Tortures suivies de mort de 2000 à 2017 : Le Sénégal, terre de bavures

L’affaire Yamadou Sagna boucle (pour l’instant) la longue liste des bavures suivies de mort d’homme. Ce jeune orpailleur tombé sous les balles d’éléments de la Douane a été inhumé, hier, au cimetière musulman de Dalaba. Seulement, sa mort survient dans un contexte particulier marqué par la recrudescence de ces «morts sans auteurs» enregistrés au Sénégal, de 2000 à nos jours.

La plupart sont restés impunis, jusqu’à ce jour. Le plus souvent, ce sont des bavures notées dans les lieux de détention primaire (commissariats de police, les brigades de gendarmerie) et même au niveau des prisons. Les deux régimes qui se sont succédé ont aussi connu plusieurs manifestations publiques émaillées d’incidents regrettables, comme dans les affaires Malick Bâ, Abdoulaye Wade Yinghou, Bana Ndiaye, Mamadou Sy, Bassirou Faye, entre autres.

25 personnes tuées sous le régime libéral

Dans son rapport annuel 2012 sur la situation des droits humains, au Sénégal, la section locale d’Amnesty International a révélé que durant le règne du régime sortant, 25 personnes ont été victimes d’usage excessif de la force. «Au moins 25 personnes sont décédées du fait de la torture, du mauvais traitement ou d’un usage excessif de la force par les forces de sécurité pendant les douze ans qu’a duré le régime du Président Abdoulaye Wade, dont sept pendant la période électorale (janvier à mars 2012. Très peu de ces cas, malgré leur gravité, ont fait l’objet de poursuites judiciaires ayant abouti à des condamnations», a indiqué Seydi Gassama, directeur d’Amnesty Sénégal. Qui a ajouté qu’aucune peine de prison ferme n’a été prononcée contre des membres des forces de sécurité, sauf pour quelques-uns. Cela,  «parce que des ordres de poursuite n’ont pas été délivrés par le ministère de tutelle». En effet, dans la plupart des cas, comme le meurtre de Malick Bâ de Sangalkam, l’attente d’un ordre de poursuite explique la lenteur dans l’ouverture d’une information judiciaire.   

Le 31 janvier 2001 survenait la mort de l’étudiant Balla Gaye, au sein du campus universitaire, à la suite d’une manifestation d’étudiants. Une affaire toujours restée non élucidée, eu égard au fait que les présumés tortionnaires ont été mis hors de cause, à la suite de leur procès. Ensuite, il y a eu le cas d’Alioune Badara Mbengue qui a été torturé à mort, le 12 juillet 2002, par six gardes de la Maison d’arrêt de Rebeuss. Puis, la mort de Mamadou Sina Sidibé, le 23 décembre 2008. L’année 2007 s’est distinguée par le décès de Dominique Lopy au commissariat urbain de Kolda (le 13 avril) et celui d’Alioune Badara Diop à Ndorong, dans la région de Kaolack, le 13 décembre 2007. L’année suivante a été caractérisée par les émeutes de Kédougou (23 décembre 2008) ayant occasionné deux morts, tombés sous les balles des forces de sécurité. Le soulèvement des jeunes de cette localité se justifiait par une révolte pour dénoncer leurs difficiles conditions de vie dans une région très pauvre, malgré les innombrables richesses naturelles dont elle dispose. Mais les 19 personnes condamnées à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans de prison pour «complot contre la sûreté de l’Etat» finiront par bénéficier d’une grâce présidentielle.
Le pêcheur Sangoné Mbaye a aussi été tué par balle, le 12 août 2009 à Joal, par le gendarme Gora Diop. Mais ce dernier a fini par être traduit devant la Cour d’assises militaire. C’est durant cette même année 2009 que l’on a assisté au décès d’Aboubacry Dia dans les locaux du commissariat de Matam. Les Sénégalais garderont toujours en mémoire que Mamadou Bakhoum est mort dans les locaux de la gendarmerie de Karang, suite à des bavures à la suite desquelles il succombera à ses blessures. Que dire du cas du mareyeur de Soumbédioune, Moustapha Sarr ? Ce dernier a été abattu le 5 juillet 2010 par un garde-côte de l’île des Madeleines. Alors qu’il devait être traduit devant le Tribunal militaire, l’adjudant Yakhya Sonko a été libéré après un bref séjour carcéral.

Toujours dans ce sillage, Abdoulaye Wade Yinghou est mort lors des manifestations des populations de Thiaroye qui protestaient contre les délestages fréquents et intempestifs. Sans oublier l’affaire Malick Bâ dont la mort occasionnée par balle par les gendarmes est survenue lors des protestations de la population de Sangalkam contre un projet de découpage administratif. Dans le lot des personnes victimes de tortures sous le régime libéral, les personnes de sexe féminin ne sont pas épargnées. Aïda Camara est morte dans les locaux du commissariat central de Dakar. Et la liste n’est pas exhaustive.

