11 novembre 1918 à 11 heures : l’armistice entre en vigueur. Au front ou à l’arrière, les réactions sont différentes. Alors que certains fêtent la victoire, la plupart sont surtout soulagés, tandis que beaucoup pleurent les disparus.
« Le cauchemar de quatre années et demie est terminé. C’est l’armistice. Chose à peine croyable, cette fin de tuerie passa presque inaperçue parmi nous et ne donna lieu à aucune manifestation. On était si habitué à faire la guerre que cela semblait ne devoir jamais finir ». En ce 11 novembre 1918, Xavier Chaïla, un cavalier du 8e cuirassiers, ne ressent aucune joie. Alors que les tirs viennent de cesser, ce poilu n’éprouve que du soulagement.
« Le cauchemar », c’est l’expression qui revient le plus souvent dans les lettres et témoignages regroupés dans le dernier livre de l’historien Rémy Cazals, professeur émérite à l’université Jean-Jaurès de Toulouse. « Ce mot symbolise l’horreur, mais aussi l’idée que pour les contemporains, cette période 14-18 a été un peu une parenthèse dans une vie normale du temps de paix. Ils l’ont perçue comme un mauvais rêve », explique l’auteur de « La fin du cauchemar » (Editions Privat).
À 10 HEURES DU MATIN, DES SOLDATS DEVANT UNE AFFICHE ANNONÇANT L’ARMISTICE, À NANCY
« Un calme vraiment impressionnant »
De ce 11 novembre 1918 nous viennent des images de liesse, d’embrassades, de rondes endiablées, mais pourtant sur le front c’est le silence qui règne, comme le montrent ces témoignages issus de correspondances ou de carnets personnels. « Vous me parlez d’un arrosage phénoménal de l’armistice : eh bien, détrompez-vous ! Car si à l’intérieur il a été accueilli par des démonstrations de joies délirantes, chez nous (et c’est, je crois, dans toute l’armée) la nouvelle a été accueillie avec un calme vraiment impressionnant », raconte ainsi Elie Barthaburu, un sous-lieutenant au 17e bataillon de chasseurs alpins. « Et l’on ne rit pas ? On ne chante pas ? On ne s’embrasse pas ? On ne saute pas de joie ? On n’explose pas ? C’est la Paix ! La Paix, bon Dieu ! Et nous restons inertes ? Malheur ! Serions-nous tués en dedans ? », s’interroge pour sa part Camille Rouvière du 411e régiment d’infanterie
Beaucoup de ces hommes n’arrivent pas à croire que les canons se sont enfin tus. Dans les tranchées, c’est l’incrédulité qui règne. « Ce qu’ils éprouvèrent alors, ce fut moins de la joie qu’une immense surprise ? Possible ? Était-ce possible ? Ils demeuraient hébétés, assommés, devant un événement trop solennel et quasi impossible à concevoir », décrit le capitaine Gérard Chaumette du 115e régiment d’infanterie. Après quatre ans de combats, il est difficile de s’imaginer que la guerre a enfin pris fin. « Ils étaient partis en août 1914 pour une guerre très courte. Et puis 1915, 1916 et 1917 sont passés… Beaucoup de combattants utilisaient l’expression : ‘Nous allons vivre une guerre de 100 ans’. Ils avaient l’impression que cela n’allait jamais se terminer », analyse Rémy Cazals.
« Nous n’éprouvons aucune joie »
Comment exploser de joie alors que tant d’amis sont tombés au champ d’honneur ? L’heure est au recueillement, selon Moïse Hébrard du 70e régiment d’ infanterie : « Les clairons sonnent ; c’est bien l’armistice. Notre réaction : nous pensons à nos camarades morts, à leurs familles, à tous ceux qui sont atteints par ces deuils, et nous n’éprouvons aucune joie. Nous avons toujours à l’esprit les camarades connus ou inconnus qui ne reviendront plus à leur pays ».
À l’arrière, les émotions sont plus contrastées. Dans la capitale, les Français se rassemblent dès l’annonce de l’armistice pour célébrer cette victoire. « L’après-midi, j’étais à Paris. L’enthousiasme y était délirant, et je suis persuadé que jamais on n’a vu, et jamais on ne reverra pareille manifestation. Les grands boulevards grouillaient de monde, les maisons étaient pavoisées de la cave aux mansardes », raconte l’adjudant-chef Pierre Bellet. En province, place également à la fête. À Carcassonne, une adolescente, Marie Saint-Mans, se laisse griser par l’allégresse générale : « Tout le monde s’était décoré. Connus et inconnus se donnaient le bras, chantant des chants patriotiques, et pouvaient ainsi faire le tour de ville comme une immense ronde ».
AVENUE DE L’OPÉRA. CORTÈGE DE MARINS AMÉRICAINS ET DE PARISIENS FÊTANT L’ARMISTICE
Mais chez les civils, beaucoup ont aussi une pensée pour les morts. Le maire de Mende, Emile Joly, qui a perdu son fils Paul, ne cache pas son infinie tristesse : « La journée d’aujourd’hui augmente nos regrets et exaspère nos désespoirs. Cette victoire, que la France meurtrie fête en ce moment, est l’œuvre de nos chers disparus, mais tous les lauriers, dont on couvre leurs tombes, sont impuissants à tempérer l’amertume de nos larmes ».
Rémy Cazals donne aussi la parole aux grands oubliés de ce 11 novembre : les prisonniers de guerre en Allemagne ou encore ceux qui ont continué à combattre après cette date. Sur le front d’Orient, des poilus ont en effet poursuivi pendant plusieurs mois la guerre au sud de la Russie contre les Bolchéviques. Ils se sentent exclus de cette grande fête. « J’ai pensé toute la journée qu’en France c’était la fête et qu’on devait bien s’amuser. Pour nous, notre amusement consistait à voir défiler le paysage et donner à manger à nos pauvres bêtes », se lamente le 14 juillet 1919 Etienne Reverdy, du 3e Spahis, qui a été envoyé jusqu’à Odessa.
En donnant la parole aux Français à travers ces témoignages, Rémy Cazals nous montre intimement ce qu’ils ont ressenti à l’annonce de l’armistice. Vécu différemment par les soldats ou les familles, avec peine ou bonheur, le 11 novembre est en tout cas une date marquante pour tous. « Souvenirs bien lointains, puisque j’avais juste 14 ans ! Mais les moments de cette journée ne s’effaceront jamais de ma mémoire », résume Marie Saint-Amans.