Maroc : controverse sur un manuel d’éducation islamique

La philosophie est-elle « dégénérescence »? Au Maroc, le ministère de l’Éducation tente d’éteindre une polémique qui a suivi la publication de nouveaux manuels scolaires d’éducation islamique.

Mi-décembre, l’un de ces manuels du secondaire a suscité l’ire de nombreux professeurs de philosophie.

L’ouvrage en question cite un texte d’un clerc musulman du 13e siècle, Ibn Salah Achahzouri, qui y dépeint la philosophie comme « contraire à l’islam » et comme « l’essence de la dégénérescence ».

Tempête et indignation chez les professeurs de la noble matière : l’Association marocaine des enseignants de philosophie (Amep) pointe du doigt le caractère « dangereux » du manuel et appelle même à son retrait. Plusieurs sit-in sont organisés.

Le ministère refuse toute idée de retrait de l’ouvrage, l’un de ses responsables déplore un « procès d’intention », pointant un extrait « sorti de son contexte ».

L’incompréhension est d’autant plus grande chez les professeurs de philosophie que le manuel a été réédité fin octobre dans le cadre d’une vaste réforme de l’enseignement islamique voulue par le roi Mohammed VI.

Cette réforme, qui a abouti à la révision d’une trentaine d’ouvrages, vise à promouvoir « un islam tolérant ».

L’éducation islamique est une matière à part dans le cursus scolaire marocain, de l’école primaire jusqu’au baccalauréat. Mais son enseignement donne lieu depuis des années à des passes d’armes récurrentes entre « modernistes » d’un côté, conservateurs et salafistes de l’autre.

« Scénario pédagogique »

Dans un nouvel argumentaire rendu public mercredi, le ministère de l’Éducation est revenu sur la polémique, et souligne que la citation incriminée s’inscrit dans un « scénario pédagogique ».

L’objectif est d’ »amener les élèves à faire des comparaisons entre les contenus de cette position décrite comme violente et des positions différentes qui considèrent que la raison et la pensée sont des outils pour aboutir à la vérité », explique le ministère.

Au passage, il regrette les « préjugés » et critiques des professeurs de philosophie qui « occultent de manière totale les changements profonds » sur le curriculum de l’éducation islamique.

Le ministère affirme par ailleurs que le Maroc est l’un des rares pays à enseigner la philosophie « comme discipline obligatoire pour tous les élèves, pendant les trois années du cycle secondaire ».

Les relations entre la philosophie et le pouvoir marocain ont longtemps été difficiles.

Dans les années 1970-1980, sous le règne du roi Hassan II, le pouvoir avait un moment interdit l’enseignement de la philosophie et combattu la sociologie, encourageant les courants islamistes pour contrer les idéologies de gauche, dont certains opposants au régime étaient alors imprégnés.

« Souffle wahhabite »

Mais pour l’Amep –dont il est difficile de juger de l’exacte représentativité– et son président, Abdelkrim Safir, inspecteur principal de philosophie, « c’est tout le souffle de l’idéologie wahhabite qu’on retrouve dans les manuels d’éducation islamique » dans le secondaire, en référence à une version rigoriste de l’islam sunnite.

« Les explications du ministère ne suffisent pas, le problème est bien plus grand qu’une citation », juge M. Safir. « Au lieu d’enseigner aux élèves la production philosophique moderne, on vient la dévaloriser ».

« Avec la réforme, on s’attendait par exemple à ce que l’éducation islamique soit baptisée éducation religieuse. Mais il n’y a eu aucune évolution : les nouveaux manuels parlent encore de +mécréants+, on continue de dire aux élèves que l’islam est la meilleure religion », selon le président de l’Amep.

« Un souffle wahhabite? Qu’ils le démontrent! », rétorque Fouad Chafiki, directeur des programmes scolaires au sein du ministère de l’Éducation.

« Notre objectif est au contraire de prôner des principes de tolérance (…) de diversité », indique M. Chafiki.

Pour lui, le manuel mis en cause voulait susciter le « débat en classe » et « expose par ailleurs d’autres positions réconciliant la philosophie et la foi ».

« La philosophie occupe une place importante dans l’éducation marocaine, elle développe l’esprit critique et personne n’a voulu s’en prendre à cette discipline », assure encore M. Chafiki. « S’il doit y avoir débat, il devrait être pédagogique et non politique ».

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