À peine plus de trois mois après l’élection de son rival Patrice Talon, l’ex-président affiche une discrétion de façade en attendant de jouer à nouveau un rôle politique de premier plan.
Qu’en est-il quand tout s’arrête ? Quand les fastes du pouvoir s’estompent, que les amis d’hier s’éloignent et que l’on cesse d’être au centre de toutes les attentions ? À peine plus de trois mois après cette fin de deuxième et dernier mandat qui vit son pire ennemi, Patrice Talon, battre largement Lionel Zinsou, le candidat qu’il a imposé à sa famille politique, l’ancien président béninois, Thomas Boni Yayi, pourrait en parler durant des heures.
Pour cet hyperactif de 64 ans, la retraite a un goût amer. Lui qui se voyait chantre du développement durable aux Nations unies, ce qu’on lui avait d’ailleurs promis, s’est finalement vu confier, par l’Union africaine, la mission d’observation des élections en Guinée équatoriale, en avril. Même si la Commission économique des États d’Afrique de l’Ouest pourrait faire appel à ses services pour superviser le scrutin ghanéen prévu en novembre, c’est un bien maigre lot de consolation.
« Globe trotteur » ou diplomate ?
Depuis le 6 avril, date officielle de la fin de son mandat, celui qui confiait en février 2013 dans les colonnes de Jeune Afrique vouloir « prendre sa Bible pour parcourir le monde et prêcher l’Évangile » voyage. Beaucoup. Lors du seul mois de juillet, Yayi le globe-trotter s’est ainsi rendu en Corée du Sud à l’invitation d’un célèbre pasteur évangélique.
Après un crochet par Paris, il a pris la direction du Liberia pour plancher avec plusieurs dirigeants ouest-africains sur les conséquences du virus Ebola. Puis, à peine rentré d’Accra, où il était reçu par le président ghanéen John Dramani Mahama, il est aussitôt reparti à N’Djaména pour assister à l’investiture du président tchadien, Idriss Déby Itno (voir photo). Parmi la quinzaine de chefs d’État, dont son successeur Patrice Talon, Boni Yayi s’est presque senti quelques mois en arrière.
À Cotonou, les pérégrinations de l’ancien président sont largement commentées. Certains s’amusent de le voir seul dans un aéroport parisien, d’autres se demandent les raisons de son entretien avec la première dame tchadienne, Hinda Déby Itno. On est souvent moqueur, parfois nostalgique. Après avoir envisagé de quitter le Bénin pour s’installer au Togo (où il possède une maison) ou au Congo-Brazzaville (où il a séjourné plusieurs fois depuis la fin de son mandat), l’ex-président a finalement décidé de rester à Cotonou. Plus précisément dans le quartier de Cadjehoun où se trouve sa maison familiale.
Retour au calme peu apprécié
Sur la route de Lomé, l’imposant véhicule de la garde républicaine et le blindé qui bloquaient autrefois l’accès à sa résidence lui ont été retirés, mais l’État a mis à sa disposition cinq gardes du corps et deux 4 x 4. Très croyant, il prie quotidiennement, marche chaque matin plusieurs heures sur son tapis de course, lit énormément – principalement la presse et des documents de gouvernance économique –, et a gardé ses habitudes de couche-tard.
Entouré de sa femme, Chantal, sa fille, Rachelle, son neveu Elvis, et de ses intendants Clément et Ibrahim, il reçoit parents, amis et quelques cadres des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), l’alliance qu’il a créée et dont il était le leader. Parmi eux, l’ancien secrétaire général du gouvernement Alassane Tigri ou son proche conseiller Amos Elegbe.
Mais le président pasteur commence à se sentir seul. Dans la sous-région, où il a toujours été considéré comme une sorte d’ovni, Yayi n’a que peu d’amis. Et au Bénin, les soutiens se font rares. L’ancien chef d’État aurait récemment confié regretter que peu de personnalités de premier plan lui rendent visite. « Il aimerait rencontrer des députés, qui ne cessent hélas de remettre au lendemain », explique l’un de ses anciens ministres.
Boni Yayi semble déterminé à jouer un rôle politique dans son pays
Défiances et quête de soutiens
De fait, nombreux sont les ténors des FCBE qui lui gardent toujours rancune de leur avoir préféré Zinsou comme candidat à la présidentielle même s’ils lui doivent beaucoup. Le communiqué publié par les députés du parti à l’issue d’une réunion organisée le 20 juillet à Grand-Popo (dans le sud-ouest du Bénin) est assez révélateur.
