NBA – Les équipes NBA marquent de plus en plus, au point où l’on en vient à se demander si la défense a toujours sa place dans la ligue la plus relevée du monde. Mais derrière cette explosion statistique se cache tout de même certaines nuances.
Il y a des chiffres qui parlent, qui frappent, et qui ne mentent pas. 149 points des Pelicans par-ci, 146 des Kings par-là ou encore 144 des Bucks ce week-end. Toutes les attaques flambent depuis le coup d’envoi de la saison donné il y a maintenant trois semaines. De ses cartons collectifs (ou inversement) découlent aussi des performances individuelles impressionnantes avec par exemple déjà quatre joueurs – Blake Griffin, Stephen Curry, Klay Thompson et Derrick Rose – auteurs de pointes à 50 pions ou plus. 48 pour Jamal Murray, qui a en vain tenté d’aller chercher les 50, lundi soir.
C’est le constat marquant de ce début d’exercice. Une inflation offensive brutale avec des équipes qui n’ont jamais été aussi prolifiques au cours du demi-siècle écoulé. De cette hystérie chiffrée découle tout de même une problématique : les joueurs NBA ont-ils tout simplement arrêté de défendre ?
En réalité, on peut d’abord se demander s’ils en ont toujours les moyens. Car l’évolution du jeu – et des règles – a rendu la tâche bien plus délicate que par le passé. Inversement, si les attaquants marquent beaucoup plus aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont bien plus de facilité pour aller chercher leurs points. Surtout plus d’opportunités, à vrai dire. Le rythme d’un match est beaucoup plus effréné qu’il y a quinze ou vingt ans par exemple. En 2001, Detroit était l’équipe la plus “rapide” de la NBA avec 96 possessions jouées en moyenne par match. Exactement le même total qu’Indiana, la formation la plus “lente” du championnat depuis le début de la saison en cours ! Plus d’une vingtaine de franchises disputent plus de 100 possessions sur une rencontre. Avec donc, logiquement, plus d’occasions pour inscrire des paniers.
Blake Griffin (Detroit Pistons)
Une révolution du jeu, plus rapide, plus offensif
Le jeu est nettement moins posé. Il est moins complexe (moins de systèmes offensifs) mais plus fluide. Plus instinctif. Les Suns de Steve Nash ont entamé une révolution en prenant des tirs en moins de sept secondes, quitte à dégainer en première intention. C’est petit à petit devenu la norme : si un joueur est libre, il balance, quel que soit le chiffre indiqué sur le chronomètre. Si possible derrière la ligne à trois points. Il y a là une première explication logique à la forte augmentation des points marqués en NBA : simplement parce que trois points valent mieux que deux.
Aidés par les analyses avancées (et le bon sens), les coaches ont de plus en plus proscrit les tirs à deux points lointains – l’art noble que maîtrisaient Michael Jordan ou Kobe Bryant – en demandant à leurs joueurs de faire un pas de plus en arrière (ou de moins en avant) pour tenter leur chance derrière l’arc. En 2003, Boston menait la NBA avec 26 tirs à trois points par rencontre. Seules deux équipes shootaient plus de 20 fois de cette distance à l’époque. Ce chiffre est passé à neuf en 2011. Aujourd’hui ? Les Cavaliers ferment la marche aux nombres de tentatives extérieures avec 22 par match. Les Bucks ou les Rockets en prennent… plus de 41.
Les basketteurs se sont métamorphosés. Tout le monde mitraille de plus en plus vite et de plus en plus loin. Même les plus grands, autrefois cantonnés à des rôles de démolisseurs sous les arceaux. Le jeu est donc de plus en plus espacé puisque les joueurs évoluent désormais bien au-delà de la ligne à trois points pour étirer les lignes. La mission défensive n’en est que beaucoup plus compliquée. Les stoppeurs ont beaucoup plus d’espace à couvrir en si peu de temps avec tellement d’informations à analyser en même temps à chaque pick-and-roll adverse.
P.J. Tucker explique : “Est-ce que mon meneur peut passer à travers l’écran ? Je ne veux pas que Chris Paul se retrouve sur Anthony Davis. Comment je peux faire pour éviter qu’il change [de vis-à-vis] sur l’écran ? Est-ce que les adversaires ont des shooteurs dans le coin ? C’est un énorme puzzle.” Les défenseurs ne peuvent pas juste se planter dans la raquette ou resserrer sur le porteur de balle. Parce que, encore une fois, tout le monde shoote. Même un pivot, laissé libre, peut mettre dedans de loin. Il est devenu impossible de limiter complètement les meilleures attaques NBA.
Joel Embiid (76ers)
Tout pour l’attaque et surtout tout pour le spectacle
Pire encore : les changements multiples des règlements ont même ôté aux défenseurs l’espoir de simplement contenir leurs adversaires. Parce que cette révolution du jeu découle finalement d’abord d’une volonté de réduire les contacts physiques. En 2001, les instances qui gouvernent la NBA ont ainsi décidé d’introduire la règle des trois secondes en défense (empêchant ainsi les mammouths les plus costauds de rester plantés dans la peinture) et de réduire de 10 à 8 secondes le temps pour remonter la balle dans la moitié de terrain adverse. Trois ans plus tard, d’autres règles sont mises en place afin d’éviter que les défenseurs touchent les mains, les bras ou le buste de leurs adversaires.
