés au mode de vie : alcool et tabac. Cela permettrait de comprendre pourquoi certaines tombent malades, d’autres non et de définir de nouvelles pistes de prévention.
Affiner le dépistage du cancer du sein est justement la mission menée par Suzette Delaloge, qui pilote une étude européenne d’envergure. Baptisée My-PeBS, cette enquête va suivre 85.000 patientes pour comparer le dispositif actuel de dépistageà un autre dispositif utilisant l’algorithme MammoRisk et des données génétiques individuelles. «Mammorisk, c’est un test qui se base sur une analyse individuelle (âge, antécédents) et l’imagerie du sein pour voir sa densité, explique Suzette Delaloge, cancérologue à Gustave Roussy. Le génotypage, c’est la recherche des variants de l’ADN, mais en dehors des gènes. En mixant ces deux indices, on espère mieux estimer le risque d’une personne de développer un cancer du sein dans les années qui suivent. »
Le recrutement des patientes démarrera en décembre. La moitié suivront un dépistage classique et l’autre moitié bénéficieront de ces nouveaux tests personnalisés. « On espère voir diminuer le nombre de cancers avancés, mais aussi diminuer les effets collatéraux, le nombre de faux positifs et les surdiagnostics, reprend Suzette Delaloge. Chez des femmes à faible risque, on pourra espacer les mammographies, pour les autres on pourra proposer des mammographies, IRM, échographies souvent et tôt. »
Ce projet devrait nous dire d’ici six ou sept ans si ce dépistage précis et personnalisé est meilleur en terme d’efficacité, d’impact psychologique et économique que celui organisé actuellement. Il répond également à l’exigence du CCNE, qui préconise de lancer «une étude pilote pour évaluer les conséquences en terme de santé publique, retentissement psychologique et coût ».
Faut-il généraliser ces tests génétiques ?
Mais certains spécialistes prônent des mesures plus drastiques : faut-il proposer à toutes les femmes de plus de 30 ans un test génétique? L’INCa avait lancé en 2010 un groupe de travail sur cette question d’une large extension. «Autant c’est utile quand on a une histoire familiale, autant l’intérêt de proposer des tests génétiques à toute la population semble plus limité, assure Frédérique Nowak de l’INCa. Il n’y a que 5 % des cancers qui sont génétiques ! Les principaux gènes associés à un cancer héréditaire sont les gènes BRCA 1 et BRCA 2. Et parmi les personnes aujourd’hui testées, seulement 10 % ont une mutation de ce gène. Un test généralisé risque de faussement vous rassurer quand il revient négatif, et de vous inquiéter inutilement s’il est positif.»
Généraliser ce test demanderait également des moyens conséquents… « Il faut dans ce cas que des tests de qualité soient menés par des personnes informées et que ces services d’oncogénétiques soient accessibles sur l’ensemble du territoire, ce qui reste un vrai problème aujourd’hui, nuance Dominique Stoppa-Lyonnet. Mais aussi que les personnes gardent le choix de faire le test et qu’un dépistage systématique ne leur soit pas quasi-imposé. On va vers l’ouverture, mais j’ouvre lentement la porte ! »
Problème des tests ADN sur Internet
Le problème, c’est que, sans attendre un changement de loi, certains Français peuvent être tentés de réaliser ces tests à l’étranger, via Internet. «Cette offre parallèle de tests n’offre ni une prise en charge de qualité, ni une sécurité des données », avait alerté le Comité de Bioéthique lors de la présentation de son avis. « Quel est l’usage que vous allez faire d’un test qui va vous dire vous avez 12 % de risque de développer un cancer du sein, si en face vous n’avez aucune idée des moyens pour éviter la maladie ?» interroge Daniel Zarka, chirurgien en cancérologie.
Beaucoup d’experts alertent donc sur les dangers de tels tests, ni fiables, ni sécurisés et aux conséquences potentiellement désastreuses. Car des résultats seuls ne veulent pas dire grand-chose… « Quand vous allez dans une consultation d’oncogénétique, le spécialiste va vous proposer un suivi en fonction de votre histoire familiale, du type de mutation, précise Frédérique Nowak. Et dans les cas où on ne sait pas, on va mener des études complémentaires. On se méfie d’un effet pervers, certaines femmes après un test génétique négatif, pourraient arrêter leur suivi gynécologique… »
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