INTERACTIF. Migrants : les portes de l'exil se referment

L’accord passé en mars entre l’Union européenne et la Turquie a tari le flux de réfugiés à l’assaut de la route des Balkans via la Grèce. Ceux qui restent sont pris au piège.
C’était une autoroute. L’espoir d’une vie meilleure en Europe comme moteur, près d’un million de migrants s’y étaient engouffrés ces 18 derniers mois. Désormais, la route des Balkans n’est plus qu’un cul-de-sac. Au tournant du mois d’avril, le goulet d’étranglement que constituait le passage entre la côte turque et les îles grecques a été verrouillé.

En à peine quelques semaines, l’accord signé entre l’Union européenne et la Turquie (lire ci-contre) s’est pleinement fait sentir. « La baisse du nombre de passages a été plus forte que prévu », s’est félicité le ministre allemand des Affaires étrangères. Au plus fort de l’exode, en octobre, 211 663 personnes ont rallié la Grèce. Moins de 4 000, en avril, ont réussi à déjouer la vigilance des navires de Frontex (l’agence européenne de contrôle des frontières) et des bâtiments de guerre turcs, qui dessinent maintenant la ligne d’horizon.

« Tout n’est pas fini, prévient cependant l’adjoint au maire de Mytilène, capitale de Lesbos. Ce sont les Turcs qui décident. » Et c’est bien ce qui irrite nombre de défenseurs des droits de l’homme. Ces ONG, comme les agences de l’ONU, fustigent ainsi ce qu’elles considèrent comme une sous-traitance de la politique d’asile européenne. « Les dirigeants de l’UE ont délibérément fermé les yeux sur un fait très simple : la Turquie n’est pas un pays sûr pour les réfugiés syriens et la situation s’y dégrade de jour en jour », dénonçait récemment Amnesty International.
A Lesbos, beaucoup ne croient pas que la crise soit passée

A terme, au moins 15 000 migrants se trouvant en Grèce, sans doute davantage, pourraient en être expulsés. Sur place, malgré l’installation de hotspots (des centres d’accueil visant à mieux organiser les procédures migratoires), la situation reste compliquée. A Lesbos, par exemple, seules une quinzaine de personnes sont enregistrées chaque jour. « On s’installe dans la durée. Certains seront là pour des mois », anticipe Frédéric Morlet, de l’ONG Humanitarian Support Agency. « Je ne dis pas que tout fonctionne parfaitement, mais quand on constate le faible nombre d’arrivées en Grèce actuellement, cela signifie que l’on sauve des vies », se félicite à l’inverse Jean-Pierre Schenbri, porte-parole d’Easo, l’agence européenne du droit d’asile.

Par un effet de vases communicants, avancent certains, le flux de migrants s’est reporté sur la route « centrale », de la Libye vers l’Italie, où les arrivées en ce début d’année sont 15 % plus élevées qu’à la même époque en 2015. « Mais il ne s’agit pas d’un transfert depuis les Bal-kans. Cette route italienne reste surtout empruntée par les migrants subsahariens, affirme Jean-Pierre Schenbri. Cela étant, tout peut changer d’une semaine à l’autre. »

A Lesbos, justement, beaucoup ne croient pas que la crise soit passée. « Les bateaux turcs ne resteront pas toujours là, pronostique Mustafa, un humanitaire qui s’est mobilisé pour que les victimes de ces traversées soient inhumées décemment. A nouveau, les bateaux de réfugiés reprendront un jour la mer. Tout cela durera tant qu’il y aura la guerre. »
L’accord qui a tout changé

L’Union Européenne (UE) et la Turquie ont trouvé un accord le 18 mars sur la crise des migrants. Depuis, un peu plus de 40 000 migrants, entassés dans des camps, se trouvent toujours en Grèce continentale. Ils y sont arrivés en majorité avant le 20 mars, date d’entrée en vigueur de cet accord, et ont vocation à être relocalisés dans d’autres pays européens si leur demande d’asile est acceptée. C’est largement le cas lorsqu’il s’agit de Syriens ou d’Irakiens. Environ deux tiers de ces 40 000 personnes devraient ainsi rejoindre à terme d’autres pays de l’Union.

Pour ceux arrivés après le 20 mars en Grèce, soit 7 000 personnes bloquées dans les îles, une présélection de leur demande d’asile est effectuée sous l’égide d’EASO, l’agence européenne du droit d’asile : 1 000 ont été autorisés à déposer de telles requêtes, qui ne seront accordées qu’au compte-gouttes, à titre exceptionnel (une mère seule avec ses enfants qui serait considérée comme vulnérable en cas d’un retour en Turquie ou un migrant dont le conjoint a déposé avant le 20 mars une demande d’asile et qui pourrait être autorisé à le rejoindre dans un pays de l’Union). Tous les autres, quelle que soit leur nationalité, seront à terme expulsés en Turquie, et installés dans des camps. L’accord est basé sur le principe du « un pour un ». En clair, pour un migrant reconduit en Turquie, l’UE s’engage à réinstaller dans l’un de ses pays membres un Syrien ou Irakien (dans la limite de 72 000) sur les 2,7 millions déjà présents en Turquie, et qu’elle estime relever du droit d’asile. En contrepartie, la Turquie a notamment obtenu 6 Mds€ d’aide et l’assurance d’un abandon du visa pour ses ressortissants souhaitant se rendre dans l’Union.

La France s’est engagée à accueillir 30 000 demandeurs d’asile sur deux ans, qu’il s’agisse de « relocalisés » depuis la Grèce, ou de « réinstallés » depuis la Turquie.

Source:leparisien.fr

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