Compagnon de route et de cellule de l’îcône Nelson Mandela, Ahmed Kathrada, décédé mardi à l’âge de 87 ans, est resté jusqu’à son dernier souffle un héros très discret de la lutte anti-apartheid.
Contrairement à nombre d’autres figures de la « libération » sud-africaine, ce fils d’immigrés indiens a toujours refusé la lumière et les honneurs d’un poste prestigieux.
Incarcéré pendant vingt-six ans, l’ex-matricule 46864 du pénitencier de Robben Island n’a exercé qu’un mandat de député et fut pendant cinq ans le proche conseiller du président Mandela lors de son unique mandat à la tête du pays.
A la retraite politique de « Madiba » en 1999, il est retourné à l’anonymat. D’abord à la tête du musée de Robben Island, puis de sa fondation pour la promotion des droits humains.
Même s’il évitait les estrades, Ahmed Kathrada faisait partie du premier cercle des dirigeants historiques du Congrès national africain (ANC), décrit par ses pairs comme un « lieutenant de confiance », un « héros discret » ou une « icône modeste ».
Ses très proches, eux, ne le connaissaient que sous le diminutif de « Kathy » ou le surnom d’ »oncle Kathy ».
Dans son autobiographie « Un long chemin vers la liberté », Nelson Mandela évoque sa première rencontre sur Robben Island avec ce jeune membre « impétueux » du Congrès indien du Transvaal.
« Kathy était un type élancé pas habitué au dur labeur physique », écrit-il en référence aux travaux forcés imposés aux détenus. « Madiba » se souvient que les gardiens raillaient ses difficultés à soulever une brouette pleine de pierres.
Mais sitôt de retour dans sa cellule, « Kathy » redevenait l’enseignant et le fin politique qui s’est illustré à la fin des années 1980 lors des négociations entre l’ANC et le régime d’apartheid.
Ahmed Kathrada est né le 21 août 1929 à Schweizer-Reneke, une petite ville de ce qui était alors la province du Transvaal occidental, dans une famille d’immigrés indiens.
– ‘Un chef’ –
Dès l’âge de 17 ans, il quitte l’école pour travailler à plein temps pour le Conseil de la résistance passive du Transvaal et entrer en résistance contre les lois sur l’habitat séparé, inspiré par le combat en Afrique du Sud du Mahatma Gandhi.
« Même jeune homme, il s’imposait comme un chef », a dit de lui l’ancien juge de la Cour constitutionnelle Albie Sachs.
En 1963, il est arrêté avec Nelson Mandela et une bonne partie de l’état-major de l’ANC dans leur QG clandestin de Johannesburg et inculpé de sabotage. L’année suivante, Ahmed Kathrada est condamné à la réclusion à perpétuité et incarcéré, avec ses frères d’armes, à Robben Island.
« Le message était clair, c’était +vous allez mourir+ », avait-il confié l’an dernier lors d’une de ses dernières prises de parole publiques. « Les motifs de notre arrestation signifiaient la peine de mort ».
Tout au long de sa vie, il est resté très pudique sur les conditions de sa détention. « La liberté n’est pas tombée du ciel, nous avons combattu pour cette liberté, fait des sacrifices », dira-t-il simplement.
Depuis la mort de Nelson Mandela en 2013, « Oncle Kathy » était l’un des trois derniers survivants du procès dit de « Rivonia ».
Récemment, il était sorti du silence et de sa retraite pour critiquer la marche prise par l’ANC sous la direction de l’actuel président Jacob Zuma.
En 2016, il avait pris la plume pour lui demander de démissionner après sa condamnation dans l’affaire de la rénovation de sa résidence privée par des fonds publics. Il n’avait pas manqué non plus de dénoncer la corruption qui gangrène son parti.
Jamais marié, sans enfants, il a partagé les dernières années de sa vie avec une pasionaria de la lutte anti-apartheid, Barbara Hogan.
Même s’il avait été libéré sans condition en 1989, Ahmed Kathrada avait formellement demandé que sa condamnation pour sabotage en 1963 soit effacée. Par principe. La Commission vérité et réconciliation (TRC) lui a accordé l’amnistie en 1999.
IZF