Alors que Yayi souhaitait que ceux-ci se prononcent fermement contre la politique des nouvelles autorités, ils ont déclaré que « les résultats de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 ont clairement montré la volonté du peuple béninois de faire une nouvelle expérience politique (…) avec la coalition de la rupture portée par le président Patrice Talon » et exprimé leur « disponibilité à accompagner le gouvernement dans l’exécution de son programme ».
Néanmoins, Boni Yayi semble déterminé à jouer un rôle politique dans son pays. L’ancien de la Banque ouest-africaine de développement (l’institution financière commune aux huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine) a mis en place une équipe de veille chargée de le tenir informé et de maintenir une présence sur les réseaux sociaux. Il multiplie ses déplacements dans le Nord du pays, à Tchaourou, sa ville natale, et à Parakou, sans pour le moment s’afficher publiquement.
« Trop jeune pour quitter la politique »
« Ses équipes mobilisent la population pour lui. Il ne veut pas qu’on l’oublie et souhaite demeurer le leader du Nord. Pour le moment, il s’implique indirectement. Mais il n’est pas exclu qu’à la faveur d’une impopularité grandissante du régime il se fasse remarquer. Il espère profiter des erreurs de Talon pour se refaire une santé », explique une source qui a récemment échangé avec lui.
« Il souffle le chaud et le froid, précise un proche. Juste après la présidentielle, il disait être trop jeune pour quitter la politique. Puis, après la rencontre d’Abidjan pour régler le différend avec Talon – organisée le 18 avril par les présidents togolais, Faure Gnassingbé, et ivoirien, Alassane Ouattara –, il semblait apaisé, prêt à passer à autre chose. » Mais la situation s’est à nouveau dégradée. « À Abidjan, sa principale doléance était qu’on arrête de décrédibiliser son bilan. Alors, quand les attaques ont repris un mois après, il a décidé de rentrer à Cotonou et de convoquer un conseil de guerre », poursuit ce proche.
Un bilan controversé
Le bilan de ses dix années au pouvoir est vilipendé de toutes parts. D’abord par les nouvelles autorités, qui ont lancé une longue série d’audits, mais pas seulement. En mission à Cotonou du 6 au 18 juin, le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi constaté que le déficit budgétaire s’était creusé à 8 % du PIB en 2015, et a par ailleurs critiqué la signature de contrats « pour des projets hors budget à hauteur d’environ 24 % du PIB ».
Et l’organisme d’ajouter que « les procédures de passation des marchés standard ont été contournées, ce qui soulève des préoccupations graves quant à leur gouvernance et à leur qualité ». L’un de ses fils, Chabi, a même été cité dans « l’affaire PPEA II » (Programme pluriannuel d’appui au secteur de l’eau et de l’assainissement, deuxième phase), un scandale autour d’un projet dans lequel auraient été détournés plusieurs milliards de francs CFA provenant de fonds néerlandais initialement destinés au programme d’assainissement d’eau.
« Bien sûr nous avons commis des erreurs. Mais ce climat de règlement de comptes ne peut pas durer. On sort des dossiers judiciaires sans interroger les concernés, on organise des audits pour un oui ou pour un non. Le régime veut expliquer ses difficultés par le bilan du président Yayi, mais les Béninois ne sont pas dupes », fulmine son dernier directeur de cabinet Eugene Azatassou.
De son côté, l’entourage du président Talon semble divisé sur le comportement à adopter. Il y a les partisans de la manière forte, qui estiment que les dérives de l’ancien régime ne peuvent pas rester impunies – comme le ministre de la Justice, Joseph Djogbenou –, et ceux qui ont des comptes à régler – c’est le cas du ministre de la Défense, Candide Azannaï. À l’opposé, « certains proches de Talon ont tellement travaillé avec Yayi qu’ils n’ont aucun intérêt à le fustiger », poursuit un observateur.
D’autres, enfin, estiment que, vu la situation économique qui se dégrade et les premiers déçus qui se font entendre, le régime a plus à perdre qu’à gagner. Ils savent l’opinion particulièrement versatile et auront sans doute remarqué que le 1er août, lors des festivités du 56e anniversaire de l’indépendance du Bénin, Boni Yayi a été applaudi.
Source:jeuneafrique