Biens culturels: le rapport Savoy-Sarr évoque des restitutions définitives

RFI a eu connaissance du rapport qui doit être remis vendredi sur la restitution des biens culturels africains, rédigé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Il signe peut-être le début d’une petite révolution dans le monde de la culture. L’universitaire et l’historienne, missionnés par Emmanuel Macron pour réfléchir à cette épineuse question, mettent en avant la nécessité d’une restitution pérenne des œuvres. RFI a pu consulter ce document de plus de 200 pages en avant-première et fait un point complet sur ce qu’il faut en retenir.

« Une des questions à laquelle nous avons immédiatement dû faire face dès le début de la mission », écrivent Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, « est le sens que nous devrions donner au terme restitution ». Les deux auteurs expliquent avoir été missionnés pour réfléchir à des « restitutions définitives » et « temporaires ». Mais pour eux, la notion de « restitution temporaire » est ambiguë. Cette formulation, disent-ils, ouvre la porte à des débats d’interprétation. Ce rapport « explore et défend le chemin qui mène aux restitutions permanentes ».

D’après Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, 90 000 objets provenant d’Afrique subsaharienne se trouvent actuellement dans les collections publiques françaises, dont 70 000 au musée du Quai Branly à Paris. Les 20 000 autres sont réparties dans d’autres musées ou villes portuaires françaises (Cherbourg, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Nantes, Marseille).

Les objets qui pourraient être restitués

Evidemment, il est encore trop tôt pour déterminer combien d’oeuvres seront rendues à leurs pays d’origine. Néanmoins, pour les auteurs du rapport, ces restitutions pourraient concerner quatre types d’objets. Les objets saisis dans le cadre d’agressions militaires, à condition que leur acquisition soit antérieure à l’adoption en 1899 des premières conventions de la Haye codifiant les lois de la guerre, les objets réquisitionnés durant la période coloniale (1885-1960) par des militaires, des administrateurs ou leurs descendants, les objets pris ou achetés de force lors des grandes expéditions scientifiques françaises en Afrique au 20e siècle et les objets acquis illégalement après les indépendances, notamment par le biais de trafics.

La majorité des objets africains se trouvant actuellement dans les collections publiques françaises ont été acquis durant la période coloniale. Le rapport mentionne aussi des objets provenant de pays n’ayant pas été colonisés par la France : le Ghana, le Nigeria ou encore l’Ethiopie. « Nous sommes d’avis que ce patrimoine culturel recoive la même attention et bénéficie de la même importance dans le processus de restitution que les objets provenant des anciennes colonies françaises », expliquent Bénédicte Savoy et Felwine Sarr.

Les pays qui pourraient être concernés

Le binôme cite six pays susceptibles, à ses yeux, de bénéficier de ces restitutions. Le premier est le Bénin qui réclame de longue date le retour des trésors d’Abomey, des objets royaux pris par l’armée française à la fin du 19eme siècle, lors de la conquête du Dahomey. Exemple : les trônes des rois Glèlè et Ghezo, actuellement exposés au musée du Quai Branly.

Le rapport mentionne ensuite le Sénégal, dépossédé du sabre d’El Hadj Omar ; le Nigeria qui réclame depuis plusieurs décennies le retour d’objets saisis par les Britanniques à la fin du 19e siècle, se trouvant désormais en France ; l’Ethiopie, privée de plusieurs de ses peintures sacrées ; le Mali et ses masques sacrés ; ainsi que le Cameroun dont un trône se trouve actuellement au Quai Branly.

Il s’agit donc d’œuvres majoritairement prises pendant la colonisation. Mais le rapport souligne aussi que plusieurs œuvres provenant de pays non colonisés par la France se trouvent actuellement dans les collections publiques (Ghana, Nigeria, Ethiopie). Les deux experts suggèrent donc d’élargir le processus de restitution.

Vers une modification de la loi française ?

« Nous sommes d’avis que ce patrimoine culturel reçoive la même attention et bénéficie de la même importance dans le processus de restitution que les objets provenant des anciennes colonies françaises », poursuivent Felwine Sarr et Bénédicte Savoy.

Selon les deux experts, il faudrait ainsi privilégier les restitutions permanentes plutôt que temporaires. Pour mener à bien ces restitutions, ils proposent un changement radical : modifier le code de patrimoine français. Actuellement, loi française ne permet pas à Paris de restituer à un Etat qui en fait la demande une œuvre d’art prise pendant la colonisation. Il s’agirait donc d’inverser cette tendance. Reste à savoir à présent si Emmanuel Macron décidera de suivre ou non les recommandations des deux experts.

Le chef de l’Etat français avait annoncé, le 28 novembre 2017, à Ouagadougou la mise en œuvre dans un délai de 5 ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l’anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne. Selon les experts, 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent.

 

■ Les 70 000 trésors du Quai Branly

C’est le musée du quai Branly qui rassemble, en France, le plus grand nombre d’oeuvres d’art africaines : 70 000 pièces. Il faut dire que cet établissement cher à Jacques Chirac s’est créé en 2006 à Paris en regroupant les collections du Musée de l’homme, du Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, et du département des Arts Premiers du Louvre.

Le Tchad arrive en tête des pays d’origine de ces oeuvres, en quantité, avec plus de 9 000 pièces. Viennent ensuite le Cameroun, Madagascar, le Mali puis la Côte d’Ivoire, le Bénin, l’Ethiopie, le Gabon ou le Congo.

Au musée, le parcours Afrique présente au public en permanence près de 1000 pièces, réparties par région. Parmi elles, bon nombre de chefs d’oeuvre… De l’art dogon du Mali aux statues royales mi-homme mi-lion du Bénin, en passant par les peintures chrétiennes d’Ethiopie, les objets magiques du pays Kongo, ou encore les statues kota ou fang du Gabon qui ont tant inspiré les artistes européens du début du 20e siècle.

D’après le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, les deux tiers des oeuvres sont entrées dans les collections françaises entre 1885 et 1960, sous la colonisation. Certaines sont même le fruit de pillages par les troupes coloniales à la fin du 19e siècle, comme le trésor de Ségou, ou celui du palais du roi Béhanzin à Abomey au Bénin.

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