La ligue en a même remis une couche avant le coup d’envoi de cette saison en faisant passer des consignes aux arbitres. Les défenseurs ont désormais intérêt à mettre leurs mains bien en évidence, même quand ils courent après un joueur qui n’a pas le ballon, sous peine d’écoper d’une faute. “Ces règles éliminent les défenseurs physiques“, note Dante Cunningham, ailier des Spurs. “Je ne sais pas si le but est d’avoir scores de 211 à 185 mais ça a éliminé tout un aspect compétitif du jeu“, regrette David Griffin, ancien GM des Cavaliers.
La NBA se défendra évidemment d’un tel objectif. Mais il est clair que c’est tout pour l’attaque et surtout pour le spectacle. C’est du business. Ni plus, ni moins. Et les audiences des matches de basket US sont en hausse quand celles du foot (US toujours), bien plus brutal, sont en baisse. Les cartons font vendre. C’est plus esthétique, plus flamboyant, à défaut d’être forcément plus intéressant. Les superstars – comprendre ici les meilleurs produits marketing – sont aussi protégées dans toute cette histoire. Les attaquants peuvent se régaler et enchainer les performances de folie tout en faisant vendre des tonnes de chaussures et de maillots. Les records tombent les uns après les autres – compiler un triple-double est devenu bien plus facile par exemple – et c’est la célébration à tout-va. On est dans une logique purement commerciale dont les défenseurs sont les dommages collatéraux.
Giannis Antetokounmpo face à Charlotte
La défense n’a pas disparu, elle a évolué
Mais il y a tout de même des nuances à apporter. Oui les équipes marquent plus mais on a vu que c’était aussi parce qu’elles jouaient beaucoup plus de possessions. Une fois ramenées sur 100 possessions, les statistiques offensives ne sont pas si différentes d’il y a dix ans. Le Jazz formait l’attaque la plus efficace de la ligue avec 112 points sur 100 possessions en 2008. Les Rockets en marquaient seulement deux de plus l’an passé. Les Warriors pointent aujourd’hui à 120 mais 1) ils ont quatre All-Stars dont deux MVP 2) ces chiffres vont se réguler doucement au fur et à mesure de la saison.
Les joueurs vont perdre en adresse avec la fatigue qui s’accumule. L’accent est un peu plus mis sur l’attaque en saison régulière avec des rencontres au rythme complètement dingue et donc peut-être un peu moins d’efforts et d’énergie dépensée en défense. Tout en gardant en tête les changements de règles qui facilitent le flow offensif. Mais la différence d’efficacité n’est pas aussi parlante.
Avoir une bonne défense – et/ou de bons défenseurs – reste un facteur de succès en NBA. Treize des seize équipes qualifiées pour les playoffs squattaient le top 16 des meilleures défenses de la ligue l’an dernier. Le jeu est plus haché dans les moments les plus importants de l’année. Dans les grandes rencontres, il est primordial de savoir bloquer l’attaque adverse sur quelques possessions clés. Les défenseurs existent toujours dans la ligue. Ils ont simplement changé de profil, justement parce que le jeu a évolué. Il faut des armes spécifiques pour bien défendre. Des joueurs polyvalents et interchangeables capables de passer d’un vis-à-vis à l’autre. Autrement dit, un basketteur avec la puissance d’un pivot et la mobilité d’un arrière.
Parce que la meilleure manière de couvrir les espaces de plus en plus larges consiste à changer systématiquement d’opposant sur les picks-and-roll. Ce qu’on appelle “switcher”. Mais seul un intérieur suffisamment mobile sera à même de ralentir un meneur adverse. Et inversement. Cela donne des Draymond Green, l’expert en la matière, des Kawhi Leonard. Cela pousse aussi les pivots classiques à disparaître et c’est la raison pour laquelle les principes du “small ball” semblent destinés à être poussés de plus en plus loin. P.J. Tucker, ailier il y a quelques années, est maintenant aligné au poste cinq sur de plus en plus de séquences. Pour justement avoir cinq joueurs à même de switcher afin d’éviter de prendre l’eau en défense. Les pivots les plus lourds, garants de la protection du cercle dans les années 90, sont ciblés en défense. Ils sont devenus des points faibles – sauf s’ils disposent de cette fameuse vitesse latérale leur permettant de tenir tête aux extérieurs adverses.
Les besoins sont différents et les organisations mettent désormais l’accent sur des joueurs mobiles, athlétiques et à grande envergure pour combler le manque de taille. Et ce sont évidemment les meilleures équipes de la ligue qui disposent de tels joueurs. Preuve en est que la défense a toujours une vraie influence sur le succès en playoffs. La logique veut que ce modèle se répande de plus en plus dans les années à venir, ramenant ainsi un certain équilibre en NBA. Parce que si l’attaque fait gagner beaucoup de matches, c’est encore la défense qui fait gagner des titres.