12 cas sous le régime de Macky

La mort tragique, le 28 novembre 2012, du sourd-muet Kékouta Sidibé, à la brigade de Kédougou, a été le premier cas de bavure suivie de mort d’homme enregistré sous l’actuel régime. Il a été passé à tabac, ligoté puis balancé dans le véhicule des gendarmes. Sur la route qui mène vers la brigade, il rendra l’âme avant même d’être acheminé au district sanitaire. C’est ce qui a valu à l’ex-commandant de la brigade de Kédougou, Mdl-chef Ahmed Bassine Diop, 2 ans ferme. Ses subalternes (Cheikh Tidiane Diallo, Abdoulaye Diallo, Ibrahima Diouf et Sadio Traoré), jugés par le Tribunal militaire, ont aussi connu le même sort, mais en écopant 2 ans dont un an ferme. Aujourd’hui en liberté pour avoir purgé la totalité de leur peine, ces derniers étaient en intervention chez le supposé trafiquant de drogue, Kékouta Sidibé.

Même si l’auteur du coup mortel, le policier Sidy Mouhamed Boughaleb, est condamné à 20 ans de travaux forcés, le cas Bassirou Faye a été retentissant pour l’actuel régime. Il s’agit de cet étudiant tué par balle réelle le 14 août 2014, lors d’affrontements entre policiers et étudiants qui réclamaient leurs bourses et leur admission en master. S’en est suivi le jeune Cheikh Maleyni Sané, décédé le 30 novembre 2013, à la prison de Rebeuss, suite à des sévices corporels qui ont valu des arrestations aussi bien dans les rangs des gardes pénitentiaires que ceux des voisins de chambre de la victime. Ibrahima Samb, chauffeur âgé de 18 ans, est mort des bavures policières dans la nuit du 18 au 19 octobre 2013, à Mbacké. S’y ajoute le cas du pompier Chérif Ndao (36 ans), mort le 6 décembre 2013. Elève-pompier en formation, il a retrouvé la mort à la suite de blessures reçues lors de sa formation militaire à Thiès. Les prévenus sont perdus par le second rapport d’autopsie établi par l’hôpital Principal qui fait état de «contusions musculaires diffuses par coups et blessures compliqués, insuffisance rénale associée à un paludisme grave avec défaillance neurologique, rénale et hématologique».

Au banc des accusés, on retrouve les quatre personnes toujours en détention, à savoir : Cheikh Lat Ndoye, Ndji Bassang, Baye Thiaw et Jean Baptiste Sagna. Mais sur la liste des personnes mises à l’index, il y a aussi des agents de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers (Bnsp), parmi lesquels deux officiers remis en liberté par le doyen des juges. Ils ont pour noms : Cheikh Ndir et Onacis Bakouch. Toutes ces personnes sont poursuivies pour «coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner», après une diminution des charges. S’y ajoutent deux médecins de l’hôpital Le Dantec, notamment Pr Gisèle Woto Guèye et son collègue Ibou Thiam, poursuivis pour le délit de «faux», en rapport avec la première expertise médicale faisant état de «mort naturelle» de l’élève sapeur-pompier Chérif Ndao. Cette affaire sera en procès le 10 mars.

L’on se rappelle aussi qu’Antoine Robert Sambou a été torturé à mort le 09 juillet 2013. Sa mort est attribuée à des militaires en faction à Elinkine, en Casamance. Le meurtre présumé de Ndiaga Ndiaye qui a eu lieu à Grand-Yoff est toujours gardé dans les mémoires.

Kédougou enregistre 5 bavures 

En 2015, le taximan Mamadou Doudou Diallo (23 ans), incarcéré à la prison de Kédougou, a été abattu par un garde pénitentiaire, alors qu’il tentait de s’évader. A Saint-Louis, la mort énigmatique du soldat Mamadou Mboup Ngom, survenu la même année, à l’âge de 27 ans, revient au goût du jour, trois ans après. Détaché au bataillon de l’infanterie de Saint-Louis, ce dernier a été torturé jusqu’à ce que mort s’en suive, dans la nuit du lundi 29 décembre, comme l’atteste le certificat de genre de mort délivré dix jours après les faits. Le document médical fait état de «traumatisme crânien avec hémorragie cérébro-méningée, œdème cérébral et plaies multiples associés à des signes de noyade». En somme, le médecin légiste a conclu à une «mort par noyade secondaire due à un traumatisme crânien préalable accompagnée d’une perte de connaissance». Et la mort, par balle, du jeune Yamadou Sagna, inhumé hier, vient boucler la boucle.

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