Malgré son interdiction en 2008, cette pratique millénaire demeure enracinée dans la société moderne égyptienne.
À 17 ans, Mayar Mohammad Moussa a trouvé la mort, le mois dernier, lors d’une opération d’excision dans une clinique privée de la province de Suez en Égypte. La jeune adolescente est décédée des suites d’une hémorragie sévère.
Mayar n’est pas la première victime de « mutilations génitales féminines » en Égypte. Cette pratique millénaire est interdite par la loi depuis 2008, mais demeure enracinée dans la société moderne égyptienne. Selon l’enquête nationale démographique et de santé de 2014, l’excision touche 92 % des Égyptiennes mariées entre 15 et 49 ans, musulmanes comme chrétiennes. Ce chiffre accablant situe le pays parmi ceux ayant les plus forts taux de prévalence des mutilations sexuelles dans le monde. L’opération elle-même consiste à l’ablation totale ou partielle des organes génitaux externes de la femme. L’absence d’hygiène, le caractère rudimentaire des outils utilisés, l’usage répétitif des instruments contribuent à provoquer, entre autres, de graves hémorragies, des problèmes urinaires, des maladies sexuellement transmissibles, des complications lors de l’accouchement et parfois la mort. Les femmes souvent souffrent aussi de dégâts psychologiques très importants puisqu’elles peuvent être privées de toute possibilité de plaisir sexuel.
Tradition ou religion ?
Souvent pratiquée par les classes rurales et populaires en Haute-Égypte, l’excision est avant tout considérée comme une norme sociale. Elle constitue une étape nécessaire dans la bonne éducation d’une fille (généralement autour de l’âge de 10 ans) et une condition préalable au mariage qui vise à « purifier » les femmes de la tentation sexuelle. Pour certaines familles, l’excision est aussi un devoir religieux et plus particulièrement musulman. L’excision n’a pourtant pas de base religieuse et a précédé l’apparition des grandes religions monothéistes. La pratique se retrouve d’ailleurs aussi bien dans des populations musulmanes, chrétiennes ou animistes. « Contrairement à ce que les gens pensent, il n’y aucune référence dans l’islam sur l’excision, le prophète Mahomet n’a jamais excisé ses propres filles et aucun pays du Golfe n’impose l’excision », souligne Jacinthe Ibrahim, responsable des partenariats stratégiques chez Plan international en Égypte.
Dans un effort de démentir les préjugés populaires, al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam en Égypte, a condamné la pratique en 2006. Des campagnes de sensibilisation, en grande partie initiées par le Conseil national pour la protection infantile et maternelle, continuèrent avec succès jusqu’en 2012, lorsque les Frères musulmans accédèrent au pouvoir. Sous la présidence de l’islamiste Mohammad Morsi, l’excision a été de nouveau associée à l’islam et même encouragée en tant que devoir religieux. Selon plusieurs témoignages, une clinique mobile du Parti liberté et justice, la branche politique des Frères musulmans, aurait même sillonné la ville de Minya pour offrir des excisions « médicalisées ».
Pratiques clandestines
Si la situation s’est relativement détendue après la chute des Frères musulmans, les excisions médicalisées, elles, n’ont cessé de croître. Considérée par certains comme la « solution intermédiaire », la médicalisation de l’excision ne fait qu’encourager la poursuite de la pratique sous prétexte qu’elle assure des conditions plus hygiéniques. Celle-ci est souvent due à « l’ignorance du personnel médical, puisque les universitaires étudient rarement de manière approfondie la question des mutilations féminines génitales ». « Les médecins sentent aussi qu’ils ont une sorte de « devoir culturel » ou savent que s’ils refusent d’exciser une fille, celle-ci finira par être opérée par une exciseuse traditionnelle qui lui fera beaucoup plus mal », affirme Salma Abou Hussein, chercheuse au bureau national de l’organisation Population Council. Aujourd’hui, 75 % des procédures sont réalisées par des médecins, ce qui représente le taux le plus élevé parmi tous les pays où l’excision continue d’être pratiquée.
Le déplacement des opérations vers des cliniques privées n’a d’ailleurs pas facilité la poursuite en justice des personnes responsables. « Quand les opérations ont lieu dans des cliniques privées, les seules personnes présentes sont le docteur, l’infirmière et peut-être les parents, donc personne ne dénoncera l’acte », explique Salma Abou Hussein, interrogée par L’Orient-Le Jour. « Et même si l’opération ne réussit pas, les parents refusent en général de dénoncer l’incident pour échapper aux sanctions », ajoute-t-elle. Exemple flagrant d’impunité, le cas récent d’un médecin égyptien qui en janvier 2015 a été condamné à deux ans et trois mois de prison pour avoir pratiqué une excision mortelle sur une adolescente, le premier verdict du genre depuis l’interdiction de 2008. Pourtant, en novembre 2015, des ONG l’ont accusé d’exercer en toute liberté dans le nord du pays. En fin de compte, le médecin a écopé de trois mois de prison ferme.
Des mentalités qui changent
L’impunité dont jouissent les médecins qui mènent les opérations d’excision montre que les mutilations génitales féminines en Égypte touchent à des mœurs trop ancrées dans la culture pour qu’elles puissent être réglées par une simple loi. « On a besoin d’une approche multidimensionnelle qui consiste, entre autres, à renforcer les systèmes de protection de l’enfance, réduire la discrimination fondée sur le sexe, promouvoir la santé sexuelle et reproductrice et sensibiliser de plus en plus de personnes à l’abandon de l’excision », souligne Jacinthe Ibrahim lors de son entretien.
Cette nécessité semble être de plus en plus reconnue par le gouvernement actuel. Ainsi, le ministère des Affaires islamiques (Awkaf) prévoit la formation d’au moins 850 imams et prêtres sur des questions de violence contre les enfants. Par ailleurs, un plan quinquennal a été lancé, en 2015, par le Conseil national de la population en coopération avec des organismes nationaux et internationaux, l’objectif étant de réduire le taux d’excision des filles âgées de 10 à 18 ans de 15 %. Parallèlement aux efforts étatiques, de nombreuses ONG travaillent avec les communautés en entamant des discussions ouvertes avec des femmes sur l’excision, et en plaçant les chefs de village et les leaders religieux en tant que relais auprès de la population.
Bien qu’il soit encore tôt pour évaluer les résultats de ces efforts, il existe certes des signaux encourageants.
Un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) estime que parmi les mères qui ont été excisées, seules 35 % d’entre elles veulent l’imposer à leur fille. Par ailleurs, selon Bruno Maes, représentant de l’Unicef, depuis 2014 il y a eu un recul de 15,5 % de la pratique parmi les filles âgées entre 15 et 17 ans. Toutefois, changer les mentalités est un travail de longue haleine et ne peut se faire qu’à coups de discussions, pas à coups de procès.
Source:lorientlejour